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La Fondation Abbé-Pierre analyse le « décrochage des couches populaires »

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Dans son 21e rapport annuel sur le mal-logement, l’association décrypte le creusement des inégalités. A quelques semaines de la présentation en conseil des ministres du projet de loi « égalité et citoyenneté », elle appelle à agir sur les causes de la ségrégation spatiale.

Le logement est à la fois « un reflet et un accélérateur des inégalités », a souligné Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, lors de la présentation de son 21e rapport annuel, rendu public le 28 janvier lors d’une journée organisée au Palais des congrès de Paris, en présence de la ministre du Logement, Sylvia Pinel. Au-delà des chiffres du mal-logement en France qui, en raison de leur caractère particulièrement préoccupant cette année, avaient exceptionnellement été dévoilés en décembre(1), ce rapport 2016 analyse la façon dont la crise du logement a entraîné le « décrochage des couches populaires », pour reprendre le titre de son premier chapitre. « On assiste à une aggravation sans précédent des inégalités qui augmentaient depuis les années 1990, a expliqué Christophe Robert. Sauf que dans un premier temps, cette hausse était due à l’envolée des hauts revenus, tandis qu’aujourd’hui la situation est différente puisque ce sont les plus pauvres qui décrochent. »

Un taux d’effort trois fois plus élevé

Pour cette catégorie de population, le taux d’effort dans le logement atteint ainsi 56 %, soit trois fois plus que la moyenne. Par ailleurs, l’écart de ressources qui est de 1 à 7 entre les plus pauvres et les plus riches, est de 1 à 18 une fois que l’on tient compte des dépenses contraintes comme le logement. « Il y a également une accentuation des écarts en termes d’accession à la propriété, a ajouté le délégué général de la fondation. On assiste à une forme de rétrogradation des ménages les plus modestes, de désolidarisation des plus riches, qui s’accentue année après année, avec une chaîne des inégalités qui s’étire et se scinde aux deux extrémités. Ce décrochage des catégories populaires crée du désenchantement que l’on retrouve dans les urnes. Il faut intégrer cette réalité dans les politiques sociales du logement. » Pour la fondation, il est devenu « impérieux de revisiter les différentes dimensions de la politique du logement au prisme des inégalités, tant l’action publique en la matière est segmentée en champs étanches les uns des autres, qu’il s’agisse des mesures en faveur de la construction ou de l’amélioration de l’habitat ou de l’action en faveur des publics les plus fragiles », peut-on lire dans le rapport. Une orientation qui n’est, pour l’instant, pas celle prise par les pouvoirs publics si l’on en juge par le regard que porte l’association sur l’année écoulée : « En 2015, nous avons eu une politique du logement en panne d’ambition, un peu comme en 2014 », a déploré Christophe Robert. Selon lui, la volonté réformatrice du gouvernement a été abandonnée. « C’est une politique de petits pas, qui n’est pas capable de mobiliser l’ensemble de la société pour mener le combat contre le mal-logement », a-t-il poursuivi, tout en concédant qu’il y avait eu « quelques avancées, pour certaines timides, pour d’autres incomplètes ».

Le principal progrès est la loi de transition énergétique qui a introduit la notion d’exigence thermique dans les critères de décence des logements et a instauré le chèque énergie qui va se substituer aux tarifs sociaux du gaz et de l’électricité(2). Avec un bémol : le délégué général de la fondation a souligné que celui-ci sera financé à budget constant, alors qu’il est censé bénéficier à trois fois plus de ménages. Autre inquiétude : La loi promulguée l’été dernier « fixe un objectif ambitieux de 500 000 rénovations thermiques par an, dont la moitié à destination des occupants modestes », réparties entre 120 000 dans le parc social et 130 000 dans le privé. Or les secondes « ne sont pas envisageables en l’état actuel », écrit la fondation. En effet, si le programme « Habiter mieux » de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), destiné à la rénovation thermique, « monte en puissance avec 50 000 rénovations engagées en 2015 », les moyens budgétaires ne sont pas au rendez-vous s’il s’agit de doubler, voire tripler ce chiffre. Autre texte « encourageant », la proposition de loi relative à l’habitat des gens du voyage adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, qui « satisfait une revendication de longue date, à savoir l’abrogation des titres de circulation et de l’obligation de rattachement à une commune ».

Toujours au chapitre des éléments positifs, la Fondation Abbé-Pierre signale la poursuite de la publication, « lentement mais sûrement », des décrets d’application de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR). En revanche, l’association dénonce les « renoncements » du gouvernement par rapport à certains objectifs initiaux de ce texte, qu’il s’agisse de l’encadrement des loyers qui se fait pour l’instant « a minima » – seul Paris, soit une commune sur les 1 200 concernées, l’applique – ou de l’abandon de la garantie universelle des loyers (GUL) au profit d’un dispositif beaucoup moins ambitieux baptisé « visa pour le logement et l’emploi » (Visale), entré en vigueur le 20 janvier(3). « Cette garantie gratuite contre les impayés non seulement n’est pas obligatoire, encore moins universelle, mais ne peut bénéficier, si leur bailleur l’accepte, qu’aux salariés précaires en excluant les chômeurs », indique la fondation dans son rapport. Quant aux étudiants, également exclus de Visale, « le gouvernement leur a réservé un nouveau dispositif particulier, la “caution éducative étudiante”, qui, avec 4 600 étudiants concernés fin août 2015 – soit 0,2 % des étudiants après une première année de mise en œuvre –, apparaît bien dérisoire ».

Construction au point mort

L’association revient enfin sur les menaces que le gouvernement a fait peser sur les aides personnelles au logement (APL), « quasiment comme chaque année, mais avec une intensité inédite en 2015 », et sur les aides à la pierre qui sont « au bord du gouffre ». Quant à la construction, elle est « au point mort ». La fondation demande donc que l’année qui reste avant la prochaine élection présidentielle soit mise à profit « pour relancer une politique du logement cohérente et ambitieuse, pour doper la production de logements sociaux et la mobilisation du parc privé et appliquer enfin l’encadrement des loyers ».

Dans ce contexte, quelles sont les perspectives ouvertes par le projet de loi « égalité et citoyenneté » – dont plusieurs dispositions concernent le logement – qui devrait être présenté en mars en conseil des ministres ? L’association a choisi de se focaliser sur deux notions au cœur de ce texte, le droit au logement et la mixité sociale, qui sont aussi « deux objectifs en tension », selon elle. Elle veut notamment démontrer que « l’on n’a pas nécessairement à choisir entre [les deux] ». Rappelant qu’elle avait déjà réagi à la volonté du Premier ministre d’interdire le relogement des ménages à bas revenus dans les quartiers « politique de la ville » pour favoriser la mixité sociale – ce qu’a préconisé le comité interministériel « égalité et citoyenneté » de mars 2015 (4) –, la fondation rappelle que « la mixité sociale ne [doit] pas servir de prétexte au recul du droit au logement ». Il faut au contraire tenter de « concilier » les deux, a argumenté Christophe Robert, ajoutant que le concept de mixité sociale est « flou » : « il est parfois instrumentalisé contre les ménages les plus fragiles et l’idée de leur interdire le relogement dans les quartiers “politique de la ville”, c’est aussi les priver d’un parc de 1,2 million de logements plus accessibles. Et si le Premier ministre a finalement renoncé à cette idée et que cela s’est transformé dans l’avant-projet de loi en possibilité de refuser un logement pour cause de mixité sociale à condition qu’un autre logement soit proposé, le dispositif manque de garanties. » Le représentant de la fondation a par ailleurs souligné que s’il existe une ségrégation spatiale et territoriale, c’est avant tout parce que certains quartiers sont inaccessibles aux plus modestes. Et c’est aussi là-dessus qu’il faut agir, notamment avec des logements sociaux qui leur soient réellement accessibles et non pas, comme trop souvent, des « logements sociaux haut de gamme », selon Christophe Robert, qui a également quelques inquiétudes sur la redéfinition des critères de priorité pour l’attribution des logements HLM, telle que prévue dans l’avant-projet de loi.

Enfin, il faut également renforcer l’action des pouvoirs publics dans les quartiers dits « sensibles ». Ce qui implique, écrit la Fondation Abbé-Pierre, « de prioriser l’amélioration des conditions de vie de leurs habitants plutôt que de les trier à travers un processus d’attribution ou de chercher à tout prix à attirer les classes moyennes, au détriment des populations sur place ». En bref, pour Christophe Robert : « Oui à la diversification des solutions partout, mais avec une concentration des moyens financiers d’intervention sur les quartiers populaires. »

Le logement, enjeu de santé publique

En consacrant, cette année, le zoom principal de son rapport aux interdépendances entre logement et santé, la Fondation Abbé-Pierre a voulu aborder cette question « de façon systémique », a expliqué Manuel Domergue, son directeur des études. « Nous avons voulu montrer que la crise du logement se paie également dans le corps. » Espérance de vie réduite, grossesses pathologiques, enfants qui développent de l’asthme, prégnance des maladies mentales parmi les personnes à la rue…, « les liens entre mal-logement et santé sont importants et divers, mais sans faire toujours l’objet d’une attention suffisante dans les réponses apportées aux personnes », écrit la fondation. Elle met ainsi en lumière des « prises en charge sociale et médicale qui s’ignorent » et ne parviennent pas à rompre le « cercle vicieux entre santé et mal-logement, où ces deux problématiques s’alimentent mutuellement ».

Des dispositifs se sont cependant mis en place pour décloisonner les réponses, a souligné Manuel Domergue, citant l’exemple des centres d’hébergement à bas seuil d’exigence ou encore le programme « Un chez-soi d’abord » pour les personnes avec des troubles psychiatriques sévères. Un décloisonnement qu’il faut renforcer, prône la fondation, qui plaide aussi en faveur du principe de l’« aller vers ». « C’est ce que font les équipes mobiles psychiatrie précarité, mais qui sont encore trop démunies en termes de moyens, a indiqué Manuel Domergue. Cela signifie aussi aller dans le logement avec des visites à domicile. C’est un travail social plus complexe, plus cher, mais c’est aussi gage de réussite. » Le directeur des études de la fondation a aussi rappelé que « ce n’est pas juste en traitant le bâti qu’on règle les problèmes », citant l’exemple des personnes atteintes du syndrome de Diogène, qui consiste à accumuler de façon compulsive des objets, voire des ordures, et peut conduire à l’incurie dans le logement. « Vider régulièrement l’appartement de ces personnes ne sert à rien si on ne traite pas leur pathologie », a-t-il ainsi illustré.

Notes

(1) Voir ASH n° 2938 du 18-12-15, p. 21.

(2) Voir ASH n° 2922 du 28-0-15, p. 38.

(3) Voir ASH n° 2944 du 22-01-16, p. 8.

(4) Voir ASH n° 2901 du 13-03-15, p. 41.

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