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Désinstitutionnalisation : la « technique du leurre »

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Le discours sur la désinstitutionnalisation n’est qu’un nouvel habillage d’un débat aujourd’hui dépassé visant, sous couvert de la valorisation de la capacité d’autonomie et d’initiative des individus, à diminuer les financements publics, dénonce Gérard Zribi, directeur général de l’Afaser et président d’Andicat(1).

« Depuis deux à trois ans, revient avec force la thématique de la désinstitutionnalisation. Celle-ci a alimenté des débats assez vifs dans les années 1960 et 1970. Elle accompagnait alors en France, dans d’autres pays européens (Italie, Angleterre) ou encore aux Etats-Unis, la fermeture massive de lits psychiatriques pour favoriser la psychiatrie dans la communauté, mais aussi les évolutions des pratiques sociales et médico-sociales (nos exemples seront pris dans le domaine du handicap mental et du handicap psychique), avec la promotion de réponses diversifiées, ouvertes et intégrées à leur environnement.

C’est ainsi qu’ont été développés les hôpitaux de jour, les centres médico-psychologiques, les centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel, les appartements thérapeutiques… pour la santé mentale et, pour le secteur médico-social, le démembrement et l’inclusion de structures comme les foyers d’hébergement, les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) dits “hors murs”, les appartements intégrés et, plus généralement, la mise en avant du concept d’accompagnement, concrétisé par la création de services d’accompagnement (SAVS, Samsah…).

Ce mouvement d’ensemble s’est amplifié avec des bonheurs divers : citons, à titre d’exemple, l’affaiblissement très sensible et regrettable des moyens d’intervention en santé mentale avec le passage dénommé “asymétrique” du sanitaire vers le médico-social, mais aussi la mise en œuvre d’une pluralité de solutions totalement intégrées, assistées, semi-protégées ou protégées, très majoritairement ancrées dans leurs territoires et en osmose avec eux.

La loi 2002-2 a consacré et approfondi cette logique : les choix et les parcours de vie, la personnalisation de l’accompagnement et le respect de la singularité, les contrats individuels (les contrats d’accueil et de séjour, les contrats de soutien et d’aide par le travail) ou collectifs (le règlement de fonctionnement définissant les droits et devoirs des usagers) ; le recours à des médiateurs et à des “personnes qualifiées” (proche du modèle du self-advocacy), et plus généralement l’accroissement des droits des usagers.

On peut dire que la controverse d’il y a une quarantaine d’années à propos du couple désinstitutionnalisation-désinstitution a été tranchée dans les faits et dans les textes ; elle ne l’a pas été en faveur des tenants de la désinstitution (à savoir la suppression des institutions considérées comme totalitaires, aliénantes et asservissantes). Ce sont le développement des opportunités pour les usagers et leur droit de regard et de codécision sur les options possibles d’existence (en institution, à domicile, avec ou sans accompagnement) dans un cadre le plus normalisé possible qui ont été retenus et financés par l’Etat, l’assurance maladie et des départements.

Retour en arrière ?

Certains appellent aujourd’hui à une « transformation d’un Etat qui protège en un Etat qui rend capable ». Frédéric Monlouis-Felicité(2) souhaite ainsi l’émergence “d’un Etat relationnel qui, grâce au pouvoir inédit des outils numériques, fera de la personne le centre et le principe de son action” au moyen du développement du capital social des individus (ressources sociales et relationnelles, réseaux personnels…). Il s’agit de promouvoir des relations horizontales et de développer la capacité d’autonomie et d’initiative des individus pour trouver des réponses à leurs besoins.

On retrouve la même logique dans la “société collaborative” qui est basée sur la centralité des échanges entre pairs et invite les individus “à collaborer, à être parties prenantes et producteurs plutôt que simples consommateurs”(3) et revient à se passer d’“intermédiaires” (pour le secteur médico-social, une institution, un service, une instance d’orientation). On en appellerait donc, si on en faisait l’application au domaine du handicap, à revenir à des formes – connues et pratiquées dans les années 1950 et 1960 – de solidarité entre familles, avant que ne se crée, sous leur pression, un dispositif collectif global avec les deux lois votées le 30 juin 1975.

Confiera-t-on aux usagers, auxquels on attribuera un budget personnalisé (sur le modèle de l’allocation personnalisée d’autonomie), et à leurs proches la lourde tâche de l’élaboration ou de l’achat des prestations, des activités et des réponses souhaitées, avec l’aide, comme le suggèrent certaines instances(4), de “référents de parcours de vie” ? Dans la même lignée, Denis Piveteau, auteur du rapport “Zéro situation sans solutions”, soutient(5) que “la réponse au manque de places n’est pas forcément la création de places nouvelles…” (d’autant plus, pourrait-on ajouter, qu’il n’y a aucune analyse quantitative et qualitative des besoins). Il y a lieu, selon lui, “d’avoir pour objectif une existence en milieu ordinaire…”. Nous sommes, ajoute glorieusement Denis Piveteau, chargé par ailleurs de proposer une réforme du financement du médico-social, “en train de gagner la bataille de la désinstitutionnalisation”.

Cette curieuse conception, que l’on pourrait résumer plus simplement par le “retour à domicile”, aurait donc l’avantage fantasmé d’effacer les besoins spécifiques et les différences, d’organiser des solutions de bric et de broc mais peu onéreuses, et de diminuer les budgets de prise en charge et d’accompagnement. En d’autres termes, dans cette interprétation libre de la désinstitutionnalisation, il s’agit de retourner aux personnes défavorisées et à leurs proches la responsabilité d’eux-mêmes en leur demandant d’être plus compétents, donc plus autonomes et bien entendu socialement émancipés. On en revient à l’adage platonicien du “choisis toi-même ce qui est bon pour toi”. Autonomie, pouvoir de décision, mise en réseau seraient ainsi les supports d’un remplacement de la politique sociale par une organisation interpersonnelle, et d’une obligation nationale de solidarité, formalisée et opposable, par une prise d’initiatives individuelles, aléatoires et facilement remises en question.

Instrumentalisation

La question de la désinstitutionnalisation, apparue il y a bien longtemps, est aujourd’hui datée et largement dépassée (sauf si on veut lui faire dire autre chose) par les évolutions qui ont eu lieu : inclusion sociale des personnes et des structures, rééquilibrage des réponses au profit des services, accroissement des droits des usagers, ancrage territorial, développement fort des partenariats et des réseaux, élévation des compétences des professionnels…

Pour les pouvoirs publics, revenir sur des débats anciens correspondrait, selon nous, à l’instrumentalisation d’une approche progressiste pour diminuer les financements publics et ne pas répondre aux besoins, identifiables pourtant facilement au niveau des territoires.

On peut améliorer pourtant, bien évidemment, le système actuel : en connaissant mieux les besoins et les attentes des usagers par un meilleur dialogue entre les pouvoirs publics et les associations d’usagers ; en améliorant encore l’exercice des droits des usagers ; en élevant les capacités de réponse à la diversité des choix de vie ; en recherchant toujours le bon équilibre entre les avantages d’une réponse collective et la légitimité des aspirations personnelles ; en approfondissant l’ancrage des structures dans les territoires et le décloisonnement des tâches de différents services sociaux, sanitaires, gérontologiques… ; en formant toujours davantage les usagers à l’exercice de la citoyenneté. Il est très certainement utile d’encourager toujours davantage les mutualisations et les articulations entre services, l’optimisation des ressources territoriales, le meilleur usage possible des financements publics, la solidarité entre “pairs” et entre associations de proximité et, plus globalement, toute action inclusive en faveur des personnes handicapées.

Il est également très souhaitable de rechercher des économies dans le fonctionnement excessivement bureaucratique du secteur médico-social plutôt que dans le financement direct des services.

En effet, les économies budgétaires seraient à réaliser en simplifiant profondément le choix des projets (avec une procédure actuelle des appels à projet largement critiquée), l’attribution des autorisations et des financements, l’organisation des consultations (la réunionite chronophage et chronique) ainsi que les mécanismes d’orientation. Il vaudrait mieux, par exemple, raccourcir les délais des décisions des maisons départementales des personnes handicapées et des commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées pour ne pas laisser des personnes dans l’attente d’une orientation (14 mois en moyenne), alors que des places vacantes peuvent exister : le gaspillage humain et financier est patent et observable en permanence.

Parler aujourd’hui de désinstitutionnalisation obéit à la technique du leurre : au lieu de présenter obsessionnellement les institutions et les services spécialisés comme des mauvais objets, il vaudrait mieux s’appuyer, en lien avec les usagers et les associations, sur un dispositif de structures et de services globalement remarquable pour stimuler les pistes innovantes et les initiatives créatrices émergeant, la plupart du temps et de tout temps, du “terrain”. »

Notes

(1) Respectivement Association des familles et amis pour l’accueil, les soutiens, l’éducation et la recherche en faveur des personnes handicapées mentales et Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT – Il est aussi auteur du Dictionnaire du handicap (8e éd., 2015) et de l’ouvrage Handicapés mentaux et psychiques – Vers de nouveaux droits (3e éd., 2015) – Ed. Presses de l’EHESP.

(2) In Sociétal 2015 – « L’Etat-providence à bout de souffle ? Réinventer notre modèle social » – Ed. Eyrolles.

(3) Consommation et modes de vie n° 274 – Avril 2015 – Crédoc.

(4) Voir ASH n° 2899 du 27-02-15, p. 5.

(5) In Union sociale n° 284 – Février 2015.

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