« Réforme mal préparée », la départementalisation de Mayotte, intervenue le 31 mars 2011, appelle désormais « des actions prioritaires à conduire » par les pouvoirs publics pour rectifier le tir, juge la Cour des comptes dans un rapport thématique sévère, rendu public le 13 janvier(1), dans lequel elle s’inquiète notamment des capacités financières des autorités mahoraises à faire face « aux problèmes sociaux que connaît l’île ».
« La situation de Mayotte est unique au sein de la République française », rappelle d’emblée la Haute Juridiction financière, en soulignant que « l’enjeu démographique est central, en raison à la fois d’une croissance naturelle extrêmement dynamique et de flux migratoires de masse, qui demeurent très mal maîtrisés ». La Cour décrit en effet un « contexte sociodémographique et économique extrêmement préoccupant », marqué à la fois par une population « jeune et relativement pauvre », par « un chômage élevé » et par « un niveau de vie faible par rapport à la métropole ».
Dans de telles conditions, « la départementalisation aurait nécessité d’être mieux préparée et pilotée, ce qui n’a été le cas ni au niveau de l’Etat, ni au niveau du département », assènent les magistrats, qui constatent que, « quatre ans après le dernier changement de statut, de nombreux chantiers, pourtant identifiés dans le “Pacte pour la départementalisation” comme des préalables à la réussite de la réforme – notamment le règlement de la question foncière, qui conditionne le succès de la mise en place de la fiscalité directe locale de droit commun – ne sont toujours pas achevés ».
Quant auxconséquences financières de la départementalisation, elles sont à ce jour également « mal maîtrisées ». « Si l’effort budgétaire de l’Etat a déjà sensiblement augmenté, celui-ci souffre d’un défaut chronique de programmation, alors même que le risque de dérapage est avéré », explique la Cour des comptes. La situation financière du département comme des communes est ainsi « proche de l’impasse, fragilisant la pleine mise en œuvre de leurs compétences ». Pour les magistrats de la rue Cambon, « l’achèvement du processus de départementalisation et la fixation d’un cadre financier pluriannuel soutenable apparaissent dès lors comme autant de prérequis pour répondre de manière satisfaisante aux principaux défis rencontrés par Mayotte », à commencer par « l’enjeu du développement, qui nécessite d’utiliser de manière efficace les fonds structurels et d’investissement européens ».
L’Etat et les collectivités mahoraises ont aussi à relever le défi, également prioritaire, de l’accès à l’éducation, « notamment à travers l’épineuse question des constructions scolaires ». Autres sujets cruciaux dans le champ social : « la gestion du revenu de solidarité active (RSA), d’une part, et de l’aide sociale à l’enfance (ASE), d’autre part ».
Entré en vigueur le 1er janvier 2012, « avec quelques aménagements significatifs par rapport au dispositif de droit commun en vigueur en métropole et dans les autres départements d’outre-mer », le RSA ne s’est pas substitué, à Mayotte, « à un ensemble de prestations sociales préexistantes comme le revenu minimum d’insertion (RMI), l’allocation de parent isolé et les différents mécanismes d’intéressement à la reprise d’activité », comme cela a été le cas sur le reste du territoire. « Les modalités de compensation financière de cette compétence nouvelle pour le département font peser des incertitudes sur la capacité de ce dernier à supporter une charge dont le poids devrait s’alourdir au rythme de la convergence des barèmes mahorais et métropolitain et de l’augmentation continue du nombre des bénéficiaires (20 000 personnes au 30 juin 2015, soit 9,4 % de la population locale, contre 32,5 % à La Réunion, alors que la population mahoraise est la plus pauvre de France, voire d’Europe) », s’inquiète alors la Cour des comptes.
La juridiction financière pointe également « la prise en charge défaillante de l’aide sociale à l’enfance [ASE] par le département », qui ne s’en est jamais vraiment emparé, avec un effort budgétaire trop faible pour permettre « un recrutement suffisant en quantité et en qualité de travailleurs sociaux et la mise en œuvre de dispositifs de prise en charge adaptés et performants ». Et ce, alors que Mayotte est notamment confrontée à la présence importante de mineurs isolés étrangers(2). « Si les dépenses consacrées à la protection de l’enfance en danger ont progressé entre 2010 et 2014, passant de 2,8 millions d’euros à 4,68 millions d’euros, elles représentent seulement 22 €/habitant en 2014 contre 102 €/habitant au niveau national », relève ainsi la Cour des comptes, en rappelant que « l’accueil familial constitue la seule possibilité de placement-hébergement des enfants, car le département s’est depuis toujours opposé tant à la création de structures d’accueil collectif qu’à la contractualisation avec des personnes de droit privé, contrairement à tous les autres départements français ». A la fin 2014, le réseau départemental des 76 assistantes familiales représentait une capacité d’accueil de 304 places, précise le rapport.
Cette défaillance est « partiellement palliée par un engagement très fort de l’Etat et des associations », avec la création de différents dispositifs opérationnels destinés, en principe, à être repris ultérieurement par le département et qui concernent, notamment, la prévention spécialisée, l’accompagnement social des mineurs isolés, le rapprochement familial à Mayotte et hors de Mayotte couplé à une aide au retour des mineurs isolés au sein de leurs familles dans leurs pays d’origine. La Cour recommande donc au département d’« exercer pleinement sa compétence obligatoire en matière d’ASE ».
(1) La départementalisation de Mayotte – Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire – Rapport public thématique disponible sur
(2) Voir notre décryptage intitulé « Mineurs isolés à Mayotte : une situation explosive » dans les ASH n° 2785 du 30-11-12, p. 26.