Il pourrait presque installer son bureau dans le train : le Bordelais Philippe Ellias dirige deux CADA (centres d’accueil pour demandeurs d’asile) et huit services répartis entre Bordeaux et Pau ; depuis deux ans, il est aussi directeur du pôle Précarité sociale au sein du COS (Centre d’orientation sociale), son association tutélaire implantée à Paris. Calme et posé, il semble trouver son compte dans ce nomadisme – facilité par les nouvelles technologies – et a su adapter son management à cette configuration. « Ma journée “type”, quand je suis en Gironde, démarre tôt, dans mes bureaux du foyer Claude-Quancard de Villenave-d’Ornon, où je profite d’un moment de tranquillité pour prendre connaissance de mes e-mails puis pour échanger avec les cadres. Ensuite, je peux aussi bien être accaparé par des négociations avec des cabinets ministériels – je suis coprésident du groupe réfugiés-migrants au sein de la FNARS [Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale] – qu’occupé par des discussions avec nos nombreux partenaires locaux. Plus tard, j’essaie de passer dans les différents services de Bordeaux et sa périphérie afin d’entretenir le lien avec les équipes. »
Les établissements qu’il dirige accueillent un total de 600 personnes et, même s’il ne peut pas connaître tous les hébergés, Philippe Ellias tient à être au courant des situations les plus délicates. Il affirme d’ailleurs toujours garder sa porte ouverte. « Même si mes fonctions m’amènent à être davantage dans une vision stratégique, voire politique, mon action ne peut pas être totalement décalée de la réalité de terrain. J’ai récemment reçu un résident victime d’une bagarre et dont la police ne voulait pas prendre la plainte. J’ai pris les choses en main afin de remonter l’information auprès du préfet de police. »
Philippe Ellias, qui n’a passé son DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées) gestion des entreprises de l’économie sociale et solidaire qu’en 2006, a fait toute sa carrière au sein du COS. « Investi dès mon plus jeune âge dans l’engagement auprès des personnes démunies, j’ai suivi une formation d’animateur socio-éducatif. J’ai intégré l’association en tant que chargé d’insertion professionnelle, avant d’évoluer au poste d’adjoint de direction lors de la création du tout premier CADA en 1991. En 1998, j’ai été nommé directeur du foyer Claude-Quancard. »
A seulement 50 ans, cet amoureux de la nature est, de fait, le plus ancien directeur de l’association. Ses principales qualités managériales ? « Savoir déléguer sans être dans une position paternaliste », avance-t-il. Cette confiance qu’il accorde à ses équipes est confirmée par Jean-Claude Savino, animateur socio-éducatif au foyer Claude-Quancard et secrétaire du comité d’entreprise. « Il faut dire que la fonction qu’il occupe s’apparente à celle d’un directeur général. Il est forcé de déléguer et doit être certain de pouvoir s’appuyer sur ces relais. » Le professionnel ajoute : « Je compare souvent Philippe Ellias à un joueur d’échecs : il a toujours deux coups d’avance… Ce qui est à la fois une qualité et un défaut, puisqu’il est réactif et a une grande capacité à s’adapter, mais les salariés ont parfois du mal à suivre ! » Le directeur, lui, estime bénéficier d’une bonne écoute de la part de la centaine de salariés (personnels sociaux et administratifs) sous sa responsabilité. Il admet néanmoins que, « lorsqu’on est face à des réformes comme celle du droit d’asile, c’est forcément compliqué ». Les établissements qu’il dirige sont en extension constante. « Pour la seule année 2015, nous avons augmenté notre capacité de 140 places. Il faut savoir dialoguer avec le personnel, qui a pu craindre une augmentation de la charge de travail », analyse Philippe Ellias.
Lui qui, en 1999, a déjà été confronté à l’arrivée massive de Kosovars reste serein devant l’afflux récent de réfugiés. « La situation actuelle est similaire, même si les enjeux politiques ont changé, et je pense que nous sommes capables de structurer un accueil dans des conditions dignes. » Malgré quelques inquiétudes sur « la capacité du secteur associatif à trouver suffisamment de patrimoine pour héberger toutes les personnes reconnues réfugiées politiques », le manager estime qu’il ne faut surtout pas « succomber à l’urgence ».