Recevoir la newsletter

Mission impossible ?

Article réservé aux abonnés

Pour ce premier opus de notre rubrique consacrée au management du social, il nous a paru évident de nous intéresser à ses pilotes : les directeurs d’établissements sociaux ou médico-sociaux. Une fonction en pleine mutation, qui attire un nombre croissant de personnes issues d’autres secteurs.

De plus en plus, on le compare à un funambule : « Au centre de tous les enjeux opérationnels, stratégiques et politiques de son institution, il est régulièrement en déséquilibre mais parvient à faire avancer l’institution qu’il dirige », analyse l’ADC (voir lexique page 30)… Le directeur d’établissement social et médico-social est un « personnage » multifacettes – tour à tour chef d’établissement, gestionnaire, responsable ou manager – qui doit justifier, depuis le décret du 19 février 2007(1), d’une qualification de niveau I pour exercer un métier dont les contours restent vagues. Comment diriger des lieux de vie, « lieux humains, marqués par la possibilité du déploiement du rêve, de l’imaginaire, de l’ailleurs, de l’émotion, des sentiments, des étonnements » ?, s’interroge Jean-Marie Miramon, ancien directeur général d’association, dans Etre directeur d’établissement social et médico-social (éd. Seli Arslan, 2015), alors que ces lieux sont désormais également caractérisés par « le formalisme, les contraintes techniques, les normes toujours plus nombreuses, le poids des impératifs organisationnels et institutionnels ». Selon lui, « il s’agit d’allier rigueur, professionnalisme, réponses aux exigences de l’institution et accueil de l’autre, ouverture à l’émergence de la poésie en soi et en l’autre, ce qui nécessite de la créativité et de l’innovation ».

Des directions de plus en plus concentrées

Ces dernières années, le métier a foncièrement changé. L’enquête « Emploi 2012 » d’Unifaf(2) a montré qu’avec la tendance à la concentration, la plupart des associations multiétablissements se sont dotées d’un siège qui centralise les fonctions de gestion administrative, financière et des ressources humaines, et qui voit également s’en greffer de nouvelles (achats, qualité et gestion du risque, informatique, communication), à mesure que l’association renforce ses effectifs. « Le développement de ces directions centrales semble s’opérer au détriment des directions d’établissements et des cadres intermédiaires. Alors que l’on compte 30 % d’établissements en plus, le nombre de directeurs n’a augmenté que de 10 % depuis 2007 », précise l’enquête. « Etre directeur aujourd’hui, ce n’est plus le même métier qu’il y a trente ans, confirme Pascal Champvert, président de l’AD-PA. Alors qu’il dirigeait à ses débuts un seul EHPAD à Saint-Maur (Val-de-Marne), il chapeaute désormais trois maisons de retraite et trois services à domicile, tout en gardant le même intitulé de poste. « Je rentre moins dans les détails opérationnels, mais j’ai plus de marges de manœuvre et de ressources, précise-t-il, avec des directeurs adjoints qui m’apportent des connaissances et des compétences que je n’ai pas. » Avant d’ajouter : « Un directeur est davantage amené à coordonner des équipes qu’à intervenir directement au sein de l’établissement. Mais il doit absolument rester un stratège, un meneur d’hommes, avec une dimension relationnelle forte. Le limiter à un gestionnaire serait une grave erreur. » Fabien Viziale, président de la Fnades, renchérit : « L’évolution du métier de directeur est liée à l’évolution de la société. » Selon lui, la demande d’un regard plus pointu se fait jour afin de savoir équilibrer les comptes, respecter les procédures, mettre en place les outils de la loi du 2 janvier 2002, faire de la veille juridique… « Le directeur doit aussi être un peu architecte, un peu éducateur, un peu psy, un peu pompier… et assez fin dans sa méthode managériale pour pouvoir emmener les salariés sur un projet commun. » Le directeur de l’IME Bell’Estello du Pradet (Var) a bien connu « la liberté, l’autonomie d’antan ». « Mais il n’y a pas de regrets à avoir, enchaîne-t-il.C’est un travail différent. La référence à laquelle nous étions habitués a évolué et nous devons nous adapter. L’enjeu – aider des enfants et des adultes au mieux – reste le même et continue à nous motiver. »

La résilience, essentielle face aux évolutions

Réalisée par l’ADC Nord-Pas-de-Calais, une étude intitulée « Directeur aujourd’hui et directeur demain »(3) a conclu que le bon directeur est quelqu’un de résilient. Les changements de l’environnement, les contraintes externes, les tensions internes sont les conditions à partir desquelles il se réinvente et réinvente sa pratique et son métier.

Il n’existe pas – ou plus – de directeur « type », tant les établissements et leurs gestionnaires sont divers, tant les itinéraires pour parvenir à ce poste sont variés. A l’EHESP, où l’on forme les futurs directeurs de la fonction publique hospitalière et où l’on dispense également le Cafdes, qui permet d’exercer les fonctions de direction dans les secteurs privé et public territorial, on a du mal à établir un profil « modèle ». Une chose est sûre : la profession se féminise, avec deux tiers d’étudiantes(4). Pour le reste, les élèves du cycle « directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social » (D3S) ont entre 23 et 58 ans et sortent pour moitié de Sciences Po ou d’écoles de commerce, tandis que l’autre moitié a passé le concours interne – soit une variété de parcours et d’objectifs. « Certains ont une vocation dans le médico-social, d’autres pas, pointe Fernand Ledeun, responsable de la formation des D3S. Ils sont attirés par la polyvalence de la fonction et le fait d’être maîtres d’un projet. Leur priorité, c’est d’acquérir durant la formation les compétences régaliennes (élaboration d’un projet d’établissement, management des ressources humaines, gestion économique, financière et logistique, etc.) ; notre responsabilité, c’est de leur faire comprendre que l’essentiel reste l’accompagnement et le bien-être des personnes accueillies. »

Qualité recherchée, l’adaptabilité

En matière de recrutement d’un directeur d’établissement ou de pôle, les associations, petites ou grandes, recherchent toutes le mouton à cinq pattes ou l’adéquation parfaite. « Nos clients attendent d’un candidat à la fois des compétences techniques, une vision stratégique, des convictions, une capacité d’interaction avec les conseils d’administration comme avec les équipes », confirme Sophie Tregan, directrice adjointe de Technè Conseil, qui accompagne le recrutement de cadres du secteur. Elle poursuit : « Avant tout, c’est l’adaptabilité qui est recherchée – la rigidité n’est plus de ce monde ! Mais à parcours identique, à diplôme identique, c’est finalement la personne, sa vision du monde et son appétence pour le poste qui font la différence. » A l’avenir, selon la spécialiste des ressources humaines, « les profils à la fois gestionnaires et créatifs vont être de plus en plus ciblés, à condition qu’ils soient aussi solides, capables de gérer les changements et le stress ».

« Il y a clairement une montée en niveau de compétences et d’exigences, pointe pour sa part François Noble, directeur de l’Andesi. Ce qui est dommage, c’est que cette complexification, cette évolution, n’est pas allée de pair avec une valorisation du poste. Dans les établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, la CC 66 ne le permet pas. Il faudrait pourtant qu’il y ait une variable afin d’augmenter les salaires en fonction de la prise de nouvelles responsabilités. »

Un secteur riche de valeurs

Malgré tout, le métier attire toujours. « Beaucoup d’anciens travailleurs sociaux continuent à suivre des formations pour devenir chefs de service puis directeurs, mais nous voyons de plus en plus venir des cadres issus d’autres secteurs – des ONG, certes, mais aussi du sanitaire voire de la banque ou du commercial », note François Noble qui, quant à lui, a débuté comme éducateur spécialisé (comme 80 % des 300 adhérents de l’Andesi). Un organisme comme l’APEC, pointe-t-il, a compris cette évolution depuis un moment et oriente des candidats vers les secteurs social et médico-social dans le cadre de reconversions. « Il faut dire que nous sommes dans une branche qui est encore créatrice d’emplois ! Et puis, pour ces professionnels venus du lucratif, notre secteur, porteur de valeurs, peut apparaître plus “tendre” – même s’il ne l’est pas forcément ! » Sophie Trégan confirme l’ouverture à des profils venant du privé lucratif ou à des personnes issues de champs éloignés du social : « Nous sommes dans un contexte qui invite à décloisonner pour avoir d’autres approches, d’autres regards. »

« C’est un beau métier, mais ce n’est pas un métier facile. Attention à ne pas y venir pour de mauvaises raisons », prévient néanmoins Fabien Viziale, président de la Fnades. Lui qui est devenu directeur après avoir occupé un poste dans les ressources humaines le souligne : « Travailler dans le social ou le médico-social ne s’apprend pas du jour au lendemain. Certes, il y a un cursus théorique obligatoire, mais aussi une façon d’être qui s’acquiert au fil du temps. » Enfin, il insiste sur « le prix à payer » pour exercer ce métier : un engagement en temps, des responsabilités démesurées, tout cela avec moins de budget et moins de latitude.

« Prendre un poste de directeur d’établissement social ou médico-social constitue souvent une aventure, une prise de risque, un défi que l’on se lance à soi-même. Celui qui fait ce choix est le plus souvent lucide, conscient que la tâche ne sera pas aisée », résume Jean-Marie Miramon dans un chapitre de son ouvrage, dont l’intitulé condense à lui seul ce vaste sujet : « Le métier de directeur – parce qu’« impossible », je l’ai choisi. »

Des CV de plus en plus fournis

La fondation des Amis de l’atelier, qui regroupe une soixantaine d’établissements médico-sociaux, a depuis longtemps ouvert la direction de ses structures à des profils « atypiques ». « La moitié des managers viennent du privé lucratif, certains étaient ingénieurs ou fiscalistes et, à un moment donné, ils ont eu envie de donner un sens à leur vie professionnelle. Ils peuvent aussi bien diriger une maison d’accueil spécialisée qu’un foyer d’accueil médicalisé, du moment qu’ils ont du talent et de la volonté », indique Ghyslaine Wanwanscappel, directrice générale. La fondation compte autant de directeurs que de directrices, avec une moyenne d’âge de 40-45 ans. Mais sa directrice générale se dit « admirative » des jeunes dont elle reçoit les CV. « Ils sont très diplômés et ont donc diverses possibilités professionnelles qui s’offrent à eux. Je pense qu’ils peuvent nous apporter beaucoup car ils ont connaissance des méthodes nouvelles. Il faut avoir le courage de leur donner des postes à responsabilités. »

ADC. Association de directeurs, cadres de direction et certifiés de l’Ecole des hautes études en santé publique.

AD-PA. Association des directeurs au service des personnes âgées.

Andesi. Association nationale des cadres du social.

APEC. Agence pour l’emploi des cadres.

Cafdes. Certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale.

CC 66. Convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.

EHESP. Ecole des hautes études en santé publique.

EHPAD. Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Fnades. Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services sanitaires sociaux et médico-sociaux sans but lucratif.

IME. Institut médico-éducatif.

Unifaf. Fonds d’assurance formation de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif.

Notes

(1) Voir ASH n° 2495 du 23-02-07, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2798 du 22-02-13, p. 24.

(3) Disp. sur http://goo.gl/FvwcVW.

(4) En 2012 déjà, selon l’enquête « Emploi » d’Unifaf, 46 % des directeurs d’établissements de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif étaient des femmes, contre seulement 38 % en 2007.

Manager dans le social

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur