Quand la sous-préfecture l’a convoquée à la fin novembre pour lui annoncer que son Ad’AP était rejeté, Maryse Lacoste n’a pas été franchement surprise : « Je m’en doutais, j’avais eu des échos par d’autres collègues », soupire la directrice de l’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) Marie-Caudron, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). La cause du refus ? Un dossier incomplet. « Il manquait les plans du bâtiment après travaux et le plan de financement, admet Maryse Lacoste, mais la réalisation de ces plans représentait un coût non négligeable pour une petite structure mono-établissement. Et comment fournir un budget tant que les tutelles n’ont pas validé le plan pluriannuel d’investissement correspondant ? » Impossible d’y couper, la directrice devra déposer un nouveau dossier. D’ici là, les « bricoles » seront réalisées en interne : pose de nez de marche contrastés, de bandes de signalisation sur les vitres, etc. Pour les gros travaux, chiffrés à 450 000 €, « j’attends que la préfecture m’écrive et puis… je m’y remettrai », annonce Maryse Lacoste. Sans toutefois savoir quelles solutions elle trouvera pour résoudre les difficultés de son premier agenda.
En vertu de l’ordonnance « accessibilité » du 26 septembre 2014, les propriétaires d’établissements recevant du public (ERP) qui ne répondaient pas, au 1er janvier 2015, aux normes d’accessibilité pour les personnes handicapées, avaient jusqu’au 27 septembre dernier pour formaliser leurs engagements sous la forme d’un Ad’AP. Une obligation s’imposant notamment aux structures sociales et médico-sociales… sans qu’elles en soient toujours conscientes. « Une des premières questions posées par les adhérents était de savoir si oui ou non ils étaient concernés, rapporte ainsi Isabelle Bury, animatrice territoriale à l’Uriopss (Union régionale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux) du Nord-Pas-de-Calais. Les services d’aide à domicile, par exemple, se pensaient exemptés ; pourtant, ils reçoivent les familles au siège social. »
D’une manière générale, constate l’animatrice, la procédure a donné bien du fil à retordre aux gestionnaires. Lesquels n’ont pas abordé l’échéance à armes égales : « Les organisations disposant de sièges associatifs, de ressources dédiées à la prospective, ont pu anticiper, tandis que les plus petites structures s’y sont parfois prises très tard. » Plutôt axée vers les commerçants ou les professionnels libéraux, la communication gouvernementale n’a pas favorisé un investissement précoce, pas plus que la publication au compte-gouttes des décrets d’application. « Nous nous étions engagés assez tôt dans la démarche, et cela a failli nous pénaliser, raconte ainsi Marie-Hélène Lore, attachée de direction à l’Adapei 53 (Mayenne). En effet, le diagnostiqueur avait remis son rapport le 8 décembre 2014, et le lendemain, un décret qui assouplissait les normes a été publié ! Il a fallu négocier pour que le cabinet reprenne son rapport. »
Au 1er novembre dernier, les préfectures avaient récolté 78 568 agendas, représentant 280 917 ERP entrés dans le dispositif. Des « statistiques globales », qui ne permettent pas de détailler le nombre de structures sociales et médico-sociales, reconnaît la délégation ministérielle à l’accessibilité (DMA). Laquelle invite fortement les retardataires à « se dépêcher d’élaborer et de déposer leur agenda, en y joignant des explications ». Dans les Pyrénées-Atlantiques, tous ceux qui avaient demandé un report ont été éconduits, observe Maryse Lacoste. Dans le Nord, en revanche, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) s’est montrée plus conciliante, rapporte Isabelle Bury, une importante association gestionnaire implantée dans cinq départements ayant ainsi obtenu, sans sanction, un délai supplémentaire de deux mois.
Les structures attachées à respecter l’échéance ont adopté, quant à elles, des stratégies variées. Tandis que certaines décidaient de s’engager dans une réflexion patrimoniale à moyen terme (lire témoignage ci-dessous), d’autres choisissaient d’attirer l’attention des représentants de l’Etat et des tutelles sur la principale inconnue du dispositif : le financement des travaux. « Dans l’incertitude totale du positionnement de nos financeurs, nous avons demandé à bénéficier du délai maximal de neuf ans, et expliqué qu’il ne nous était pas possible de nous engager sur un échéancier de travaux », indique ainsi Erika Raimbault, conseillère technique à l’Aidaphi (Association interdépartementale pour le développement des actions en faveur des personnes handicapées et inadaptées), en région Centre-Val-de-Loire. En gage de sa bonne foi, l’association s’est parallèlement évertuée à alléger la facture : « Nous avons déclassé certains ERP, comme le siège du pôle insertion, qui n’accueille jamais de public, pour qu’ils relèvent du code du travail, détaille Erika Raimbault. Ou bien nous avons proposé de recevoir les usagers à mobilité réduite de notre Sessad [service d’éducation spéciale et de soins à domicile] dans les locaux voisins d’un de nos établissements, déjà aux normes “handicapés”. » Pour l’heure, ni la DDTM ni les financeurs ne se sont prononcés. Laissant l’association dans l’expectative… à l’image du secteur.
Les articles L.111-7-10 et L.111-7-11 du code de la construction et de l’habitat prévoient une série de sanctions précises pour les structures qui ne se conformeraient pas aux obligations liées à la mise en œuvre des Ad’AP : de 1 500 à 5 000 € pour un retard ou un oubli de dépôt, l’imputation de la durée du dépassement sur celle de réalisation de l’Ad’AP, ou encore l’abrogation de la validation de l’Ad’AP, la mise en demeure du maître d’ouvrage ou la fixation d’une sanction pécuniaire en cas de non-respect des engagements. Des sanctions restées jusqu’à présent théoriques, faute de décret d’application. Soumis à l’examen du Conseil d’Etat, celui-ci pourrait être publié « au premier trimestre 2016 », indique la DMA.
« Politiquement, il était important que l’Adapei 53 dépose son Ad’AP parmi les premiers. Question de cohérence. Nous l’avons donc déposé en mai, après huit mois de travaux préparatoires qui ont impliqué toutes les strates de la hiérarchie. Sur nos 16 ERP, six étaient déjà accessibles au regard de la réglementation. Pour les dix autres, la préparation de l’Ad’AP a été l’occasion de questionner leur usage à moyen et à long terme, en fonction de la population accueillie, de l’évolution des modes d’accompagnement… Par exemple, la norme “accessibilité” autorise l’implantation de baignoires. De notre point de vue, une baignoire, même adaptée, constitue un danger pour des personnes handicapées vieillissantes – ainsi qu’une contrainte très lourde pour les professionnels, qui doivent aider les résidents dans leurs gestes d’hygiène corporelle. Donc, quitte à revoir l’aménagement d’un bâtiment, autant installer directement des douches, ce qui favorisera également l’autonomie des personnes accueillies. Pour les trois bâtiments dont nous sommes locataires, cette logique se heurte à celle des bailleurs. C’est à eux qu’il incombe de déposer l’Ad’AP. Or les bailleurs se positionnent uniquement sur l’entretien des locaux, et pas dans une perspective médico-sociale. Il va sans dire que le coût des travaux n’est pas du tout le même ! Nous comprenons parfaitement cette logique, mais cela ne nous empêchera pas de négocier avec eux dans les mois à venir. De toute façon, je ne pense pas que nous réaliserons notre Ad’AP à la virgule près. Par exemple, l’un de nos instituts médico-éducatifs, implanté dans un bâtiment des années 1970, nécessiterait pour 400 000 € de travaux. A côté, nous disposons d’un projet architectural de 1,7 million. En l’intégrant dans notre contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, nous incluons de fait l’accessibilité dans notre projet. En fait, l’agenda a surtout permis de réinterroger l’association sur son patrimoine, et d’ouvrir des perspectives au regard des personnes qu’elle accueille et accompagne. »