Moins nombreuses que les hommes(1), les femmes en situation de rue sont plus stigmatisées qu’eux. Elles sont également mises en danger de manière plus importante. « C’est très dur pour les femmes. […] Il y a les viols, les bagarres, la boisson, tout confondu », témoigne l’une de ces exclues qui a participé à une passionnante enquête réalisée par l’association grenobloise Femmes SDF pour son dixième anniversaire(2). Dans la rue, « j’ai l’impression d’être un bout de viande fraîche face à des loups », résume une autre, cependant qu’une troisième confie qu’il est « important d’avoir un lieu pour se protéger, être en sécurité ». Cet espace où lâcher prise, l’association Femmes SDF l’avait ouvert à Grenoble en 2005. Au vu de sa fréquentation, qui a été multipliée par quatre depuis l’ouverture – avec un public constitué pour moitié de femmes de plus de 40 ans –, cet accueil de jour, baptisé Local des femmes, a largement fait la preuve de son utilité.
« Il manquait un lieu spécifique pour les femmes, […] un lieu où elles pouvaient se retrouver, retrouver leur féminité entre autres, se faire du bien, retrouver la paix, ne pas être agressées », commente Marie-Jo Chappot, cofondatrice de l’association avec Marie-Claire Vanneuville. Dans une recherche-action menée avec des femmes en errance(3), les stratégies de protection des intéressées, qui contribuent à les rendre invisibles dans l’espace public et inexistantes pour les dispositifs d’aide, avaient notamment été mises en évidence. C’est donc à la fois pour répondre aux besoins particuliers des femmes en situation de rue ou de « débrouille » et pour attirer l’attention sur leur problématique singulière que le Local des femmes s’est monté. A l’origine, cette « approche genrée » du sans-abrisme n’a pas été sans faire débat chez les professionnels du social. « L’entre-soi féminin dérange quand il est posé comme un principe », constatent Maïwenn Abjean, directrice de Femmes SDF, et Elodie Jouve, chargée de mission à la MRIE (mission régionale d’information sur l’exclusion) Rhône-Alpes, rédactrices de l’enquête effectuée pour l’anniversaire du local. « Même s’il y a, dans tous les univers sociaux, des espaces où la mixité est mise de côté, cela est rarement affiché clairement. Ce sont les usages et pratiques qui enseignent à chacun, selon son sexe, les lieux dans lesquels sa présence est légitime. » Néanmoins, les entre-soi féminins semblent questionner davantage que les entre-soi masculins. « En effet, à travers la France, de nombreux lieux destinés aux personnes SDF, que ce soit des accueils de jour ou des structures d’hébergement, sont non mixtes et, parmi eux, beaucoup ne s’adressent qu’aux hommes et ne sont pas remis en question », font observer les auteures.
Les réticences des débuts ont été travaillées et discutées, le projet ardemment argumenté et défendu. Aujourd’hui, ce qui était considéré comme une « approche catégorielle » ne suscite plus le rejet ou l’incompréhension. L’existence de Femmes SDF et la réalité de leurs problèmes particuliers ne sont plus niées. Une reconnaissance qui ne trouve pas, néanmoins, forcément sa traduction en termes d’actions dédiées.
(1) En 2012, les femmes représentaient 38 % des sans-domicile francophones des agglomérations d’au moins 20 000 habitants – INSEE Première n° 1455 – Juillet 2013.
(2) Finalisée en octobre 2015, cette enquête s’appuie sur des entretiens réalisés par Claire Chabal, alors étudiante en sciences politiques, avec des femmes et des hommes en situation de rue ou d’exclusion, des professionnels du social, des acteurs du secteur et des responsables politiques.
(3) Femmes en errance. De la survie à l’existence – Ed. Chronique sociale, 2004.