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Le pôle territorial de coopération économique, un outil à saisir ?

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Formaliser la coopération d’acteurs divers en vue du développement économique et social d’un territoire dans une démarche d’économie sociale et solidaire, tel est le pari des pôles territoriaux de coopération économique. Mais les acteurs du secteur social et médico-social, excepté les structures de l’insertion par l’activité économique, s’y investissent encore timidement.

Dans un contexte de raréfaction des financements et d’accroissement des besoins sociaux, les regroupements associatifs ont le vent en poupe. De la fusion au groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS), il existe diverses formules adaptées aux associations du secteur social et médico-social. Petits nouveaux sur ce terrain, les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) mettent, quant à eux, l’accent sur l’axe économique et supposent l’adhésion d’entreprises du secteur privé.

Le dispositif – qui a émergé en 2009 avec un premier appel à projets en 2013 (voir encadré, page 19) – est inscrit dans la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS)(1). Selon son article 9, les PTCE « sont constitués par le regroupement sur un même territoire d’entreprises de l’économie sociale et solidaire […], qui s’associent à des entreprises, en lien avec des collectivités territoriales et leurs groupements, des centres de recherche, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, des organismes de formation ou toute autre personne physique ou morale pour mettre en œuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou technologiquement, et porteurs d’un développement local durable ». Les modalités du soutien par l’Etat sont également précisées. Les PTCE font l’objet d’un second appel à projets interministériel doté d’une enveloppe de 2,7 millions d’euros depuis le 21 avril dernier(2).

« La reconnaissance par la loi ESS, qui sécurise juridiquement ces initiatives et leurs financements, constitue une incitation forte pour les acteurs », se réjouit Aurélien Ducloux, chargé de mission à la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). « La formule offre désormais une pérennité qui permet aux acteurs intéressés de s’engager vraiment », estime Laurent Pinet, directeur d’Ulisse, un groupe économique solidaire grenoblois à l’initiative du pôle AlpEn, qui a répondu à l’appel à projets : « Si nous sommes lauréats, les financements de l’Etat s’ajouteront à ceux du conseil régional, ce qui nous permettra de boucler notre budget pour les deux ans à venir. Sinon nous retarderons la mise en œuvre de certaines actions, le temps d’aller chercher d’autres soutiens financiers… »

Les avantages de la démarche sont nombreux : le PTCE permet de mutualiser les fonctions support (ressources humaines, communication, informatique…) et d’investir dans du matériel ou des services communs (achats groupés, plateforme de transports partagés, location de salles…). « Par-delà ces économies d’échelle, les liens établis avec la recherche par le biais des partenaires que sont les organismes de formation, les laboratoires de recherche ou les universités sont également précieux pour avoir une vision stratégique du territoire et innover en matière de projets », avance Morgane Dor, conseillère technique à l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). Les structures membres gagnent également en capacité de négociation et en visibilité : répondre à un appel d’offres de façon collégiale a plus de poids que seul dans son coin. Surtout, la formule organise la coordination des acteurs locaux pour répondre aux besoins spécifiques d’un territoire en créant de nouvelles activités adaptées. « En mettant autour de la table des acteurs qui ne se parlaient pas forcément, la démarche redynamise un territoire. L’impact social et économique est d’autant plus important que ce dernier est défavorisé », affirme Aurélien Ducloux.

En impulsant une dynamique vertueuse, les PTCE seraient ainsi profitables à tous. « Toute la question est de savoir comment les associations du social et du médico-social peuvent s’insérer dans cette formule sachant que ce sont avant tout des regroupements économiques », pointe toutefois Morgane Dor. Et même s’il s’agit d’apporter des réponses socialement innovantes. Dans le cahier des charges du nouvel appel à projets, la notion d’utilité sociale(3) a d’ailleurs disparu. Rien d’étonnant pour Morgane Dor puisque « les PTCE ont été pensés pour les entreprises sociales [4], et non pour les associations. Ceci dit, cette disparition pose question puisque la loi ESS a imposé un cadre unique pour les unes et les autres… »

La finalité économique ne suffit toutefois pas à expliquer que le secteur reste, pour l’instant, largement en retrait du dispositif. Des facteurs plus techniques expliquent aussi le manque d’enthousiasme – en particulier les critères restrictifs du dernier appel à projets. Les projets sélectionnés en priorité sont ceux « dont le modèle économique assure un fort autofinancement au cours de la troisième année ». « Trois ans, c’est très court pour s’installer sur un territoire », souligne Morgane Dor. « Ce critère implique que le PTCE crée des services et rencontre une demande solvable, ce qui l’éloigne de la dimension de cohésion sociale et le tire vers la dimension économique », ajoute Carole Ringaud, directrice de l’association Rhéso (voir page 21).

Autre contrainte : pour être éligible, un pôle doit être constitué de trois entités au moins, dont une structure de l’ESS, une entreprise ordinaire et une autre structure (collectivité territoriale, établissement de recherche…). « Or certains pôles en construction n’ont pas encore intégré de collectivités territoriales ou d’entreprises », observe Françoise Bernon, déléguée générale du Labo de l’ESS.

L’imprécision de l’appel à projets constitue un frein supplémentaire. L’évaluation du précédent appel à projets a certes donné lieu à des efforts de cadrage – proposition d’une trame pour le dossier de candidature, précision des critères de sélection, modèle-type de plan de financement… –, mais la nouvelle mouture « reste assez vague, remarque Morgane Dor. La fusion entre associations, calquée sur le modèle qui existe pour les entreprises, est bien plus sécurisée juridiquement. »

La gouvernance des pôles pose aussi question. « C’est un chantier en friche. Il n’y a pas de modèle type : chaque PTCE peut opter pour une association, une société coopérative de production (SCOP), une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC)… », explique Aurélien Ducloux. A cela s’ajouterait la rigidité du secteur social et médico-social, très encadré : « En tant que gestionnaires de services, peu ont la capacité d’innover et de prendre des risques », pointe Anne-Claire Pignal, ex-responsable de la recherche et de l’innovation sociale au Coorace.

Seul le champ de l’insertion par l’activité économique (IAE) s’est saisi du dispositif. Pour des raisons historiques : le Coorace, qui fédère en majorité des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE), fait partie des acteurs qui ont participé à la genèse de la formule. Mais aussi pour des raisons stratégiques : « C’est logique : les structures de l’IAE ont l’emploi et la revitalisation économique d’un territoire dans leurs gènes et ce sont des acteurs économiques du territoire depuis toujours », précise Anne-Claire Pignal.

Les PTCE ont en particulier l’avantage de favoriser l’émergence de filières dans des secteurs d’activité (économie verte, écoconstruction, nouvelles technologies…) déjà investis par l’IAE. C’est le cas du pôle RE-sources dans les Alpilles (Bouches-du-Rhône) autour de l’évitement des déchets. Lauréat de l’appel à projets 2013, il regroupe une dizaine de structures de l’ESS, une entreprise de recyclage de cartons et un organisme de formation. L’activité de ramassage et de traitement local des cartons ainsi que la revente de textiles fonctionnent via des ateliers chantiers d’insertion (ACI). Au début 2016, une ressourcerie doit ouvrir ses portes à Arles. En projet également : un ACI de broyage-paillage des déchets aux particuliers. « Dès qu’on identifie un besoin sur le territoire en matière de déchets, on réfléchit à la façon d’y répondre localement et collectivement », explique François Sandoz, chargé de projet.

Autre atout : les PTCE facilitent le parcours d’insertion des bénéficiaires. Impulsé par Ulisse, qui regroupe quatre structures d’insertion par l’activité économique(5), le pôle AlpEn fédère autour de quelques acteurs de l’ESS des entreprises comme Schneider Electric, des collectivités territoriales (Grenoble, Grenoble Alpes Métropole, le conseil départemental de l’Isère, la région Rhône-Alpes), le centre communal d’action sociale (CCAS) et l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble. Spécialisé dans la lutte contre la précarité énergétique, il offre des services communs s’appuyant sur les compétences complémentaires des membres (par exemple, des travaux de rénovation énergétique) et expérimente de nouveaux produits (comme des thermostats intelligents). Pour Ulisse, l’intérêt est tout trouvé en termes de débouchés : son ACI peut participer aux nouveaux chantiers de rénovation thermique et son entreprise d’insertion, qui propose un accompagnement à la maîtrise de l’énergie pour des ménages en précarité, réaliser des diagnostics énergétiques à domicile. En outre, les produits innovants de Schneider Electric devraient générer des emplois auxquels pourront postuler les salariés en insertion. « Cette synergie conduit à diversifier leurs compétences pour sortir des débouchés traditionnels de l’IAE – bâtiment, services à la personne, espaces verts… – et éventuellement aller vers des contrats de droit commun : c’est une ouverture extraordinaire », se réjouit le directeur Laurent Pinet.

AlpEn a la particularité de rayonner au-delà de l’IAE puisque deux associations gestionnaires de centres d’hébergement et de réinsertion sociale, Le Relais Ozanam et L’Oiseau bleu, font aussi partie de l’aventure : une part de leur public, logée en diffus dans le parc locatif, a besoin d’être accompagnée en matière de maîtrise énergétique pour s’approprier son habitat. « Cela n’est toutefois pas la seule porte d’entrée dans le pôle, explique Francis Silvente, directeur du Relais Ozanam et président de la FNARS Rhône-Alpes. La démarche nous permet aussi d’envisager des solutions d’insertion professionnelle par le biais des SIAE d’Ulisse : certains de nos usagers pourraient intégrer l’entreprise d’insertion d’Ulisse et intervenir à leur tour auprès de leurs pairs pour réaliser des diagnostics énergétiques. »

Ce cycle vertueux, on le retrouve au sein de l’association « Solutions alternatives et solidaires en Limousin » (SolASol), qui a aussi répondu à l’appel à projets de 2015. La coopération entre les acteurs du pôle, à l’origine d’activités nouvelles autour notamment du traitement des archives et du maraîchage, devrait générer des débouchés supplémentaires pour les adultes handicapés des établissements et services d’aide par le travail (ESAT) de l’Adapei 23 autour de deux axes : la numérisation des archives des partenaires et la transformation des légumes de deux ACI et d’un ESAT de maraîchage adhérents à SolASol. « Les structures du travail protégé ont tout avantage à intégrer ces pôles dans la mesure où elles s’inscrivent dans des filières locales d’activité, ont besoin de formation professionnelle et recherchent en permanence des débouchés », estime Didier Arnal, directeur général adjoint de la Fegapei (Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et fragiles).

Fluidifier l’insertion professionnelle des usagers, sortir des logiques de dispositifs et de ciblage des publics, assurer la continuité des parcours, telles sont les raisons invoquées par l’ADSEA (Association départementale pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence) de la Drôme pour expliquer son partenariat avec Pôle Sud Archer. Le pôle territorial de coopération économique (lauréat de l’appel à projets 2013), qui fédère des acteurs de l’ESS (ADIE, Coorace, l’Urscop, un organisme de formation, un regroupement d’associations pour le maintien de l’agriculture paysanne, une association d’entreprises…) autour du groupe économique solidaire Archer, allie IAE et développement de partenariats économiques locaux. « S’y impliquer constitue pour nous un levier pour que les efforts éducatifs réalisés auprès des jeunes que nous suivons débouchent sur une insertion professionnelle grâce aux entreprises et SIAE du pôle. C’est une façon de considérer l’avenir de ces jeunes », observe Nadia Zeghmar, directrice de l’ADSEA.

Comme elle, ceux qui se lancent dans l’aventure sont convaincus que les PTCE sont un formidable outil de décloisonnement des secteurs où s’élabore un langage commun. Pour accompagner cette révolution culturelle, qui doit aussi faire fi des blocages idéologiques concernant la coopération avec le secteur marchand, les têtes de réseaux nationaux se montrent à la fois intéressées et vigilantes : en veille sur le sujet, la FNARS capitalise pour l’instant les expériences de cette « boîte à outils encore à explorer », selon les termes de Francis Silvente. A l’Uniopss, la démarche a fait notamment l’objet d’une fiche technique pour informer ses adhérents et de déplacements dans les régions pour les sensibiliser. La Fegapei accompagne également ses membres sur le sujet.

Selon Françoise Bernon, l’appropriation des PTCE par le secteur social et médico-social est une question de temps : « Je suis convaincue qu’ils vont devenir des leviers incontournables mais cela suppose d’apprendre à travailler avec des acteurs économiques nouveaux, dans une logique de services et de production dont il n’a pas l’habitude. » Pour accélérer le processus, « il faudrait toutefois que le gouvernement apporte quelques adaptations à la démarche, en particulier en ce qui concerne les autorisations des tutelles [6] », plaide Morgane Dor. A partir des remontées des adhérents, l’Uniopss prévoit d’ailleurs d’interpeller les pouvoirs publics pour améliorer le prochain appel à projets dans un sens plus favorable au secteur.

Un dispositif récent

C’est en 2009 que les premières tentatives de structuration des PTCE se mettent en place à l’initiative du Labo de l’économie sociale et solidaire (ESS)(7), qui en donne une première définition : un PTCE est « un regroupement, sur un territoire donné, d’initiatives, d’entreprises et de réseaux de l’économie sociale et solidaire associé à des PME socialement responsables, des collectivités locales, des centres de recherche et organismes de formation, qui met en œuvre une stratégie commune et continue de coopération et de mutualisation au service de projets économiques innovants de développement local durable ». A la fin 2010, la réflexion débouche sur des propositions d’expérimentation(8). Une vingtaine de pôles témoins sont identifiés en 2012 dans la perspective d’élaborer un référentiel d’action commun. La même année en juin, une première journée nationale formalise une proposition pour accompagner et promouvoir les PTCE. En juillet 2013, est lancé un premier appel à projets national soutenu par plusieurs ministères (Economie sociale et solidaire, Redressement productif, Logement et Egalité des territoires) et la Caisse des dépôts et consignations. Reconnus par la loi sur l’ESS en 2014, les PTCE ont fait l’objet d’un second appel à projets national en avril 2015 : 124 candidats ont répondu. Une vingtaine de pôles « en construction » ou « en consolidation » devrait être retenue le 14 janvier prochain.

Encadrer sans figer la démarche

Si la marque et le logo PTCE ont été déposés en janvier 2013 par Le Labo de l’ESS, il n’existe pas de label proprement dit. « Etre retenu dans le cadre du dernier appel à projets national n’équivaut absolument pas à une labellisation », rappelle Françoise Bernon, du Labo de l’ESS. Le cahier des charges indique d’ailleurs clairement qu’il n’est pas besoin d’être lauréat pour opter pour l’appellation de PTCE. Aurélien Ducloux, chargé de mission à la FNARS, pointe toutefois le « risque d’un système à deux vitesses, avec d’un côté, les “vrais PTCE” retenus par l’appel à projets et, de l’autre, ceux qui ne sont pas lauréats. Un label permettrait de mieux circonscrire les pratiques, de cibler les financements et d’évaluer plus facilement. C’est pourquoi les pouvoirs publics peuvent être tentés d’aller en ce sens : le piège, c’est que cela tuerait les initiatives. » Et figerait une démarche en évolution permanente. « La souplesse et la créativité des pôles reposent sur le fait qu’ils ne sont jamais décrétés d’en haut », souligne Nadia Zeghmar, de l’ADSEA 26. C’est pourquoi, selon Françoise Bernon, « il faut veiller à ne pas fermer la définition des pôles et donner leur place aux acteurs qui adoptent cette démarche nouvelle sans respecter à la lettre l’article 9 de la loi ESS ». Plutôt qu’un label, Le Labo de l’ESS a donc élaboré une charte(9) signée par une cinquantaine de pôles(10), qui affirme les valeurs, les finalités et les principes d’action de la démarche. Elle met en avant la valorisation du patrimoine local et des ressources humaines, naturelles, matérielles, culturelles et financières du territoire, la « solidarité en actes aux niveaux local et global », « la recherche d’innovations sociales », « l’ancrage territorial des activités économiques, dans un espace caractérisé par la coopération entre parties prenantes », une « gouvernance démocratique »…

Notes

(1) Voir ASH n° 2887 du 12-12-14, p. 51.

(2) Voir ASH n° 2908 du 1-05-15, p. 39.

(3) Qui était présente dans l’appel à projets de 2013.

(4) L’article 1er de la loi ESS définit les conditions pour qu’une société commerciale obtiennent le statut d’« entreprise de l’économie sociale et solidaire ».

(5) Un atelier et chantier d’insertion (Ulisse Grenoble solidarité), une association intermédiaire (Ulisse services), une entreprise de travail temporaire d’insertion (Ulisse intérim), une entreprise d’insertion (Ulisse énergie).

(6) Rien n’est en effet précisé en la matière, contrairement au GCSMS, pour lequel il suffit que l’un des partenaires ait une autorisation pour que, après accord de la tutelle, l’ensemble du groupement puisse l’utiliser.

(7) Qui anime un comité de pilotage national composé du Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire, du Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale, du Coorace et du Mouvement pour l’économie solidaire.

(8) Publiées dans « Pour une autre économie » – Hors-série Alternatives économiques n° 46 bis – Novembre 2010.

(9) En ligne sur www.lelabo-ess.org – rubrique « Nos programmes »/« Pôles territoriaux de coopération économique ».

(10) Selon Le Labo de l’ESS, il existerait environ 200 PTCE, en activité ou en construction.

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