C’est un autre pays, auquel on accède par des passages secrets, un monde parallèle régi par une culture différente, où les gens s’expriment avec les mains. C’est le monde des sourds, que nous présente Lætitia Carton. La réalisatrice est entendante. Dans les années 1990, elle a commencé à apprendre la langue des signes et a cherché des amis sourds signeurs avec lesquels communiquer. Elle a rencontré Vincent, qui lui a ouvert la porte de ce monde invisible. Il lui a aussi expliqué les obstacles qui jalonnaient la vie des personnes malentendantes. Il y a dix ans, Vincent est mort. Lætitia Carton a voulu prendre des nouvelles de son pays. Alors, caméra à l’épaule, elle a traversé la France pendant une décennie, de Paris à Clermont-Ferrand, de Lyon à Toulon… Monté à partir de 200 heures de rush, son film est clair et précis – on ne perd jamais le fil des différentes histoires. Il y a celle de Stéphane, professeur de langue des signes, marié à une interprète, que Lætitia Carton filme en train de raconter, à sa façon, des histoires à ses enfants avant qu’ils s’endorment. La réalisatrice immortalise aussi ses discussions avec Sandrine – la première sourde qu’elle a croisée, à l’âge de 10 ans – sur l’éducation oraliste qu’on lui a imposée. Ils sont nombreux, dans le documentaire J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd, à expliquer leur rejet de cette oralisation qui leur demandait tant d’efforts alors qu’ils préfèrent s’exprimer avec leurs mains. Selon eux, la surdité n’est pas un handicap. « On a un problème d’oreille, et alors ? », lâche une des amies de la documentariste. Celle-ci filme aussi Patrick et sa bande de militants, qui battent la campagne de Paris à Milan pour se faire « entendre ». On découvre également l’élection de Miss Sourde, les parents du petit Simon qui hésitent à lui faire poser un implant, et on assiste à un banquet de sourds. Ce riche documentaire, que la réalisatrice qualifie de « politique », parle avant tout de l’exclusion de ce « peuple » qui lutte pour son identité, et du mal-être des sourds dans cette société qui a tendance à décider pour eux.
J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd
Lætitia Carton – 1 h 45 – En salles le 20 janvier