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« La prévention spécialisée a sa place dans les politiques de sécurité »

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Un an après avoir remis un rapport sur les liens entre prévention spécialisée et prévention de la délinquance(1), la sociologue Véronique Le Goaziou tire à nouveau le signal d’alarme dans un ouvrage nourri de nombreuses rencontres de terrain. La prévention spécialisée, affirme-t-elle, doit sortir de son isolement et revenir vers un travail éducatif communautaire.
Entre 2012 et 2013, vous avez piloté un rapport de l’ORDCS(2) sur la thématique de la prévention spécialisée et de la prévention de la délinquance. Quelles en étaient les grandes lignes ?

Son principal enseignement était que la prévention spécialisée possède toutes les armes nécessaires pour s’inscrire dans le champ de la prévention de la délinquance. Elle est outillée pour cela, par son expérience, ses pratiques, ses territoires d’intervention. J’irais même jusqu’à dire qu’elle a sa place dans ce que l’on nomme les politiques de sécurité. Malheureusement, beaucoup d’associations de prévention spécialisée n’osent pas s’impliquer dans ces thématiques, à tort selon moi, car autrement les pouvoirs publics risquent de faire appel à d’autres intervenants, et elles se feront progressivement évincer des politiques territoriales à destination de la jeunesse.

Comment avait été reçu ce rapport ?

Positivement, me semble-t-il, même s’il avait bousculé les acteurs du secteur. J’expliquais en effet que, si la prévention spécialisée voulait aller sur le terrain de la prévention de la délinquance, il fallait qu’elle réfléchisse à ses pratiques mais aussi à son vocabulaire, à ses valeurs et surtout à sa communication et à son affichage. Certaines équipes ont en effet trop longtemps travaillé dans l’ombre, et plus le débat public se faisait intense autour d’elles sur les questions de prévention de la délinquance et de sécurité, plus elles avaient tendance à jouer la carte de l’enfouissement. Il est urgent pour la prévention spécialisée de développer un savoir-faire en matière de communication et de visibilité. Aujourd’hui, le « faire savoir » est fondamental. Bien sûr, les équipes de petite taille, qui travaillent à flux tendu, manquent de moyens pour ce faire, mais cela ne fait que renforcer la nécessité d’une mutualisation entre associations.

Vous avez participé à des restitutions de ce rapport un peu partout en France. Quel regard avez-vous porté sur les professionnels de la prévention ?

D’un territoire à l’autre, parfois même d’une équipe à l’autre, on a l’impression de n’être pas dans le même monde. Je me souviens d’un département où certaines associations parlaient de la question du transfert et du contre-transfert dans la relation aux jeunes, dans une approche très psychanalytique, tandis que d’autres se situaient davantage dans une intervention sociale communautaire. Ces différences de position entre équipes sur un même territoire étaient sidérantes. D’une façon globale, ce tour d’horizon n’était pas très positif, car la profession apparaît réellement en danger. Dès avant 2013, un certain nombre de départements avaient commencé à réduire les financements des associations, et cela n’a fait que s’amplifier depuis. Par endroits, la prévention spécialisée n’existe plus. Ailleurs, c’est la chronique d’une mort annoncée, et là où les équipes se maintiennent, elles doivent faire face à des commandes qui ne sont pas loin de travestir le sens de leurs pratiques. Par exemple, on leur demande de ne plus travailler avec les jeunes âgés de plus de 16 ans, sous prétexte qu’ils n’entrent plus dans le champ de la protection de l’enfance… Bien sûr, il reste des territoires où les équipes se portent bien. Je pense à Marseille, un cas de figure un peu particulier, mais aussi à la région de Saint-Etienne, où les élus laissent les éducateurs travailler. Mais ceux-ci sont souvent proactifs et vont eux-mêmes au-devant des commandes publiques qui sont aussi l’expression de la demande sociale.

Observez-vous un lien entre la couleur politique du département et la santé des équipes ?

On aurait pu penser que les assemblées départementales de gauche soutiendraient davantage la prévention spécialisée. Pourtant, même si nous n’avons pas réalisé une étude exhaustive sur cette question, ce n’est pas aussi simple. Dans les Alpes-Maritimes, un département situé à droite depuis longtemps, la prévention est clairement moribonde, mais le Gard, département dirigé par la gauche, ne soutient pas non plus la prévention. Ses élus font même preuve d’une grande méconnaissance du travail mené par les équipes. Il est toutefois déroutant de constater que l’affichage politique parfois très sécuritaire des responsables politiques, avec des annonces d’installation de caméras vidéo, de création de police municipale – surtout avant les élections – ne se traduit pas toujours dans les faits. Certaines assemblées départementales qui affichent une forme de dédain à l’égard de la prévention spécialisée et de l’intervention éducative en général font quand même appel aux éducateurs, car elles n’ont pas vraiment d’autres solutions. Les élus ont bien conscience que, sans ces intervenants de terrain, la situation se dégraderait encore plus.

Certains conseils généraux exhortent les éducateurs de prévention à développer des actions de médiation. N’y a-t-il pas là un risque de confusion des genres ?

Des équipes sont déjà engagées dans le champ de la médiation, soit en créant des postes de médiateurs en leur sein, soit en nouant des partenariats avec d’autres structures. Il existe de nombreuses façons de faire de la médiation, mais l’expertise et les ressources de la prévention peuvent tout à fait être mises au service de ce type d’approche. C’est un défi pour les équipes qui, pour le relever, doivent affronter les problèmes là où ils sont plutôt que de rester cantonnées à leur périmètre habituel, toujours avec la même approche individuelle. Il faut qu’elles acceptent de faire bouger leurs propres lignes en remettant du collectif dans leurs interventions et en travaillant dans un horizon temporel plus court.

Vous insistez sur l’importance de la taille des associations dans leur capacité à se maintenir…

Là aussi, il faudrait enquêter sérieusement pour confirmer ces impressions, mais il semblerait que les associations les plus grandes soient aussi celles qui s’en sortent le mieux. Les petites équipes ont donc tout intérêt à s’allier avec d’autres. Certaines tentent d’ailleurs de le faire, mais elles ont parfois beaucoup de mal à nouer ces alliances car il est toujours plus facile de rester dans son coin. Lorsque l’on confronte son point de vue avec celui des autres, il faut accepter que ceux-ci s’intéressent à notre façon de travailler. Beaucoup trop d’équipes, et pas seulement de prévention spécialisée, veulent continuer à travailler dans leur coin sans avoir véritablement à rendre de comptes. Mais je crains qu’elles ne finissent par disparaître.

La montée actuelle du thème de la déradicalisation représente-t-elle une « chance » pour la prévention ?

Dès les attentats de janvier 2015, tous les intervenants sociaux ont été interpellés par les politiques en quête de solutions. Ce premier mouvement de panique va-t-il se traduire dans les faits ? Sans doute dans certains territoires où la prévention avait déjà commencé à s’emparer du thème de la déradicalisation religieuse. Mais entre l’interpellation initiale par les politiques et la mise en place concrète de dispositifs, l’écart est grand. D’autant que la question de la déradicalisation bouscule le registre habituel de la prévention spécialisée. Elle peut se lire à l’aune d’un processus individuel mais elle comporte aussi une dimension collective, et je pense que c’est sur ce point que la prévention a une carte à jouer, en renouant avec l’intervention communautaire et le travail avec les groupes. Je suis convaincue qu’on ne peut pas agir sur la radicalisation religieuse si l’on ne tient pas compte des logiques de groupes et des logiques identitaires.

L’un des principaux obstacles auxquels se heurtent les éducateurs, selon vous peut-être le seul rédhibitoire, est la question de l’insertion. Mais que peuvent-ils faire ?

Sans doute ni plus ni moins que les autres intervenants sociaux et éducatifs. Autrefois, dans un contexte économique plus favorable, la prévention avait su s’emparer de cette question. Aujourd’hui, toutes les politiques sont en panne dans ce domaine et – ce n’est pas un scoop – l’insertion socioprofessionnelle est l’un des défis majeurs pour l’intervention sociale et éducative. Le but ultime de la prévention spécialisée est quand même de permettre à des jeunes qui vont mal, ou qui risquent d’aller mal, d’aller mieux. Et quelle meilleure solution que l’entrée dans l’âge adulte, autrement dit la possibilité de trouver un logement, de pouvoir travailler et de fonder une famille ?

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

La sociologue Véronique Le Goaziou est chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de sociologie (LAMES-CNRS). Elle publie Eduquer dans la rue (Ed. Presses de l’EHESP, 2015). Elle a également codirigé, avec Laurent Mucchielli, Quand les banlieues brûlent. Retour sur les émeutes de novembre 2005 (Ed. La Découverte, 2007).

Notes

(1) « Prévention spécialisée et prévention de la délinquance : liens, obstacles et enjeux » – Voir ASH n° 2851 du 14-03-14, p. 17.

(2) Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux, en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

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