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Quel travail social auprès des artistes pauvres ?

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L’insertion professionnelle des artistes en difficulté requiert une expertise spécifique. Certains conseils départementaux, comme ceux de Loire-Atlantique et des Vosges, la confient à des associations culturelles.

Nitcho Reinhardt, 27 ans, est un virtuose de la guitare. Depuis quelques années, il est demandé dans des festivals internationaux. Rien n’était acquis en 2007, à Verdun, quand Hubert Haton, éducateur à l’Association meusienne d’information et d’entraide (AMIE), qui comprend un foyer d’hébergement, un atelier d’insertion, et accompagne notamment les gens du voyage, prend connaissance de son désir de vivre avec ses frères de sa passion. « Ils faisaient déjà des petits concerts. Je voyais le don de Nitcho, qui ne faisait pas qu’interpréter. Il composait. Cela aurait été dommage de vivre des minima sociaux ou de petits boulots », se souvient-il.

Il conseille au groupe, dans un premier temps, de se constituer en association, afin de pouvoir facturer leurs concerts légalement et de créer un compte bancaire dédié. Il l’oriente vers la salle des musiques actuelles locale, qui comprend un centre de ressources. Nitcho dépose ses musiques à la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) et entreprend les démarches pour devenir intermittent du spectacle. « Au départ, ces aspects administratifs me semblaient compliqués. Beaucoup de manouches comme moi sont doués, mais ne se lancent pas dans l’intermittence. Car, sans savoir s’ils réussiront à réunir les cachets, ils doivent payer les charges de ceux déjà touchés. Dans l’éventualité où ils n’obtiennent pas le statut, cela leur rapporte beaucoup moins », commente Nitcho Reinhardt. Désormais intermittent et bénéficiant des indemnités chômage, il peut se consacrer à sa carrière.

L’éducateur, Hubert Haton, a pu s’appuyer sur ses relations personnelles pour l’orienter. Mais accompagner des artistes quand on est un travailleur social n’a rien d’évident, d’autant que les cas sont trop rares pour développer une véritable expertise.

C’est pourquoi le conseil départemental de Loire-Atlantique confie, depuis 2007, l’accompagnement professionnel des artistes du spectacle vivant allocataires du RSA ou en emplois aidés à l’association Musique et danse en Loire-Atlantique – qu’il finance à 100 %. Au sein de cette dernière, Jérôme Soulié, ancien musicien et ancien manageur de groupe, qui a été consultant pour Pôle emploi, reçoit ces publics adressés par le service social départemental. Le dossier de diffusion est-il complet ? Faut-il envisager le tournage d’une vidéo de présentation ? Disposant d’ordinateurs avec des logiciels de montage, il les aide à réaliser leurs dossiers. Sont-ils bien au fait de la législation ? Connaissent-ils les rouages des demandes de subvention ? Quel est leur carnet d’adresses ? « Certains sont très talentueux, mais ne savent pas gérer leur carrière ou bien ne sont pas assez offensifs pour se vendre alors même que l’offre de spectacles est pléthorique », explique Jérôme Soulié, lequel les oriente, au besoin, vers des formations à la communication. Sur les 90 personnes qu’il accompagne chaque année de trois mois à un an, plus des deux tiers parviennent à trouver une solution, assure-t-il. Ce qui ne signifie pas que tous réussiront à vivre de leur art. « Pour certains, ce travail leur aura permis de comprendre que leur projet n’était pas viable au moins à court terme. Et ils acceptent, soulagés, une réorientation assumée. D’autres seront des semi-professionnels, très heureux de dégager 500 € par mois, qu’ils complèteront avec un travail alimentaire. » Selon lui, environ un tiers des départements s’appuieraient, pour l’accompagnement professionnel de ces publics, sur des structures du champ culturel(1).

Le conseil départemental des Vosges travaille, quant à lui, avec l’association Vosges arts vivants. Alain Bolmont, comédien, qui dirige aussi une association, y accompagne 65 personnes envoyées la plupart du temps par un assistant social du département. Avant tout, il commence par s’imprégner de leur univers et de leur état d’esprit : « S’il le faut, je reste trois ou quatre heures la première fois, toujours chez la personne. Je regarde ce qu’elle fait, le sens qu’elle donne à son travail, si elle théorise sa pratique, si elle a compris comment fonctionne le marché de l’art ». Alors que certains travailleurs sociaux ont tendance à encourager les artistes à chercher un emploi alimentaire, il sait que cela est souvent inaudible :« C’est pour beaucoup leur raison de vivre. Ils ne peuvent pas le faire comme une simple passion après le travail. » Comme Jérôme Soulié, il cherche des pistes, les oriente vers une formation complémentaire, les met en relation avec des structures susceptibles de leur donner de la visibilité. Il cite le cas d’un sculpteur sur bois de grand talent : « Il proposait ses œuvres sur les marchés, à un tarif dérisoire, mais avait pourtant très peu vendu depuis 20 ans. Il vivait des vendanges et des cueillettes. Il ne se reconnaissait même pas comme un artiste. Je lui ai obtenu une commande par un festival organisé par le conseil départemental dans les maisons de retraite. Il a gagné 500 €. Mais surtout, travailler avec une contrainte, pour un client, lui a fait un bien fou en termes d’estime de soi. Il a compris qu’il devait proposer son travail plus cher, et dans des centres culturels et des galeries. Depuis, il est en train de construire son réseau et commence à vendre à des prix corrects. Il est devenu force de proposition », se réjouit Alain Bolmont.

Mais ce n’est pas toujours possible. « Pour certaines personnes, l’art est leur façon de dire “laissez-moi tranquille”. Elles supporteraient très mal la critique, qui est pourtant incontournable quand on se professionnalise. » Il les réoriente alors vers une prise en charge sociale, tout en cherchant à valoriser leur savoir-faire : ces personnes peuvent, par exemple, concevoir des objets décoratifs pour un jardin d’insertion, ou présenter leur travail à des publics fragiles. 

Notes

(1) C’est le cas aussi de municipalités comme Paris, qui a créé en 2007 une plateforme pour l’insertion des artistes allocataires du RSA.

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