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« Le travail social rasséréné ? »

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Robert Lafore. Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

Le plan d’action interministériel en faveur du travail social et du développement social présenté le 21 octobre dernier(1) en conseil des ministres a suscité un sentiment de soulagement dans le secteur. Se présentant comme l’aboutissement des « états généraux du travail social » et de leurs cinq groupes de travail thématiques, ainsi que la suite du rapport « Bourguignon », construit en concertation entre les ministres chargés de ces questions et les associations des départements et des régions de France, il semble qu’il ait obtenu une forme de satisfecit global(2).

Il est vrai que, depuis la célèbre circulaire « Questiaux » de 1982(3), aucune orientation un tant soit peu mobilisatrice n’avait été définie ni même esquissée par les pouvoirs publics en direction de milieux professionnels qui se sentent tout autant mis à mal par les mutations engagées depuis plus de vingt ans que peu estimés par des responsables plus portés à les blâmer qu’à les soutenir.

Tout d’abord, le plan d’action comporte un certain nombre de mesures de revalorisation des carrières et des parcours professionnels des travailleurs sociaux, et surtout la levée du blocage historique des diplômes professionnels au niveau III pour les situer à partir de 2018 au niveau de la licence. L’effort, notamment pour ses effets de reclassements dans la catégorie A de la fonction publique, est tout à fait conséquent. Cela devra s’accompagner d’une réorganisation des formations, en particulier de leur articulation avec les diplômes universitaires de niveau II.

Ce qui, ensuite, ouvre un second chantier concernant les écoles de formation. Un processus de labellisation des établissements impliquant l’Etat et les régions va s’engager, sur la base d’un « cahier des charges », et il devrait conduire les écoles ainsi reconnues à délivrer elles-mêmes les diplômes. Ceux-ci seront redéfinis notamment autour d’un corpus commun de connaissances, dont les contours et le poids restent encore à définir. Tout cela induira évidemment des effets sur le nombre d’établissements qui sortiront de ce processus de réorganisation ainsi que sur les formes et contenus des formations, avec en embuscade la question des rapports avec les universités.

Sur le fond même du travail social, à savoir sur les conceptions et les finalités qui le définissent, deux axes principaux sont mis en avant. Le premier porte sur la « participation » des personnes concernées, qui doit être recherchée à tous niveaux de l’intervention sociale. Cela recouvre les « droits des usagers » dans leur conception déjà affirmée depuis la loi 2002-2, mais ouvre surtout une perspective relativement nouvelle : l’association des publics aux stades non plus seulement de la prise en charge individuelle, mais de l’élaboration, du suivi et de l’évaluation des politiques… Vaste sujet, qui remet en scène la question démocratique elle-même en posant à nouveau les problèmes de la représentation et de son contrôle, ou encore celle de la construction de l’« intérêt général ». Second axe, la résurgence de cette Arlésienne chère au milieu depuis au moins les années 1970 : le « développement social ». Coordination, travail en réseaux, territoires, participation, conférences de consensus locales, partage des informations, c’est toute la palette des thématiques connues qui revient en force. Reste à comprendre pourquoi ce qui, probablement, s’impose aujourd’hui encore plus fortement qu’hier se heurte toujours à tant de résistances ; pourquoi il est si difficile d’immerger les interventions dans les milieux qui les requièrent, de façon à faire prendre conscience, en décloisonnant les politiques publiques, des interdépendances qui solidarisent les « territoires » et qui conditionnent leur dynamisme.

Car au fond, tout l’enjeu est là : d’un travail social catégoriel, individualisé, sectorisé et cloisonné – qui a correspondu, certes, à l’état de la société des années 1960-1970 –, passer à des politiques transversales qui connectent l’éducation, la formation professionnelle, l’emploi, le logement, la santé, tout cela en structurant des espaces publics collectifs dans lesquels les citoyens, loin d’être infantilisés par la satisfaction de « besoins » qu’il suffirait d’extraire et de contenter, sont au contraire convoqués pour s’inventer un destin commun. Un nouveau « travail social », en quelque sorte, qui, prenant le terme dans son sens fort, contribuerait à mettre en travail la société pour qu’elle se pense et s’organise en conséquence. Si le plan d’action de 2015 crée les bases pour une telle évolution, il n’aura alors pas été inutile ; et si les travailleurs sociaux ont bien perçu cela, voilà tout au moins des perspectives mobilisatrices qui devraient redonner à tous un peu de la sérénité qui fait si souvent défaut dans nos débats.

Notes

(1) Voir ASH n° 2932 du 6-11-15, p. 67.

(2) Voir ASH n° 2931 du 30-10-15, p. 12.

(3) Voir ASH n° 2781 du 2-11-12, p. 28.

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