Il est entré au centre pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) – où les détenus sont des hommes condamnés à de longues peines –, au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes (Ille-et-Vilaine), à l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Porcheville (Yvelines) et dans les maisons d’arrêt de Douai (Nord) et de Fleury-Mérogis (Essonne) : partout, le dessinateur Tignous a pu croquer les détenus et les personnes qui les sur veillent. Des semaines de reportages et des mois de travail pour donner la parole et voir ce qui, d’ordinaire, est caché. Dans Murs murs, il a tracé au crayon des visages, mais aussi des parloirs, des réunions, des ateliers, des sorties, des repas. Il a recueilli des centaines de verbatims, qui se lisent comme autant de témoignages sur la vie derrière les barreaux. Il y a des phrases qui reviennent souvent – beaucoup de détenus se plaignent de devoir payer pour la télévision ou de ne pas pouvoir avoir de téléphone portable – et la question du bruit, encore et encore, entre les portes qui s’ouvrent et se ferment, les chasses d’eau, les sonneries et les cris – « le bruit, cause n° 1 des meurtres en prison », explique un surveillant.
La bande dessinée nous permet de mieux cerner ce lieu clos où cohabitent ceux qui sont enfermés et ceux qui rentrent le soir dans leur famille, des forts, des faibles, des habitués et des novices, des génies et des MacGyver, des illettrés et des alphabètes, des parents, des enfants, des personnes handicapées, des personnes transgenres, des personnes qui n’ont jamais travaillé de leur vie, des personnes qui ne pensent qu’à s’échapper et d’autres qui attendent que passent leur peine…
Et Tignous de s’attarder sur tous les professionnels qui « souffrent d’être tellement décriés », notamment les surveillants. Certains nostalgiques : « En vingt-cinq ans, la mentalité a beaucoup changé, à cause de Badinter, c’est lui qui a supprimé les hygiaphones dans les ? parloirs, depuis tout passe en fraude. » D’autres lucides : « Pas de cadre, pas de père, y’en a qu’on récupérera pas. » D’autres, encore, perspicaces : « Quand un détenu change de comportement, il faut s’interroger. »
Cette bande dessinée, Tignous n’a pas eu le temps de l’achever, victime de l’attentat de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Chloé Verlhac, son épouse, et le coloriste Pascal Gros y ont mis un point final, tandis que Christiane Taubira, garde des Sceaux, en a signé l’émouvante préface.
Murs murs
Tignous – Ed. Glénat – 25 €