« Au cœur de l’actualité, le travail social n’échappe pas aux questions qui secouent l’opinion », estime le Conseil supérieur du travail social (CSTS) dans un avis adopté le 9 décembre, lors de la dernière réunion de sa mandature, à l’issue d’une réflexion lancée en juin dernier à l’initiative de sa commission « éthique et déontologie ». Intitulé « La laïcité, un principe fondamental du travail social », cet avis a pour ambition d’exposer « en quoi les fondamentaux de la laïcité s’appliquent dans [la] pratique du travail social », en fournissant « des données claires et des conseils pour une appropriation de ce thème », sans traiter de situations particulières « ni du processus de radicalisation », mais en ouvrant « des pistes concrètes pour se positionner et des références pour approfondir ». Il s’inscrit cependant dans le contexte particulier de cette année 2015 marquée par « des attentats terroristes ainsi que par l’augmentation concomitante de l’intolérance et de pratiques radicales dans l’espace public », note le CSTS. Or « les travailleurs sociaux se trouvent impliqués par les personnes accompagnées jusque dans leurs opinions intimes ». L’enjeu de cet avis est donc « d’éviter tout malentendu » sur la compréhension de la laïcité dans le champ social, tout en précisant le « positionnement professionnel » à adopter.
S’adressant « aux travailleurs sociaux et autres intervenants de l’action sociale, confrontés à des questions de pratiques religieuses et de conflits d’opinions, qu’ils soient salariés ou bénévoles », l’avis du CSTS doit servir de support de réflexion « en vue de sa déclinaison concrète dans les différentes institutions, en fonction de leur mission, des publics accueillis et de leur contexte ». Ce texte s’attache d’abord à expliquer la laïcité en tant que « principe essentiel de la République en réponse aux questions posées par la liberté de pratiquer ou non un culte, au-delà de la liberté de conscience et de la liberté d’opinion ». Et affirme que « le principe de laïcité repose sur trois exigences indissociables » :
→ la liberté de conscience, dont la liberté religieuse n’est qu’un des aspects ;
→ l’égalité stricte des droits de tous, sans discrimination, privilège ni connotation incompatible avec le principe d’égalité ;
→ l’intérêt général comme raison d’être exclusive de la loi commune. « La laïcité affranchit de toute emprise exercée au nom d’une religion ou d’une idéologie particulière et préserve la société de tout morcellement », affirme le CSTS.
« Instaurant le respect des croyances et des non-croyances », ce principe implique par conséquent « la neutralité de l’Etat et des services publics face aux diverses convictions, c’est-à-dire le refus de jugement de valeur et de discrimination des citoyens (et tous autres résidents sur le territoire natisonal, quel que soit leur statut administratif) selon leurs options spirituelles ». Un postulat qui s’applique différemment selon le statut des intervenants, nuance le CSTS, puisque, « pour les fonctionnaires, la jurisprudence est claire, alors que pour les non-fonctionnaires, la question est traitée le plus souvent dans le cadre du règlement intérieur des institutions de droit privé qui se réfèrent à une mission d’intérêt général et non de service public ».
Toutefois, « la laïcité ne se limite pas à cette neutralité », mais remplit aussi la double fonction de promouvoir le bien commun et « d’assurer la cohésion sociale tout en garantissant la liberté des personnes ». Cependant, « la cohésion sociale est mise au défi de la diversité, voire mise en défaut vis-à-vis de cultures qui se méconnaissent et s’opposent parfois, du fait de la pluralité religieuse et des origines étrangères, mais aussi du fait des difficultés du modèle d’intégration, de visions divergentes entre générations, et d’échanges virtuels facilités par Internet au niveau mondial », poursuit l’avis, qui formule une série de recommandations destinées à guider les travailleurs sociaux.
Premier principe fondamental : « le travailleur social accepte les différences et reconnaît la diversité des croyances et opinions ». Il les respecte, « dans la mesure où chacun a pu librement les choisir », en prenant en compte « la diversité des parcours, notamment chez les adolescents », pour s’efforcer de « déchiffrer le sens des actes posés, notamment les passages à l’acte, les provocations et les ruptures ». Par ailleurs, « en écho à la neutralité de l’Etat dont il reçoit sa mission, tout intervenant dans le secteur social se doit d’adopter un positionnement neutre sur ces questions, c’est-à-dire observer, étudier objectivement et respecter, sans porter de jugement de valeur », ce qui « n’empêche pas de choisir entre les valeurs ou des principes opposés » et « ne dispense pas non plus d’affirmer la stricte égalité entre femmes et hommes ».
Sa neutralité impose en outre au travailleur social d’adopter « un positionnement volontairement impartial au nom de l’égalité de traitement », « un comportement professionnel laïque, quelles que soient ses convictions personnelles ». En revanche, il peut « cultiver la liberté de jugement et l’émancipation vis-à-vis d’emprises éventuelles » et « soutient la possibilité de changer d’opinion ou de croyance, au nom de la liberté de conscience enrichie par les informations permettant un regard critique ». Il veille « néanmoins à respecter les effets de l’éducation familiale dès lors qu’elle ne porte pas atteinte à l’intérêt du mineur ». Ce faisant, le travailleur social « favorise l’accession à la conscience de la citoyenneté en évitant l’écueil d’une interprétation excessive de la laïcité qui pourrait aggraver des tensions communautaires ».
« La pratique quotidienne étant complexe », le CSTS indique que « le praticien du travail social s’appuie sur des réflexions éthiques et des références déontologiques », notamment fournies par le Comité national des références déontologiques pour les pratiques sociales. Et l’avis de réaffirmer que « la laïcité énonce des droits et implique aussi des devoirs dans les professions d’éducation, d’aide à des personnes vulnérables, d’encadrement de personnes en situation de dépendance… ».
De manière générale, « le travailleur social prend position pour permettre le “vivre-ensemble” », avec le souci de favoriser « la connaissance, la reconnaissance et l’acceptation des différentes cultures, convictions et opinions en initiant des rencontres et des débats ». Il participe « à des formations transprofessionnelles pour partager les expériences des divers praticiens de l’action sociale ». Pour prévenir le prosélytisme, le travailleur social « est vigilant face aux outils de communication qui diffusent des opinions et des croyances », conclut le CSTS, en évoquant « la puissance des moyens de communication, notamment d’Internet et des réseaux sociaux ». Enfin, « compte tenu des tensions actuelles en matière de pratiques religieuses, le travailleur social doit être particulièrement vigilant » et pratiquer « la “délibération réfléchie” permettant de prendre des décisions d’action avec “prudence”, après avoir pesé les enjeux et les effets éventuels (en discutant si possible avec d’autres personnes et avec des appuis institutionnels) ».