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Alternance : trop de stages tuent les stages !

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Alors que le « plan d’action interministériel sur le travail social et le développement social » invite à réfléchir à une nouvelle organisation des stages, Marc Ajart(1), directeur d’un centre de formation, appelle à raccourcir leur durée afin de lever la pression sur la demande. Une proposition radicale qui vise, selon son auteur, à « sauvegarder l’alternance intégrative ».

« Dans mon établissement de formation, j’observe chaque année une lente dégradation des conditions de la mise en œuvre de l’alternance. Compte tenu du contexte général, la situation ne devrait pas s’améliorer dans le court terme ! Nous sommes proches du point de rupture. Pourtant, comme beaucoup d’acteurs de ce secteur, je suis très attaché à ce modèle de formation historique et ne peux me résoudre, impuissant, à sa mort annoncée.

Le diagnostic est connu et je n’en reprends que quelques traits saillants :

1. Nos apprenants sont aujourd’hui obnubilés par une question : “Comment trouver un stage (n’importe lequel)” avec en corollaire : “Vais-je pouvoir être présenté au diplôme si ne n’ai pas fait tous les temps de stages” Dans ce contexte, tous les moyens sont bons (la fin les justifiant). Nous sommes donc loin de pratiques en accord avec nos valeurs : respect du cadre, éthique de l’action, solidarité, coopération. L’iniquité et les inégalités entre les étudiants (en fonction des statuts, des réseaux, etc.) ne font que croître. Le système génère un climat délétère et violent : par exemple, on a vu des étudiants en venir aux mains à cause d’une question de stage. Par ailleurs, mobilisées mentalement sur ces questions, les personnes en formation sont moins “disponibles” pour investir d’autres sujets. Reconnaissons, enfin, que celles-ci n’ont pas voulu, n’ont pas pu, ou n’ont pas su créer les conditions du rapport de forces(2).

2. A l’inverse des étudiants, pour les professionnels et les structures sociales et médico-sociales, la question de l’accueil des stagiaires tend à “sortir des radars”. D’autres préoccupations, plus déterminantes, sont sur le devant de la scène. C’est ainsi que, dans notre département, le budget de la protection de l’enfance a baissé en moyenne de 5 % et un centre social important vient de mettre la clef sous la porte. Des restructurations sont à l’étude, des plans de licenciements sont annoncés. Un directeur général d’association me disait dernièrement : “Tu sais… je souhaite toujours m’impliquer dans la formation, mais on va fermer trois services… L’accueil des stagiaires, c’est la douxième ou la quinzième de mes préoccupations !”

3. Quant à nous, les centres de formation, nous avons, ces dernières années, contourné, détourné, cautionné, raboté, segmenté pour trouver des stages. Ces pratiques ne nous empêchent pas de continuer à promouvoir, dans nos formations, l’importance du respect du cadre, l’accès aux droits des personnes accompagnées ! Et ce ne sont ni la circulaire du 31 mars dernier de la direction générale de la cohésion sociale sur la mise en œuvre de l’alternance intégrative(3) ni les propositions visant à “moderniser les stages” du plan d’action interministériel(4) qui vont régler le problème. Cela n’empêche pas certains de mes collègues de continuer à discourir sur le concept d’“alternance intégrative” ou de dire tout le bien qu’ils pensent des conventions de sites qualifiants, qui, quelquefois, n’ont de “qualifiants” que le nom ! La situation est telle que je n’oserais pas montrer à notre financeur la facture du coût réel de l’obtention de certains stages. On n’est plus dans le prêt-à-porter, mais dans la haute couture(5) !

Face à cette problématique, j’ai le sentiment que nous avons, tous et toutes, cherché à limiter les conséquences du problème, mais sans jamais prendre les moyens pour résoudre ses causes.

« Lever la pression »

Or la mise en œuvre de l’alternance dans nos formations bute avant tout sur le hiatus existant entre les demandes des stagiaires et les capacités objectives pour les accueillir. Et si l’on retient cette hypothèse, la seule solution est de lever la pression sur la demande.

A situation exceptionnelle, décision exceptionnelle : il faut moins de stages pour des stages de meilleure qualité. Concrètement, je propose, pour les niveaux III, de ramener à huit mois la durée totale des stages pour les trois années de formation. Cette durée pourrait s’organiser en deux ou trois stages au maximum. Par exemple, deux stages de deux mois en première et deuxième années et un stage de quatre mois (80 jours de présence dans le service) en fin de parcours. Ce dernier stage serait organisé sur une amplitude hebdomadaire de quatre jours afin de permettre la présence effective du stagiaire dans le service d’accueil pendant une durée plus longue (cinq mois).

Je sais que, à la simple lecture de cette proposition, certains lecteurs vont crier au scandale, car il ne faut pas toucher au dogme ! Pourtant, son application aurait pour effet immédiat de faire baisser immédiatement et de manière considérable la pression sur les services d’accueil. Une telle disposition n’aurait, bien sûr, de sens que si elle permettait non seulement de renégocier entre les parties (centres de formation, étudiants, terrains de stage) les conditions de l’alternance intégrative (ou qualifiante), mais aussi de rendre effectif le droit commun de la gratification. Il faudrait en outre que sa mise en œuvre s’accompagne de négociations sur certains points et du respect de trois conditions :

1. Les services d’accueil devraient s’engager par convention (opposable ?) sur les modalités d’accompagnement pédagogique des stages et les activités pouvant être confiées aux stagiaires afin de leur permettre d’acquérir les compétences professionnelles,

2. Les plateformes régionales de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale) devraient réfléchir à des modes de concertation et d’organisation susceptibles d’éviter que les étudiants soient au même moment en stage.

3. Pour le stage de professionnalisation, l’établissement d’accueil devrait définir un objet d’étude en lien avec la réalité professionnelle de l’institution. Celui-ci devrait donner lieu à la fois à la rédaction d’un rapport remis au terrain de stage (sorte de retour sur investissement en contrepartie du versement de la gratification) et à la production du mémoire de fin d’études. Cette condition permettrait que les établissements d’accueil s’approprient davantage les travaux des étudiants. Nous avons, tous, dans nos archives, des tonnes de mémoires qui ne sont que très exceptionnellement utilisés par les professionnels des établissements !

Il faudrait en outre, comme cela se pratique dans d’autres formations, qu’un représentant du terrain de stage soit membre de droit du jury de l’épreuve de présentation du mémoire. Cette pratique n’est, certes, ni dans notre culture, ni dans nos modes de faire, mais elle fonctionne très bien chez certains de nos collègues des pays limitrophes (en Belgique par exemple).

Par ailleurs, le temps est une ressource précieuse. La remise à plat radicale des temps de stage que je propose libèrerait du temps et/ou redonnerait du temps au temps. Ce qui pourrait nous permettre de revoir la construction, la diffusion et l’appropriation des savoirs. Ainsi, nous pourrions alléger la pression sur les plannings de la formation théorique : actuellement nos étudiants ont en moyenne 30 heures de cours théoriques par semaine sans compter le temps de travail personnel. Dans ce contexte, ils “avalent” les connaissances mais “la digestion est difficile”. Dans mon hypothèse, la formation pourrait être organisée sur une durée de 20 heures par semaine et nous pourrions proposer des temps d’appropriation, des temps de travaux pratiques (mise en situation), voire compléter certains contenus, par exemple… sur l’autisme.

Débattre pour sauver l’alternance

Bien sûr, quelques moyens supplémentaires seraient nécessaires, ce qui n’est guère “tendance” dans la conjoncture actuelle. Sauf que, si nous comparons le coût annuel d’un étudiant en formation sociale supérieure à celui d’un étudiant à l’université, nous avons de la marge. Dans nos établissements le coût moyen annuel d’un étudiant se situe entre 5 500 et 6 000 € contre 11 630 € à l’université (9 020 € en IUT, 13 380 € en classe préparatoire).

Ma proposition se veut une contribution aux débats qui doivent s’ouvrir pour “sauver l’alternance intégrative” dans les formations sociales. Nous devons en effet nous unir pour engager la réflexion et proposer à la direction générale de la cohésion sociale les aménagements nécessaires à la survie du dispositif de formation en travail social. Sinon, dans quelques années, nous n’aurons plus que nos larmes pour pleurer la disparition d’un modèle qui a pourtant fait ses preuves. »

Notes

(1) Qui écrit sous un pseudonyme.

(2) Ils n’étaient que 300 étudiants lors de la dernière manifestation le 29 octobre dernier à Paris.

(3) Outre que cette circulaire ne résoud pas le problème, elle accentue les inégalités entre les étudiants – Sur la circulaire, voir ASH n° 2908 du 1-05-15, p. 36.

(4) Voir le dossier consacré à ce plan dans les ASH n° 2932 du 6-11-15, p. 69 et l’interview de Chantal Cornier, vice-présidente de l’Unaforis, dans le même numéro, p. 48.

(5) Si l’on compte les heures de secrétariat, de cadres pédagogiques et de direction consacrées aux stages.

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