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«  Les candidats ont tendance à délaisser l’électorat jeune »

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Scrutin après scrutin, les jeunes semblent se détourner des urnes. Plus élevée que dans le reste de la population, cette abstention électorale témoigne-t-elle d’un véritable désintérêt pour la politique ? Tel n’est pas le point de vue du sociologue Laurent Lardeux, qui a réalisé une étude sur ce sujet pour l’INJEP dans laquelle il propose une lecture plus nuancée des chiffres électoraux.
On a coutume de dire que les jeunes votent de moins en moins. Qu’en est-il réellement ?

Les jeunes votent en effet moins que les autres classes d’âge, mais la courbe de leur abstention depuis les années 1980 suit celle de l’ensemble de la population, ce n’est donc pas une évolution spécifique à la jeunesse. Jusqu’à la fin des années 1970, on observait une relative stabilité de la participation électorale : entre 75 et 80 % aux municipales, et entre 85 et 90 % à la présidentielle. Depuis, l’abstention a augmenté à un rythme assez soutenu, avec la persistance, d’élection en élection, d’un différentiel de participation électorale important entre classes d’âge : de 30 à 40 % entre les seniors, qui votent le plus, et les 18-25 ans, qui votent le moins. Toutefois, le type d’élection et l’intensité de la campagne peuvent accroître l’intérêt des jeunes, comme lors des présidentielles.

On observe une remontée des inscriptions des jeunes sur les listes électorales. Comment l’expliquez-vous ?

En grande partie, par l’impact de la procédure d’inscription d’office – l’inscription automatique des jeunes majeurs sur les listes électorales – mise en œuvre en 2001. Celle-ci a évidemment favorisé le niveau d’inscription des jeunes avec, toutefois, quelques effets pervers, notamment ce que la politiste Cécile Braconnier appelle la « mal-inscription ». Les jeunes majeurs sont inscrits automatiquement à 18 ans dans la commune où ils résident, mais comme il s’agit d’une population très mobile, en raison de leurs études ou d’un premier emploi, ils partent vivre dans des villes où ils ne sont pas inscrits et ne font pas nécessairement les démarches nécessaires, par manque d’information ou d’intérêt, mais aussi parce que les procédures d’inscription peuvent freiner les ardeurs.

Les jeunes des quartiers populaires votent-ils effectivement moins que les autres ?

De fait, les records d’abstention s’observent plutôt dans les quartiers populaires qui cumulent différents facteurs sociodémographiques prédisposant au retrait électoral : une population plus jeune, peu diplômée, souvent issue de l’immigration, davantage marquée par le chômage et la précarité… Tout cela entraîne une abstention plus importante dans ces quartiers. C’est d’autant plus vrai que la mobilisation de l’électorat de gauche y était traditionnellement forte, notamment dans les bastions de l’extrême-gauche. Or on observe depuis plusieurs années une démobilisation de cet électorat qui peut aussi expliquer l’abstention plus grande des populations de ces quartiers, en particulier chez les jeunes.

A chaque scrutin, des associations incitent les jeunes des milieux populaires à aller voter. Est-ce efficace ?

Il est difficile d’évaluer l’impact de ce travail pédagogique et éducatif. Il est toujours essentiel de rappeler les enjeux du vote et pourquoi il est important de bien choisir ses élus… Mais c’est aussi aux politiques de séduire cet électorat jeune. Il ne s’agit pas forcément d’employer un langage « jeune », comme on peut l’entendre parfois, mais simplement de proposer un programme dans lequel ils puissent se retrouver. Malheureusement, les candidats ont trop souvent tendance à s’adresser uniquement aux catégories sociales dont ils savent qu’elles vont aller voter : les retraités, les ménages aisés… Du coup, ils délaissent l’électorat jeune, encore plus lorsqu’il est issu de l’immigration et vit dans les quartiers populaires. Il y a là une forme de cercle vicieux : moins une population vote, moins on s’adresse à elle, moins elle est susceptible ensuite de s’intéresser à la politique et d’aller voter.

Qu’en est-il des jeunes électeurs en milieu rural ?

La participation électorale y est en général plus forte qu’en ville. Chez les jeunes, elle a été plus élevée de 5 % dans les villes de moins de 10 000 habitants que dans la moyenne nationale au premier tour des dernières municipales. Cet écart significatif s’explique par la plus forte confiance accordée à des élus sans étiquette, que l’on rencontre davantage en milieu rural et qui pratiquent une activité politique de manière non professionnelle. Il faut aussi souligner l’existence de relations de proximité fortes au sein de la structure villageoise, d’où une pression sociale plus importante incitant sans doute les jeunes à aller voter.

La faible participation des jeunes aux élections est-elle le signe d’un désintérêt pour la politique ?

On l’analyse souvent de cette façon, mais, en réalité, il n’existe pas de corrélation entre les deux. L’enquête que l’INJEP réalise sur les valeurs des jeunes tous les neuf ans depuis 1981 montre au contraire au fil des années une augmentation de l’intérêt des jeunes pour la politique et de l’importance qu’ils y accordent. Celui-ci peut prendre différentes formes, car faire de la politique, pour les jeunes, ce n’est pas simplement intégrer les circuits traditionnels des partis politiques. C’est aussi s’engager dans des associations, des collectifs, des dispositifs de participation… et à plusieurs échelons du territoire, du local à l’international. Leurs formes d’engagement seraient aujourd’hui moins idéologiques et plus pragmatiques, mais il est important de nuancer le propos : bien sûr, les jeunes plébiscitent les actions bien définies et à court terme, mais ils peuvent aussi s’engager plus fortement, dans la durée, avec des orientations philosophiques ou politiques. On le voit dans les ZAD [zones à défendre], qui impliquent une forte mobilisation avec une dimension idéologique très présente.

Avec près de 35 % des votants de la tranche d’âge aux élections régionales, le Front national serait devenu le premier parti chez les 18-24 ans…

Ce chiffre est bien sûr important et suscite des inquiétudes, mais il faut le manipuler avec précaution, et d’abord le mettre en relation avec le niveau de l’abstention. Plus les abstentionnistes sont nombreux, plus les résultats du Front national apparaissent importants. Chez les 18-25 ans, classe d’âge marquée par la plus forte abstention (environ 65 % aux élections régionales), le vote FN se trouve mécaniquement surreprésenté. Il faut aussi prendre en compte la plus forte sensibilité des jeunes pour des candidats qui s’affichent « hors système ». C’est vrai surtout en période de crise économique chez des jeunes adultes touchés par des mécanismes de désaffiliation et d’exclusion et qui ont le sentiment que les responsables politiques ne répondent pas à leurs problèmes. Le vote Front national électrise incontestablement le débat et suscite des réactions immédiates. C’est sans doute ce que recherchent ces jeunes électeurs : plus qu’une adhésion à des questions de fond sur l’immigration, il y a semble-t-il davantage le souhait de produire une onde de choc afin d’être mieux pris en compte par les politiques.

Comment inciter les jeunes à voter davantage et, au-delà, à s’impliquer dans la vie politique ?

Il faudrait d’abord régler la question de la mal-inscription en facilitant l’inscription ou le transfert d’inscription sur les listes électorales. Certains spécialistes préconisent aussi de relancer la question du droit de vote des étrangers, même si ce n’est guère dans l’air du temps. Je réalise actuellement une étude sur l’engagement des jeunes issus de l’immigration. Bien souvent, ceux-ci sont français et ont donc le droit de vote, mais pas leurs parents ou grands-parents. Accorder à ces derniers le droit de vote, ne serait-ce qu’aux élections locales, constituerait une forme de reconnaissance de leur citoyenneté et ne pourrait qu’encourager leurs enfants et petits-enfants à aller voter. Faute de quoi on aboutit à des situations absurdes, comme à Vaulx-en-Velin, Clichy-sous-Bois ou Aubervilliers, où les maires ne sont élus que par 10 % de l’ensemble des habitants.

Evoqué récemment, l’abaissement de la majorité à 16 ans serait-il de nature à améliorer cette participation des jeunes ?

Certains travaux, notamment ceux de l’Anacej [Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes], menés lors des dernières élections municipales et européennes vont en ce sens. A 16 ans, les jeunes habitent en général encore dans leurs familles, dans un cadre stable où ils peuvent être sensibilisés à l’importance des élections. Alors qu’à 18 ans, après la sortie du lycée, ils subissent une certaine instabilité peu favorable à une participation aux élections. Toutefois, plusieurs études le démontrent, les jeunes eux-mêmes ne semblent pas très favorables à l’idée d’un abaissement du droit de vote à 16 ans pour plusieurs raisons : parce qu’ils pensent que c’est inefficace ou parce qu’ils s’estiment insuffisamment compétents pour avoir un avis politique.

Repères

Le sociologue Laurent Lardeux est chargé d’études et de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) et chercheur associé au laboratoire Triangle (CNRS). Il a réalisé l’étude « Des élections locales aux élections européennes : pour une lecture plus nuancée de la participation des jeunes » (Jeunesses. Etudes et synthèses n° 27, juillet 2015, INJEP).

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