Plongée en eaux agitées

De la délinquance des mineurs, Hélène Mathieu ignorait tout, la première fois qu’elle a pénétré dans le centre éducatif fermé (CEF) de Doudeville (Seine-Maritime). Ancienne journaliste à Marie-Claire, puis à Psychologies magazine, elle avait envie d’animer des ateliers d’écriture dans cet établissement qui accueille 12 jeunes filles multirécidivistes de 13 à 18 ans, pour « faire découvrir à ces adolescentes en révolte le plaisir d’écrire ». « J’étais pleine de bonnes intentions, admet-elle, croyant pouvoir les faire sortir ce qu’elles avaient au plus profond d’elles-mêmes. » L’objectif de ce projet était aussi d’en tirer un livre – « mais pas une enquête, une immersion ». Une intention qui a plu à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), lasse de la représentation des CEF dans les médias. « Il s’agissait d’un angle original, d’aller à la découverte de ces jeunes filles et des professionnels qui les accompagnent, et non de se contenter de rapporter des clichés », confie Catherine Sultan, directrice de la PJJ.

C’est ainsi que, dix-huit mois après cette immersion, paraît Rebelles et révoltées, mineures derrière les grilles, qui retrace presque heure par heure les neuf ateliers menés aux côtés de Violette, Surya, Chloé, Cheriza… Des filles « agitées, qui étaient là pour des actes graves ».

Au fil des séances, la journaliste observe une évolution inverse à ce qu’elle s’imaginait : calmes et timides lors des premières séances, les adolescentes finissent par se relâcher et devenir ingérables. Elle remarque surtout leur manque de confiance en elles, toutes persuadées que leurs textes sont nuls ou refusant, pour l’une d’elles, d’écrire sous prétexte qu’elle est « illettreuse ». Quand Hélène Mathieu leur demande de lister leurs qualités, la page reste blanche. Et le jour où elle tente de leur faire raconter leur meilleur souvenir d’enfance, l’une se remémore un vol à la tire, quand l’autre relate un échange de joint avec son père… Mais peu à peu, la professionnelle de l’écriture, sans faire de miracle, parvient à extraire un peu de la sève de ces « rebelles » et à leur faire écrire un poème, toujours affiché au centre, et qui fait leur fierté.

Six mois après avoir quitté l’établissement, Hélène Mathieu est retournée à la rencontre des sept jeunes filles qui avaient suivi son atelier. Toutes sorties du CEF, certaines sont en prison tandis que d’autres ont repris des études. Toutes reconnaissent avoir été « pénibles » durant les ateliers, alors qu’il s’agissait d’un moment qu’elles attendaient chaque semaine avec impatience.