Quelque « 4,5 millions de majeurs vivent chez leurs parents ou grands-parents », et, parmi eux, « 1,3 million ont plus de 25 ans ». Contrairement au personnage principal du film Tanguy d’Etienne Chatiliez (2001), pour beaucoup des jeunes adultes concernés, cette cohabitation est contrainte. Et ces chiffres inédits, rendus publics le 5 décembre par la Fondation Abbé-Pierre, mettent en évidence un « phénomène de masse » qui témoigne « de marchés immobiliers devenus inaccessibles pour une large part de la population ».
Dans son analyse, intitulée « La face cachée des “Tanguy” », qui exploite les données de l’enquête nationale logement (ENL) 2013 de l’INSEE, l’organisation souligne que, dans la majorité des cas, les jeunes concernés sont âgés de moins de 25 ans (71 %) et « quasi exclusivement célibataires (98 %) » : il s’agit, le plus souvent, d’étudiants ou d’élèves en formation ou en stage non rémunérés, « sans ressources suffisantes pour se loger de manière autonome ». Dans ces conditions, « l’hébergement au domicile parental peut apparaître comme une solution naturelle, simple et confortable, le temps de finir ses études et d’entrer de plain-pied dans la vie active ». Ce qui amène la part des personnes vivant chez leurs parents à décliner « naturellement avec l’âge, passant de 82 % à 18 ans à 30 % à 25 ans ».
Cependant, « les situations d’hébergement mises en lumière par l’ENL montrent des réalités beaucoup plus contrastées », relève la Fondation Abbé-Pierre, puisque « bon nombre de personnes entre 25 et 34 ans (841 000), voire de 35 ans et plus (479 000) » sont désormais concernées, alors qu’elles sont déjà dans la vie active et ne comptent plus dans leurs rangs qu’une minorité d’étudiants (11 % des 25-34 ans contre 59 % des 18-24 ans vivant chez leurs parents). Ainsi, pas moins d’un tiers des jeunes hébergés par leurs ascendants ont un emploi rémunéré, soit 1,5 million de personnes, dont la moitié sont en CDI à temps complet.
De fait, « l’hébergement familial reste une solution mobilisée par de nombreux jeunes, notamment lorsqu’ils éprouvent des difficultés d’insertion sociale et professionnelle », en cas de chômage, en particulier, dont le taux atteint 18 % chez les personnes hébergées, mais aussi en situation d’emploi, lorsque les ressources ne permettent pas d’accéder à un logement : c’est le cas pour 55 % des 25-34 ans vivant chez un ascendant. « Bas salaires, temps partiels subis, précarité des contrats de travail… sont autant d’obstacles pour voir son dossier accepté dans le parc locatif privé où les garanties exigées par les propriétaires sont souvent hors d’atteinte », commente la fondation.
En outre, « près d’un million ont déjà vécu dans un logement indépendant avant de revenir au domicile parental ». Plus d’un tiers des jeunes adultes de 25 à 34 ans vivant chez un parent ou un grand-parent (35 %) est concerné par ce retour en arrière, après avoir « fait l’expérience d’un logement indépendant (contre 20 % parmi l’ensemble des hébergés et 15 % chez les 18-24 ans) ». Pour nombre de ceux que la fondation qualifie ainsi de « génération boomerang », ce retour contraint au foyer parental est vécu d’autant plus douloureusement qu’il s’inscrit dans un contexte de « rupture familiale, perte d’emploi, problèmes financiers, de santé, de logement (insalubrité, logement trop petit, mal situé, expulsion…) ». La cohabitation avec les parents devient d’ailleurs pesante lorsqu’elle se « prolonge dans le temps, ce qui est souvent le cas » (au moment de l’enquête, 64 % des jeunes revenus au domicile parental y résidaient depuis plus de six mois, et même depuis plus de un an pour la moitié d’entre eux).
« Autant de constats qui appellent le développement de réponses en urgence », conclut la Fondation Abbé-Pierre, qui demande « une vraie politique du logement » en faveur des jeunes, comprenant le financement accru de logements aidés – « qu’il s’agisse de résidences étudiantes, de foyers de jeunes travailleurs ou de logements sociaux adaptés aux jeunes par exemple » –, mais aussi « une régulation volontariste du marché locatif privé » – qui passerait « notamment par l’application de l’encadrement des loyers prévu par la loi ALUR aux 28 agglomérations visées initialement, par une revalorisation des aides personnelles au logement (APL) ou par la mise en œuvre d’une véritable garantie universelle des loyers ». Or, « sur ces trois points phares, déplore l’association, le gouvernement a montré depuis 18 mois une véritable réticence à tenir ses engagements, voire y a ouvertement renoncé ».