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Investir dans le travail social : une responsabilité à partager !

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Après la présentation du « plan d’action en faveur du travail social et du développement social »(1), Alain Gillouard, directeur général des services du département d’Ille-et-Vilaine, Roland Janvier, directeur général de la Fondation Massé-Trévidy (Finistère), et Marc Rouzeau, directeur de la recherche d’Askoria et membre du conseil d’administration de l’université de Rennes-2, appellent l’ensemble des acteurs à s’en emparer et à coopérer au-delà des cloisonnements existants(2).

« Le “plan d’action en faveur du travail social et du développement social” représente une occasion majeure pour que, durablement, l’exercice du travail social sorte de l’impasse, pour que ses formations retrouvent une réelle attractivité et pour que se dissipe la défiance entre les différentes parties prenantes (dirigeants, intervenants, usagers…). Pour cela, il convient que des acteurs aux responsabilités complémentaires s’en saisissent, croisent leurs points de vue et s’asssocient pour porter les nécessaires inflexions induites par ce programme(3).

1. Une vision consistante et des relais à trouver

Trente-trois ans après la lettre d’orientation publiée par Nicole Questiaux, le gouvernement de la France reconnaît l’importance du travail social et esquisse un chemin pour qu’il s’adapte aux profondes mutations qui traversent notre société du XXIe siècle.

Liant le travail social à la dynamique du développement social, ce plan expose une vision consistante dans laquelle nous nous retrouvons : l’action sociale est repérée comme un constituant à part entière de l’action publique moderne et, en son sein, le travail social n’est plus appréhendé comme un objet marginal regroupant des interventions assez hétéroclites mais, bien au contraire, comme une activité homogène et une contribution essentielle au « vivre ensemble ». Abordant le travail social comme un investissement et non comme une simple charge(4), ce plan souligne les connexions à entretenir avec la mobilisation de tous les acteurs et insiste sur sa légitime valorisation. Les instruments proposés se veulent novateurs : fonds public-privé d’innovation, conférences locales de consensus et commissions départementales d’éthique, création d’une première Ecole supérieure en intervention sociale…

Croire au souffle ainsi donné nécessite cependant de s’interroger sur l’architecture organisationnelle sur laquelle s’appuyer. Or, sur ce point, les choses se compliquent, tant le « design institutionnel » reste flou et incertain. Si ce plan confirme le rôle de chef de file du département, rien n’est fait pour atténuer le bicéphalisme entretenu au sujet des interventions médico-sociales (conseils départementaux versus agences régionales de santé), rien n’est dit sur le rôle des associations qui portent pourtant plus des trois quarts des établissements et services sociaux et médico-sociaux relevant du code de l’action sociale et des familles, rien non plus sur la délicate question des financements, et si la question de la gouvernance territoriale est abordée, c’est en des termes on ne peut plus timides… A la réflexion, rien d’étonnant, tant la gestion de la question sociale a constitué un angle mort de l’acte III de la décentralisation puis est devenue son principal point d’achoppement. Il faudra pourtant bien s’entendre sur les « plaques tournantes » chargées de faire converger les intentions, d’articuler les initiatives et de faire fonctionner les nouveaux instruments de manière systémique.

Pour que ce plan réussisse et que le travail social puisse pleinement jouer son rôle, des changements d’échelle et des mises en synergie doivent donc être instruits : la dimension clinique du travail social ne peut se résumer à la seule question de l’éthique ou à l’évocation positive – mais à ce stade quelque peu magique – du développement social, les questions institutionnelles doivent être prises à bras le corps, l’articulation avec la recherche ne doit pas être l’apanage d’une seule initiative centralisée…

2. La participation et la transformation sociale se jouent sur le plan local

L’architecture du plan d’action interministériel est construite autour de l’affirmation de la participation des personnes concernées dans tous les aspects du travail social. L’idée n’est pas nouvelle, mais elle est ici réaffirmée avec plus d’insistance, voire de façon contraignante, et le plan définit les supports qui visent à rendre incontournable cette prise en compte.

Pour que cette ambition prenne véritablement corps, le travail social doit être examiné dans ce qu’il a de plus concret et, en l’espèce, nous pensons qu’il convient de réhabiliter un compagnonnage « aux côtés » des habitants, des groupes et des communautés par des professionnels impliqués. Dans cette perspective, les intervenants et leurs organisations doivent faire évoluer les postures professionnelles et les modes d’accompagnement et réunir les moyens opérationnels de la participation effective des usagers. Il faut donc éviter que le “premier accueil inconditionnel de proximité” se résume à un guichet, que le “référent de parcours” soit un échelon supplémentaire dans la coordination de dispositifs compliqués, que la rencontre à domicile ou dans l’espace public et le “faire avec” soient remplacés par les tâches d’accès aux droits essentiellement organisées dans les locaux administratifs.

Les usagers ne doivent plus être repérés “au centre du dispositif”, mais bien devenir des partenaires à part entière du travail social, via l’affirmation de leur pouvoir d’agir. Pour cela, ce ne sont pas uniquement les travailleurs sociaux qui doivent être convoqués : les élus et leurs administrations sont responsables de faire vivre la démocratie de proximité et les associations d’action sociale d’être les catalyseurs de démarches réellement participatives, en particulier en soutenant la mobilisation de ceux qui peuvent se retrouver les plus éloignés des institutions de droit commun. Comprenons-nous bien, l’enjeu dépasse l’action sociale proprement dite car, sous cet angle, “les usagers partenaires du travail social” deviennent des leviers incontournables de la transformation de l’action publique.

En associant le développement social aux finalités intrinsèques du travail social, le plan entend définir “une stratégie visant à agir sur l’environnement économique et social des personnes” remédiant à un travail social qui “resterait centré sur une approche uniquement réparatrice”. Les outils prévus à cette fin (pacte des solidarités et du développement social, formations interinstitutionnelles, formation des responsables, partage d’information, développement d’un plan numérique, etc.) ne produiront les effets escomptés que dans la mesure où ils s’inscriront dans une perspective systémique. En effet, tous ces outils, selon la logique même du développement social, doivent interagir entre eux selon une double dynamique de cohérence et de synergie. C’est parce que cette interdépendance forte existe entre les éléments que la modification d’un seul met en mouvement les autres et cela vaut pour les personnes et les organisations. C’est pour cela que nous pouvons nous interroger sur la référence faite par le plan au seul développement social sans insister sur la nécessaire implication des territoires. Le développement social doit d’abord être local !

3. Décentralisation, décentralisation… vous avez dit décentralisation ?

S’il est fait mention du rôle éminent tenu par Michel Dinet, ancien président du conseil général de Meurthe-et-Moselle décédé en mars 2014, en tant que “pionnier du développement social”, il n’en demeure pas moins que quand il s’agit des questions de territoires, de gouvernance ou de finances, ce plan comprend des ambiguïtés et révèle des silences assourdissants.

Ambiguïtés, par exemple, autour des schémas d’accessibilité des services au public prévus par la loi NOTRe(5) et repris dans le plan gouvernemental au titre du premier accueil “organisé entre tous les acteurs présents sur le territoire…”. Dans ce cadre, il est fait mention des “maisons de service au public” réunissant plusieurs grands opérateurs nationaux (le groupe La Poste, Pôle emploi, CAF, Carsat, etc.) et censées dispenser un accueil de première ligne et de l’information de premier niveau. On pressent alors que pour se traduire en solutions adaptées et de qualité, le droit positif à “un accueil inconditionnel de proximité” exigera formation, compétence, orientation pertinente. Or, en la matière, les premières expériences que nous connaissons révèlent la grande difficulté qu’éprouvent les opérateurs nationaux à s’engager dans des logiques de coconstructions avec les acteurs locaux, en particulier avec les départements. Pourtant, c’est bien l’acteur départemental qui pratique au quotidien les contrats de territoires, organise les espaces sociaux communs, anime la pluridisciplinarité des approches métiers, se soucie de la transversalité des réponses apportées aux usagers. Si cette fonction départementale de chef de file n’est pas systématiquement reconnue, si ces initiatives ne sont pas suffisamment concertées, alors la fragmentation de l’action publique risque fort d’entraîner un nouvel afflux non régulé de personnes auprès des services sociaux de proximité déjà saturés.

Silences assourdissants quant au financement du bloc social. Il faut pourtant rappeler que la non-compensation par l’Etat des allocations individuelles de solidarité (RSA, APA, PCH-ACTP) représente aujourd’hui un reste à charge annuel de 8 milliards d’euros. Le résultat est cruel pour le travail social : les financements consacrés par les départements à ce reste à charge sont autant de ressources faisant défaut pour promouvoir les actions de prévention, les innovations des acteurs associatifs et le développement social. Reprenons à notre compte la conclusion du travail de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) si chère à son président, Michel Dinet, sur les dépenses départementales : “La question du financement des allocations dont les règles sont fixées par l’Etat ne pourra plus être traitée de façon ponctuelle… C’est à cette condition que les départements peuvent retrouver leur capacité d’utiliser la proximité comme un levier de rénovation des politiques sociales…”

4. Entre recherche et formation : mais de quelle expertise sociale doit-il s’agir ?

Le plan ouvre la voie à une valorisation statutaire de grande ampleur à condition que le dispositif de formation se transforme. Passerelles avec l’université, exigences de qualité, ajustement des cadres d’emploi des formateurs, les évolutions qui se dessinent apparaissent particulièrement significatives. Si le système de formation professionnelle est reconnu, il doit se mettre en conformité avec les normes nationales et internationales qui régissent l’enseignement supérieur. De cela, les auteurs de cette tribune se satisfont, surtout si on prête attention à la manière d’animer un tel chantier et si on s’entend sur la portée pour le travail social d’un tel changement.

Concernant la démarche de rénovation, il faut qu’à l’échelle des communautés d’universités et d’établissements (COMUE), l’offre de formation en travail social puisse faire l’objet d’une concertation sereine entre opérateurs historiques et autorités universitaires et ce, avant tout, dans une perspective stratégique (quelles formations ? quelles passerelles ? quels sites ? pour quelles couvertures territoriales ?), mettant ainsi à distance les tentations d’annexion par telle ou telle discipline particulière. Concernant l’impact à rechercher, ce rapprochement avec les universités prendra tout son sens s’il contribue à une plus grande maturité du travail social en tant qu’acte professionnel scientifiquement documenté. En effet, de notre point de vue et tout en reconnaissant la dimension intersubjective propre au travail social, la “fabrique” des interventions sociales nécessite de s’appuyer sur des balises, des références et des programmes empiriquement expérimentés, conceptuellement étayés et scientifiquement évalués. C’est le sens que nous donnons à l’intérêt de voir se développer une discipline relative au travail social.

Pour que ce plan soit tout à fait crédible et qu’il fasse référence sur le long terme, il convient que, progressivement, les incertitudes soient levées et que les cloisonnements existants soient interrogés. Pour cela, toutes les parties prenantes – de l’Etat aux acteurs locaux – devront donc faire preuve d’exigences pour eux-mêmes et pour les autres. Aux niveaux national, local, mais aussi entre le niveau national et local, de nouvelles scènes collaboratives devront s’ouvrir permettant aux représentants de l’Etat, des collectivités locales, des associations, des organisations représentant les usagers, des centres de formation et des universités de s’entendre sur des déclinaisons opérationnelles et audacieuses. Surtout, il est indispensable d’animer le débat avec les acteurs de terrain – dont les personnes accompagnées – et ainsi mieux définir les axes sur lesquels prioriser nos efforts. Nous ne devons pas perdre de vue que la méfiance et la désillusion existent chez certains professionnels et que regagner la confiance va nécessiter une mobilisation dans la durée et une constance dans la perspective à promouvoir. C’est à ces conditions que ce plan induira une évolution profonde du positionnement du travailleur social pour en faire un pivot essentiel du développement social et un interlocuteur à part entière des différentes politiques publiques.

Enfin, pour aller plus loin, nous suggérons une série de mesures à mettre en place :

→ le transfert des allocations de solidarité aux organismes de sécurité sociale permettant de désarrimer le travail social de l’instruction des droits sociaux, de redécouvrir la dimension clinique de celui-ci et d’encourager le développement social ;

→ le transfert aux départements du service social en faveur des élèves (Education nationale) ainsi que des ressources et des compétences en éducation et de promotion de la santé (ARS) pour alimenter l’approche préventive ;

→ le rapprochement des centres communaux et intercommunaux d’action sociale et des antennes territoriales des départements, afin de rendre davantage efficients le premier accueil et la coordination des politiques locales d’action sociale ;

→ la mise en place d’une conférence de consensus pour faire évoluer les modes de régulation entre les pouvoirs publics et le tiers secteur dans une logique de moindre instrumentalisation des associations ;

→ la création d’une haute école professionnelle en action sociale dans chaque COMUE reliée à une formation doctorale et la systématisation d’un stage ou d’une mission d’étude à l’étranger pendant les formations de grade licence ;

→ la mise en œuvre d’un programme significatif et incontournable d’enseignement relatif aux politiques sociales et à l’animation du travail social dans les grandes écoles de management public ;

→ le déploiement d’une mission nationale dotée de moyens d’ingénierie pour favoriser le développement de plateformes régionales de concertation et d’expertise en travail social ;

→ le lancement par région d’un appel à projet cofinancé (Etat, collectivités locales, organismes paritaires collecteurs agréés et fonds public-privé) visant le développement et la mutualisation d’expérimentations et de recherches-actions… »

Notes

(1) Voir ASH n° 2932 du 6-11-15, p. 67.

(2) Roland Janvier vient de faire paraître Vous avez dit usager ? Le rapport d’usage en action sociale – Ed. ESF, 2015 ; Marc Rouzeau publie en janvier 2016 Vers un Etat social actif à la française ? – Ed. Presses de l’EHESP.

(3) Cette volonté de concertation intersectorielle s’appuie sur l’expérience du Comité régional du travail social de Bretagne qui a permis l’existence de scènes réellement collaboratives auxquelles les trois auteurs participent activement.

(4) Cette perspective a été mise en avant dans le manifeste « L’action sociale, boulet financier ou renouveau de la solidarité ? » – Voir ASH n° 2761 du 25-05-12, p. 16.

(5) Voir ASH n° 2922 du 28-08-15, p. 41.

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