Des humains dans l’ombre

Des murs en brique sombre. Des sols crasseux. Des visages marqués, des grilles, des corps difformes, et du noir. Beaucoup de noir. Noir des ombres omniprésentes, noir du ciel plombé de Belgique, noir des cernes sous les yeux des détenus et des surveillants. Pour réaliser son livre Prisons, le jeune photographe belge Sébastien Van Malleghem a sillonné trois ans durant une douzaine d’établissements pénitentiaires : centres de détention, quartiers de femmes, prison de haute sécurité, établissement pour handicapés mentaux, maisons d’arrêt, section psychiatrique… Il en a tiré une série de photos brutes et dérangeantes, à la noirceur suffocante, comme s’il était parvenu à capter la substance même d’un univers sombre et poisseux que les photographes précédents n’auraient qu’effleurée. « Ce reportage vise à montrer la détresse générée par la privation de liberté et de relations, par la claustration dans des cellules aux relents de roman gothique ou de film d’horreur, par l’échec aussi ; celui de l’évasion avortée dans la drogue ou les rapports malsains », écrit-il en préambule de son ouvrage. Les photos se succèdent sans légende ni ordre apparent, accentuant le malaise. Au centre, des témoignages recueillis au cours de ses visites racontent la vie quotidienne de la prison et ses effets destructeurs, aussi bien sur les détenus que sur les surveillants : drogue, corruption, manque d’effectifs, violence, manipulation, petits arrangements avec les règles ou la déontologie, peur, absence de préparation à la sortie… Pas question, pour autant, de contester « la nécessité d’écarter et d’encadrer les criminels », soutient le photographe. Ses images, explique-t-il, visent plutôt à « dénoncer la clôture archaïque et opaque dressée autour de ces hommes et de ces femmes en rupture ; ce mur sur lequel s’étiole leur part d’humanité, masquée par le crime ou la folie ». Il écrit encore : « Ces visages torves, défaits, victimes et miroirs des passions nées dans nos théâtres urbains, sont notre part d’ombre. » Une ombre si effrayante qu’on préfère encore la repousser aux marges de la société, dans un exil « qui permet l’oubli, l’ignorance et l’autosatisfaction ».