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De l’appel à l’accompagnement : le fil de l’aide

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Ecouter, soutenir, conseiller les victimes ou témoins de maltraitance pour les aider à y mettre fin, telle est la vocation de la Fédération 3977 contre la maltraitance des personnes âgées ou handicapées. Articulant une plateforme téléphonique nationale et des antennes départementales, le dispositif s’emploie à tisser un réseau de proximité auprès des adultes vulnérabilisés.

Privation de visites, sévices corporels, traitements sédatifs inadaptés, infantilisation, spoliation… : la liste est longue des maltraitances actives ou passives dont peuvent avoir à souffrir des personnes que l’âge ou le handicap met hors d’état de se défendre. L’une des caractéristiques de ce fléau est le silence qui l’entoure. Lorsqu’elle est en état de s’exprimer, la victime redoute de mettre en difficulté les auteurs, qui sont souvent les personnes – proches ou professionnels – s’occupant le plus d’elle. Dans le cas des personnes qui vivent à domicile, « il y a également le fait qu’un certain nombre de professionnels, tels que les médecins traitants ou les infirmiers libéraux, invoquant la relation de confiance nouée avec (leur patient) vulnérable, craignent de la perdre » s’ils signalent la situation, explique Christine Bourdin, responsable dans un service de soins infirmiers à domicile(1). Quant aux faits se produisant en institution, c’est, pour les familles, la peur de représailles à l’encontre de leur parent et, pour les professionnels, celle de sanctions, qui peut favoriser l’omerta. Sur le plan sociétal, cette dernière pourtant n’est plus de mise. Avec une ligne téléphonique nationale (le 3977) et des centres d’appel départementaux – les centres Alma (Allô maltraitance personnes âgées et/ou handicapées) –, la France dispose d’un dispositif d’alerte et de soutien, que victimes ou témoins peuvent contacter en toute confidentialité.

Écouter la souffrance

C’est généralement sous l’emprise d’un événement particulier, soit initial, soit dénotant l’aggravation d’une problématique préexistante, qu’intervient le coup de téléphone au 3977 ou au centre Alma, dans les départements où il y en a un (voir encadré, page 33). Dans plus de deux tiers des cas, les appels concernant une personne âgée – très largement majoritaires(2) – ont trait à une problématique de maltraitance. Ils émanent beaucoup plus souvent d’un témoin de la situation que de la victime elle-même (voir encadré, page 34). Ce premier appel est « quasiment toujours l’aboutissement d’un parcours d’échecs successifs ayant “vidé” l’appelant de ses ressources pour faire face à une situation vécue comme une situation de crise », détaille Guénaël Gouez, l’un des huit psychologues salariés du 3977, joignables entre 9 heures et 17 heures du lundi au vendredi(3). Ainsi, quand Solange téléphone pour sa belle-mère, qui semble mal nourrie et financièrement abusée par le fils de 42 ans avec qui elle cohabite, c’est après différentes interventions restées sans effet et sur les conseils de l’assistante de service social au fait de la situation complexe de la vieille dame.

La personne qui téléphone « est entendue avec son histoire telle qu’elle la vit, sans jugement », reprend Guénaël Gouez. L’idée n’est pas de sacraliser la parole de l’appelant, mais de la considérer « comme une réalité possible, voire probable, en tout cas d’aborder le point de vue de l’appelant comme l’un des constituants de la situation réelle », précise-t-il. Recueillir la souffrance de son interlocuteur, contenir et apaiser son angoisse, l’aider à remettre de l’ordre dans son discours et de la chronologie dans son récit, repérer ce qui a été fait ou pas, quelles sont les personnes impliquées dans la situation et quelle est la façon dont chacune la perçoit, constitue le premier rôle de l’écoutant(4). « Quand c’est un témoin qui téléphone, on cherche en particulier à savoir ce qu’en pense la victime, quel est son niveau de discernement et si elle est au courant de la démarche de l’appelant », précise Pauline Le Glatin, coordinatrice de la fédération, chargée du développement du réseau et de la formation des bénévoles.

Ce premier temps d’écoute n’est pas forcément suivi d’un accompagnement. L’appelant peut juste avoir besoin de parler et de rompre son isolement, ou ne pas souhaiter être orienté vers des intervenants de proximité – du moins pas pour l’instant. Il y a parfois aussi des correspondants qui veulent garder l’anonymat dans le cadre de dénonciations calomnieuses : « La fille de la voisine ne s’occupe pas bien de sa mère, elle la maltraite, le frigidaire est vide, etc. » Dans tous les cas, « nous essayons de sensibiliser les appelants sur le fait qu’à partir du moment où ils signalent une situation de maltraitance, ils doivent être partie prenante de sa solution et ne pas rester anonymes », explique Sandra Sapio, responsable « écoute et qualité » de la Fédération 3977. Ce discours ne porte pas toujours ses fruits. Quand la victime supposée est connue des services sociaux, ces derniers peuvent passer chez elle, sous un prétexte ou un autre, pour vérifier que tout va bien. Sinon, l’écoutant donne des conseils à son interlocuteur sur les mesures qu’il peut lui-même prendre pour résoudre le problème (essayer de parler à chaque membre de la famille ou bien lui adresser un écrit, faire appel à un médiateur, par exemple). Il y a également des personnes qui téléphonent sous couvert d’anonymat pour se plaindre d’un dysfonctionnement en institution – professionnels de la structure ou proches d’une personne âgée. « Il nous est alors possible de communiquer les coordonnées de l’institution à l’agence régionale de santé, commente Sandra Sapio. Cela pourra lui mettre la puce à l’oreille, d’autant qu’elle a peut-être déjà été alertée par d’autres voies. »

Le temps de l’action

Sauf exception, aucune suite n’est donnée à un appel sans accord de l’appelant. « En cas de danger immédiat ou imminent, on conseille à notre correspondant d’interpeller le SAMU, la police ou les pompiers, ou nous pouvons nous-mêmes être conduits à le faire », explique Pauline Le Glatin. Bien évidemment, l’obligation de signalement concerne aussi les centres d’écoute qui ont connaissance de crimes ou de délits, cependant toutes les maltraitances ne nécessitent pas une réponse pénale – laquelle, en outre, n’est pas forcément la plus adaptée. « Il ne faut pas agir dans la précipitation, car le remède peut être pire que le mal, souligne Pauline Le Glatin. Dans les affaires que nous avons à connaître, l’urgence, d’ailleurs, est souvent relative. La situation peut durer depuis des années et il convient d’objectiver s’il y a maltraitance ou pas. »

C’est le contenu de l’appel initial, synthétisé et partagé dans un système informatique commun à l’ensemble des structures de la fédération, qui est la base du suivi assuré par les équipes du réseau Alma. Celles-ci sont constituées d’un coordinateur, généralement salarié, et de bénévoles qui sont des retraités, professionnels encore en activité ou étudiants très majoritairement issus des secteurs social, médico-social, juridique ou sanitaire. « Il peut aussi y avoir des gens qui viennent d’autres horizons, des citoyens lambda, des “intrus” qui sont essentiels pour nous aider à nous requestionner sur des choses qui, parfois, nous semblent couler de source », commente Philippe Guillaumot, psychiatre et président de l’association Alma 64 (Pyrénées-Atlantiques). Précisément, la présence d’un psychiatre dans les équipes est vivement souhaitée, car nombre d’appelants ou de personnes mises en cause sont atteints de troubles psychiques. Tous les intervenants des centres Alma ont été formés, par la fédération, à l’écoute et à la prise en charge de la maltraitance. Ils s’appuient, en outre, sur un comité de personnes-ressources plus ou moins étoffé et formalisé (gériatres, psychologues, cadres de santé, etc.).

Que l’appel initial ait été adressé au 3977 ou directement au centre Alma de proximité – dont les permanences d’écoute sont assez limitées (une ou deux demi-journées par semaine) –, la procédure est la même : c’est l’équipe pluridisciplinaire d’Alma qui procède à une analyse de la situation telle qu’elle a été consignée à l’issue du premier échange, avant de recontacter l’appelant pour approfondir le dossier. Ce qui est de l’ordre de l’émotionnel a été en tout ou partie évacué lors de l’appel initial, il s’agit désormais de faire le tour des acteurs en présence et d’orienter l’appelant vers les autorités administratives et les professionnels de terrain à même de l’aider à trouver des solutions adaptées. Dans le cas évoqué plus haut de Solange, qui s’inquiétait pour Albine, sa belle-mère de 84 ans, le suivi de la situation par Alma 24 (Dordogne) a nécessité 17 réunions de l’équipe pluridisciplinaire et 50 contacts téléphoniques – avec Solange, bien sûr, rappelée régulièrement, mais aussi avec les services du conseil départemental, le Centre local d’information et de coordination gérontologique, l’Union départementale des associations familiales, le centre intercommunal d’action sociale, ainsi qu’avec le médecin et l’assistante de service social qui s’occupent de la vieille dame. Un an et demi après son premier appel, Solange accepte que le dossier soit classé, considérant qu’Albine vit désormais dans de bonnes conditions et sous protection – la vieille dame a été admise en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et le tuteur désigné pour la protéger s’est chargé de vendre ses biens pour financer les frais d’hébergement.

Tous les épilogues ne sont pas aussi satisfaisants. Il ne sont pas non plus toujours connus des équipes d’Alma, ce qui leur laisse un arrière-goût amer d’inachevé. « Certains partenaires ne nous tiennent pas au courant au nom du secret professionnel, alors qu’ils ont été alertés par nos soins », dénonce-t-on à Alma Paris. Ce constat, qui n’est pas propre aux intervenants parisiens, pose la question des limites de l’action des centres départementaux et des limites, aussi, du partenariat. « Il n’est évidemment pas question de se substituer aux professionnels, mais un certain nombre d’entre nous ont fait partie de ces professionnels et sont souvent dans la frustration, car ils pensent que les choses n’avancent pas », explique Bernard Poch, président d’Alma 40 (Landes). Ou, à tout le moins, ils n’en savent rien. Du coup, ils ne peuvent pas informer l’appelant qui leur demande où en est son dossier. A cet égard, il est précieux que l’association soit bien intégrée dans le réseau des acteurs locaux, souligne Frédéric Woné, médecin et président d’Alma 24. C’est loin d’être toujours le cas. Or, si les équipes associatives sont un maillon indispensable de la politique de lutte contre la maltraitance, encore faut-il qu’elles y trouvent toute leur place – et une reconnaissance.

Une lente mise en place

Le dispositif national d’écoute et de soutien des adultes vulnérables en butte à la maltraitance, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, est l’aboutissement d’un long processus. Tout est parti de la démarche pionnière du professeur Robert Hugonot (1922-2010), fondateur de l’association Alma – Allô maltraitance des personnes âgées. A partir de 1995, le gérontologue met en place six premiers centres d’appel, avec des retraités bénévoles formés à l’écoute et aux différents aspects de la maltraitance des personnes âgées. Le réseau Alma se développe progressivement et élargit, en 2002, son aide aux personnes handicapées. La même année, l’Association francilienne pour la bientraitance des aînés et/ou handicapés (AFBAH) était créée, à la suite du plan régional santé personnes âgées, pour gérer un numéro régional d’écoute fonctionnant dans les huit départements de la région parisienne (« Solidarité vieillesse en Ile-de-France »). En 2008, une plateforme nationale, le 3977, voit le jour à l’initiative des pouvoirs publics désireux de « garantir une égalité d’accès au bénéfice de toutes les personnes vulnérables »(1). La mise en œuvre du 3977 est confiée à AFBAH – rebaptisée HABEO en 2011 (Handicap âge bientraitance écoute orientation). AFBAH et Alma sont alors appelées à travailler en étroite collaboration. Sur le plan national, les psychologues salariés du 3977 assurent une première écoute – ce qui n’empêche pas les appelants qui le souhaitent de contacter d’emblée l’association départementale d’Alma, quand il en existe une ; puis, dans tous les cas, la prise en charge de proximité est réalisée par cette dernière(2).

Prenant acte de leur complémentarité, les deux associations constituent, en 2013, la Confédération de lutte contre la maltraitance Alma 3977 HABEO, avant de fusionner, en 2014, au sein de la Fédération 3977 contre la maltraitance. Celle-ci comprend la plateforme nationale d’appel et 51 antennes d’accueil téléphonique Alma, toujours dénommées ainsi et disposant de leur propre numéro. Ces antennes couvrent 77 départements et sont animées par un millier de bénévoles. « Afin d’assurer un accompagnement et un suivi [des] situations dans tous les départements, le gouvernement souhaite un renforcement de la couverture territoriale de ce réseau de proximité effective au 1er janvier 2017 au plus tard », annonce le ministère des Affaires sociales(3). Le bénévolat, cependant, ne se décrète pas et la fédération a de grandes difficultés à mobiliser les bonnes volontés, tant pour faire perdurer les centres existants que pour en ouvrir d’autres.

Les appels les plus fréquents

• En 2014, le 3977 et le réseau de centres Alma ont répondu à plus de 18 000 appels relatifs à près de 4 000 situations différentes (chacune d’entre elles pouvant générer plusieurs contacts).

82 % concernaient des personnes âgées.

• Dans un peu plus de la moitié des cas (51 %), les situations de personnes âgées qui ont été prises en charge avaient trait à la maltraitance. Il s’agissait, sinon, de demandes de renseignements (23 %), de témoignages de maltraitance (souvent anonymes) pour lesquels une intervention n’était pas possible ou pas souhaitée (17 %), ou d’un accompagnement hors contexte de maltraitance (9 %).

• 73 % des situations concernant des personnes âgées avaient pour cadre le domicile. Un chiffre à relier au fait que la quasi-totalité des personnes âgées (90 %), même déficientes, vivent à domicile.

• A domicile comme en institution, ce sont les personnes âgées de 76 à 90 ans qui sont les plus nombreuses victimes de maltraitance.

• A domicile, les principales maltraitances sont les maltraitances psychologiques, les abus financiers et les maltraitances physiques. En institution, ce sont les négligences (passives ou actives) qui sont les plus nombreuses, suivies par les maltraitances médicales. « Une maltraitance est rarement isolée, précise la Fédération 3977. Celle qui est présentée comme “principale” par l’appelant ou par la victime n’est pas toujours la principale par ses conséquences ».

• En ce qui concerne les maltraitances à domicile, l’appelant n’est la victime que dans 15 % des cas. Ce sont des membres de la famille qui appellent le plus (46 %) – majoritairement les enfants –, des personnes de l’entourage social (21 %) – amis, voisins, propriétaire du logement… – ou des professionnels (17 %), au premier rang desquels les services d’aide à domicile ou de soin (infirmiers, aides-soignants).

• Les auteurs présumés de maltraitances à domicile sont essentiellement des membres de la famille (68 %), surtout les enfants – plus souvent des fils que des filles, pourtant plus présentes dans la relation d’aide –, mais également des conjoints ou ex-conjoints. L’entourage social compte pour 17 % des auteurs présumés (notamment les voisins), les professionnels pour 13 % (surtout des services sociaux ou d’aide à domicile, et des services médicaux ou para-médicaux).

• Pour signaler des maltraitances en institution, la famille est en première ligne (58 %), avec une mobilisation massive des enfants – essentiellement les filles –, alors que la victime fait elle-même part de sa situation dans seulement 8 % des cas. Les professionnels appellent de façon non négligeable (19 %), l’entourage social dans une moindre mesure (13 %).

• Les auteurs présumés de maltraitances en institution sont essentiellement des employés (39 %) ou cadres (21 %) de l’établissement, et du personnel médical ou paramédical.

• S’agissant des personnes âgées maltraitées au domicile pour lesquelles des symptômes liés à leur état de santé sont décrits, une affection, source de déficit cognitif (démence, perte de mémoire, confusion), apparaît dans de nombreux cas. Les traits dépressifs et le handicap moteur semblent également fréquents. En institution, les principaux symptômes liés au risque de maltraitance sont également rapportés à un déficit cognitif, ainsi qu’à des difficultés motrices (grabatisation, risques de chute).

Notes

(1) In Protéger les majeurs vulnérables – Ouvrage collectif sous la direction de Karine Lefeuvre et Sylvie Moisdon-Chataigner – Ed. Presses de l’EHESP, 2015.

(2) Ce sont uniquement les personnes âgées qui sont évoquées ici, mais les modalités d’écoute et d’accompagnement sont les mêmes pour les adultes handicapés.

(3) Propos tenus lors du colloque national « Prévenir la maltraitance et respecter la dignité des personnes âgées », organisé le 15 juin dernier à Paris par la Fédération 3977 contre la maltraitance – www.3977contrelamaltraitance.org.

(4) Dans les centres Alma, les permanences téléphoniques sont assurées en double écoute, ce qui est précisé à l’appelant, mais ce dernier ne dialogue qu’avec un seul interlocuteur.

(1) Lettre de mission du 10 mai 2007 adressée par Philippe Bas, alors secrétaire d’Etat aux personnes âgées, à la direction générale de l’action sociale.

(2) Ou bien, dans les départements où il n’y a pas d’antenne Alma, par d’autres associations légitimées pour cet accompagnement par le conseil départemental, ou encore par un correspondant local du 3977 au sein de celui-ci ou d’une agence régionale de santé.

(3) Sur www.social-sante.gouv.fr – Rubrique « Personnes âgées/Autonomie », dossier « maltraitance des personnes vulnérables ».

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