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« Le bac pro a moins un problème d’image que de lisibilité »

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Créé en 1985, le baccalauréat professionnel a remplacé les BEP et une partie des CAP. Si cette filière a permis d’améliorer la qualification de centaines de milliers de jeunes, parfois en leur donnant accès aux études supérieures, elle reste aussi pour beaucoup une voie sans issue. L’analyse du sociologue Emmanuel Sulzer, qui a piloté une publication du Céreq sur le sujet.
Le bac pro est né en 1985. A quels besoins répondait-il ?

Historiquement, le baccalauréat professionnel résulte de la conjonction d’une volonté politique d’augmenter le nombre de bacheliers et de la conviction du patronat, en particulier dans l’industrie, que l’on allait assister à un accroissement du niveau de qualification des opérateurs. De nombreux secteurs d’activité, au premier rang desquels la métallurgie et l’électronique-électrotechnique, se sont donc engouffrés dans le nouveau système. Seuls le bâtiment et l’hôtellerie-restauration, traditionnellement marqués par un fort poids du CAP et de l’apprentissage, sont restés en retrait. Puis on a vu apparaître des bacs pro tertiaires, par exemple le secrétariat, qui n’étaient pas poussés par les branches professionnelles. Il s’agissait plus d’un développement endogène au sein du système éducatif, afin d’harmoniser les niveaux de qualification.

Quelles sont les différences entre le bac pro et les bacs généraux et technologiques ?

Il y a tout d’abord l’existence, dans le bac pro, de périodes en entreprise. Elles durent de douze à treize semaines et donnent lieu à une évaluation qui compte pour l’obtention du diplôme. En outre, jusqu’à la réforme de 2009, le bac pro ne comportait pas de session de rattrapage. Enfin, toujours jusqu’en 2009, il se préparait en deux ans après le BEP. Il s’agissait donc d’un cycle de quatre ans au sortir de la troisième. Depuis la réforme, les BEP ont disparu et tous les bacs pro fonctionnent sur un cycle de trois ans, comme les bacs généraux et technologiques. Les pouvoirs publics ont voulu harmoniser le système. En effet, l’organisation des examens coûte cher, particulièrement dans les filières professionnelles. Et réduire le cursus d’une année était aussi une mesure de rationalisation.

Combien de jeunes sont engagés dans cette filière, et quels sont leurs profils ?

Les bacs pro ont connu une montée en charge rapide à partir de 1985. Actuellement, ils concernent 27 % des bacheliers, soit davantage que les bacs technologiques (21 %), les bacs généraux restant majoritaires (52 %). Le profil des titulaires du bac pro est moins féminisé que les autres bacs, avec une majorité de garçons, surtout dans les filières de production. Le bac pro s’adresse clairement aux jeunes des milieux populaires : les enfants d’ouvriers sont 35 % à passer un bac général, 24 % un bac technologique et 41 % un bac pro. A l’inverse, les enfants de cadres sont 77 % à passer un bac général. Le bac pro diplôme donc essentiellement des enfants d’ouvriers qui, auparavant, arrêtaient bien souvent leurs études au niveau V. Il a créé une génération de bacheliers d’origine populaire, et cela commence d’ailleurs à avoir des conséquences sur l’enseignement supérieur. Le bac étant le premier grade de l’enseignement supérieur, ces jeunes peuvent en effet prétendre à poursuivre leurs études et sont de plus en plus nombreux à le faire – presque 35 % aujourd’hui. Les meilleurs sont capables d’aller jusqu’en BTS, à un niveau bac + 2 ou bac + 3. Les BTS et DUT ont une vocation naturelle à accueillir des jeunes issus du bac pro, mais malheureusement ces filières ont été dévoyées. Dans le domaine industriel, de jeunes bacheliers S s’en servent comme moyen de contournement des classes préparatoires aux écoles d’ingénieurs.

On présente parfois le bac pro comme une filière de relégation destinée à des jeunes en échec scolaire. Cette image recouvre-t-elle une certaine réalité ?

Cela dépend beaucoup des spécialités. Par exemple, la filière électrotechnique est plutôt sélective, car elle offre des débouchés intéressants. De même, le bac pro sanitaire et social donne accès à un secteur professionnel où il y a de l’emploi. En revanche, certaines filières tertiaires accueillent des élèves qui ne peuvent pas aller ailleurs. Je pense au secrétariat et à la vente. Plus personne ne veut recruter une secrétaire en dessous de bac + 2… Et dans la vente, de très gros flux de jeunes diplômés provenant des BTS concurrencent les bacheliers pro. Pour un certain nombre de jeunes qui n’avaient ni la possibilité ni l’intention de faire des études longues, le bac pro représente néanmoins une forme d’aboutissement. Dans les familles populaires d’origine française, il existe encore la culture d’une voie professionnelle qui n’est pas jugée dévalorisante. Décrocher un bac, même professionnel, est vu comme une réussite. A l’inverse, dans les familles populaires issues de l’immigration, bien souvent les jeunes ne veulent pas faire le même travail que leurs pères, qu’ils ont vu s’échiner toute leur vie sur des chaînes industrielles. Pourtant, en proportion, ils sont les plus nombreux à être orientés vers la voie pro…

Pourquoi maintenir des bacs pro dont on sait qu’ils n’offrent pas de débouchés ?

Le système scolaire est une très grosse machine avec beaucoup d’inertie. Ce n’est pas l’idéal pour innover. En outre, l’Education nationale doit scolariser tout le monde jusqu’à 16 ans. On envisage même de repousser cette obligation jusqu’à 18 ans. Que faire alors des élèves qui n’ont pas le niveau nécessaire pour accéder à des filières performantes ? Bien sûr, on pourrait imaginer des filières orientées vers les nouvelles technologies, le numérique… C’est ce que font certains acteurs parallèles, comme Xavier Niel avec son Ecole 42, qui peuvent être inventifs car ils n’ont pas les contraintes de l’Education nationale.

Vous qualifiez le bac pro de « diplôme ambigu ». Que voulez-vous dire ?

C’est ce qu’explique notamment l’article de Patrick Veneau et Josiane Paddeu. Peut-on être à la fois baccalauréat et professionnel ? Cette ambiguïté fondamentale n’a jamais été dépassée. D’où les problèmes que l’on rencontre aujourd’hui pour gérer les poursuites d’études des bacheliers professionnels et trouver des solutions aux difficultés d’insertion que rencontrent certaines spécialités ne permettant pas l’accès à l’emploi. Autant le bac pro a d’emblée été considéré dans les spécialités industrielles comme un diplôme métier, en partenariat avec les branches professionnelles, autant ce n’est pas le cas dans le secteur tertiaire. C’est le péché originel du système.

Ce bac permet-il une certaine promotion sociale et professionnelle ?

Lorsqu’on analyse l’insertion professionnelle des jeunes bacheliers pro au cours de leurs trois premières années de vie active, on ne voit pas d’effet promotionnel. Ils occupent majoritairement des emplois d’ouvriers ou d’employés. Mais cet effet se produit peut-être à plus long terme dans leur déroulement de carrière. Néanmoins, si l’on s’arrête au bac, il est préférable d’avoir un bac pro qu’un bac général. Même dans les filières tertiaires, trois ans après le diplôme, 70 % des jeunes sont en emploi, et ce chiffre grimpe à 78 % pour les bacs pro industriels. C’est beaucoup plus que pour leurs équivalents technologiques qui, il est vrai, ne sont pas destinés à une entrée directe sur le marché du travail.

Le bac pro ne souffre-t-il pas avant tout d’un problème d’image ?

Il a plutôt amélioré l’image de la voie professionnelle. Il a aussi sans doute modifié la vision que l’on a du baccalauréat, avec l’arrivée massive de plusieurs centaines de milliers de nouveaux bacheliers. Certains le regrettent, estimant que cela banalise le diplôme. Mais, au bout du compte, il me semble que le bac pro a moins un problème d’image que de lisibilité. La véritable question est de savoir à quoi il sert. Or la réponse est très différente d’une spécialité à l’autre.

Faut-il le réformer à nouveau ?

Une piste évoquée récemment consisterait à créer des filières de poursuite d’études spécifiques pour les bacheliers pro, par exemple un postbac d’une année. J’ai participé à plusieurs réunions sur ce sujet et nous n’avons pas conseillé cette solution. Déjà, d’un point de vue juridique, il serait compliqué de réserver une filière à un seul type de bac. En outre, si cette filière devait se révéler porteuse, elle subirait le même sort que les IUT pris d’assaut par des bacheliers généraux et technologiques. Je suis davantage favorable à des passerelles facilitant l’accès des bacheliers pro aux diplômes « sciences, technologies, santé », même avec une période de remise à niveau. Il reste enfin tous ces jeunes qui ne parviennent pas à décrocher le bac. Peut-être faudrait-il aussi inventer quelque chose pour eux.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Le sociologue Emmanuel Sulzer est chargé d’études au département « Entrées et évolutions dans la vie active » du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Il a coordonné le numéro de la revue Formation emploi « Le bac pro a 30 ans » (n° 131, juillet-septembre 2015, Céreq).

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