Caractérisés par la rareté des publics, des combinaisons de déficiences et de l’expertise requise (voir encadré ci-contre), les handicaps rares renvoient à des situations extrêmement complexes qui demandent une prise en charge au cas par cas. Nourrie depuis une quarantaine d’années par les associations de familles, la réflexion sur les modalités d’un accompagnement adapté fait désormais l’objet de l’attention des pouvoirs publics. Le processus engagé par le premier schéma national d’organisation sociale et médico-sociale pour les handicaps rares 2009-2013, visant à mettre en place une prise en charge conciliant proximité et technicité, se poursuit dans le schéma 2014-2018(1).
Le défi est de taille : il s’agit d’installer une organisation territoriale favorisant la coopération d’une pluralité d’intervenants locaux (professionnels sanitaires et médico-sociaux, institutionnels, associations, proches) et l’appui d’experts nationaux dans une logique de complémentarité des ressources, de coresponsabilité des acteurs et de subsidiarité des interventions. Piloté par la direction générale de la cohésion sociale et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), ce « dispositif intégré », largement inspiré du modèle des MAIA (maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer(2), est une fusée à plusieurs étages : « Il repose sur un système global structuré autour des quatre centres-ressources nationaux handicaps rares, d’équipes-relais interrégionales et des ressources locales composées des acteurs de proximité, explique Elisabeth Javelaud, secrétaire générale du Groupement national de coopération handicaps rares (GNCHR) chargé d’accompagner la démarche (voir encadré, page 32). Objectif : « Faire travailler ensemble tous ces partenaires pour fonctionner au plus près des besoins des personnes en situation de handicap rare, en apportant l’expertise dont elles ont besoin en matière d’accompagnement et en allant chercher les ressources là où elles existent – si possible dans la région, mais aussi au plan national, voire international si besoin. » « A travers cette organisation, nous défendons le principe que, de l’aide médico-psychologique aux professionnels des institutions telles que les agences régionales de santé [ARS], chacun a sa place, avec sa légitimité et sa temporalité, pour participer à l’élaboration d’une partie de la réponse », précise Mireille Prestini, responsable de l’animation du schéma national pour les handicaps rares à la CNSA. Laquelle organise, le 12 janvier prochain à Paris, une journée sur le dispositif « handicaps rares »(3).
La démarche va au-delà de la coordination. « Prenons l’exemple d’un jeune déficient visuel qui souffre également d’un trouble du spectre autistique, avance Elisabeth Javelaud. Si on se place dans une logique de coordination, il va s’agir soit de faire travailler côte à côte des spécialistes de la cécité et de l’autisme, soit de privilégier un type de spécialistes en supposant que l’un des troubles est dominant. Or, ce qui fait la spécificité des personnes en situation de handicap rare, c’est qu’elles n’ont pas de handicap dominant. Dans ces conditions, il est illusoire qu’un seul acteur apporte la réponse adéquate : cette dernière, forcément individualisée, est à bâtir selon une approche globale et transdisciplinaire qui s’appuie sur la coopération de l’ensemble des professionnels compétents et des familles. »
Pour que les différents acteurs soient dans une logique d’interdépendance et non de juxtaposition – laquelle « se revèle non seulement coûteuse mais aussi parfois délétère », estime Mireille Prestini –, le « dispositif intégré » a l’ambition de faire évoluer l’agencement du système. Il ne s’agit plus seulement de répondre au cas par cas à des situations cliniques individuelles, mais, en partant des difficultés qu’elles mettent en évidence, d’adapter l’organisation. « Les acteurs doivent pouvoir offrir le bon service, au bon endroit, au bon moment et aux bonnes personnes », résume Baptiste Brun, responsable des politiques en faveur des personnes handicapées au sein de l’ARS Basse-Normandie et référent « handicaps rares » pour l’interrégion Nord-Ouest. Ce qui passe par un « guichet intégré » destiné à apporter une réponse cohérente aux personnes en situation de handicap rare et à leurs familles, quelle que soit la porte d’entrée dans le dispositif. « La personne aura accès à ses droits, qu’elle s’adresse à un centre-ressources national ou à une équipe-relais, sans être tributaire d’une décision de la maison départementale des personnes handicapées [MDPH] », explique Elisabeth Javelaud.
Au-delà d’un accompagnement plus adapté, l’enjeu consiste à fluidifier les parcours et à éviter les ruptures de prise en charge, notamment lors de la transition entre l’enfance et l’âge adulte, dans la droite ligne des préconisations du rapport « Piveteau »(4). Le dispositif devrait également permettre d’orienter les personnes au quotidien lorsqu’elles rencontrent des difficultés somatiques ordinaires qui requièrent néanmoins des soins adaptés. Pour la plupart d’entre elles, il est impossible, par exemple, d’envisager une intervention dentaire sans anesthésie, ce qui suppose de trouver rapidement un dentiste ou un hôpital réalisant ce type d’intervention.
« En évitant de compartimenter les réponses et en activant toutes les ressources possibles à différentes échelles, ce dispositif devrait mettre fin au calvaire des parents qui, confrontés à un système illisible, n’étaient jamais certains d’avoir mis à disposition de leur enfant l’ensemble des solutions possibles », observe Pierre Gallix, administrateur du GNCHR. « Cela va dans le sens des idées que nous avons toujours défendues, à savoir la continuité, la souplesse et la qualité de l’accompagnement. Même si je reste lucide sur les lacunes du système, je me réjouis de constater qu’il gagne progressivement en cohérence », se réjouit également Aliette Gambrelle, présidente du Comité de liaison et d’action des parents d’enfants et d’adultes atteints de handicaps associés (Clapeaha).
Installées au niveau interrégional(5) et des ressources de proximité, 12 équipes-relais constituent le pivot du dispositif. « Notre rôle n’est pas d’être des spécialistes du handicap rare, mais de proposer une diversité de réponses nouvelles en créant du lien entre les acteurs de première ligne – écoles, associations d’aide à domicile, protection maternelle et infantile… –, ceux de deuxième ligne – service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés [Samsah], établissements… – et ceux de troisième ligne, en particulier les centres-ressources nationaux », explique Jean Briens, pilote de l’équipe-relais de Bretagne.
En cours de déploiement depuis le début de l’année, les équipes-relais n’en sont pas toutes au même point d’avancement. Certaines agences régionales de santé n’ont désigné l’organisme porteur qu’en août, si bien que plusieurs équipes terminent à peine le recrutement de leurs collaborateurs. D’autres sont déjà à pied d’œuvre, à l’instar de l’équipe-relais de Bretagne(6), une des premières à fonctionner dès janvier 2015. Composée d’un pilote à temps partiel (70 %) et d’une secrétaire (80 %), elle est portée par un collectif d’une vingtaine d’associations(7) et de praticiens hospitaliers (neurologues, généticiens…) créé sous l’égide de l’association Phare d’Ouest, qui travaille depuis 2010 à la mise en place d’un réseau de professionnels spécialistes de la surdicécité.
Mais « il n’y a pas de modèle type, affirme Elisabeth Javelaud. Chaque équipe-relais fonctionne selon son territoire, son histoire, ses partenaires locaux… ». « C’est un dispositif nouveau, tout est à inventer », renchérit Magali Colinot, pilote de l’équipe-relais de la région Pays de la Loire, dont les 23 partenaires se sont engagés à mettre à disposition leurs ressources (référents, équipe-mobile, plateaux techniques, modules de formation, modalités innovantes d’accompagnement…). Contrairement à d’autres équipes-relais, « notre modèle s’appuie exclusivement sur l’existant, ce qui va lui permettre d’évoluer selon les besoins », explique Magali Colinot.
En dépit de ces disparités, les équipes-relais obéissent à un cahier des charges national(8). Parmi leurs missions prioritaires : recenser les ressources de leur territoire. Ce qui suppose d’aller à la rencontre des responsables d’institutions qui, pour la plupart, connaissent très mal les handicaps rares : MDPH, associations gestionnaires d’établissements, associations d’usagers, réseaux qui interviennent dans le champ du handicap… Cet état des lieux suppose une « catégorisation fine » pour répondre à des besoins très individualisés : « Il ne suffit pas de connaître les responsables des différentes structures, il est nécessaire de savoir quel orthophoniste est compétent dans tel domaine, quel réseau pour telle difficulté, quel établissement pour tel type de personne… », souligne Elisabeth Javelaud.
Autre mission : identifier les situations de handicap rare. « Les quatre centres-ressources nationaux ont une bonne connaissance de leur public caractérisé par des déficiences à dominante sensorielle pour trois d’entre eux, et avec épilepsie sévère pour le dernier. Mais il reste tous les autres publics, dont les déficiences sont souvent liées à une maladie rare [Prader-Willi, Huntington…], et qui sont encore très mal connus en France », observe Elisabeth Javelaud. « Nous allons confronter la définition officielle du handicap rare à la réalité de terrain pour, éventuellement, la faire évoluer », précise Bob Aguirre, pilote à temps plein de l’équipe-relais de Poitou-Charentes, qui y recensait à la mi-octobre environ 200 situations relevant du handicap rare.
Ce repérage des ressources et des situations servira à alimenter la base de données nationale sur laquelle travaille le GNCHR depuis près de trois ans. Celle-ci permettra de mieux adapter l’offre aux besoins d’accompagnement et de soins. L’état des lieux réalisé par les équipes-relais servira aussi de point de départ pour envisager des solutions innovantes.
En Bretagne, les premières observations font état de lacunes en matière de prise en charge des malades de Huntington, ce qui a conduit l’équipe-relais à structurer une « équipe experte » sur le sujet. Constituée de représentants de l’association Huntington France, de deux maisons d’accueil spécialisées (MAS), de deux foyers d’accueil médicalisé (FAM) et d’un Samsah, elle se réunit régulièrement pour anticiper les parcours de vie de ces malades et effectuer une veille. En parallèle, l’équipe prévoit une première action de formation sur la maladie de Huntington dans le nord de la Bretagne, animée par une MAS et un Samsah le 27 novembre prochain. Une autre se tiendra au début 2016 dans le sud de la Bretagne.
De fait, un immense travail reste à mener en matière de formation. Au-delà des professionnels du secteur médico-social, les MDPH sont concernées au premier chef. Rares en effet sont celles qui sont en capacité d’évaluer et d’orienter les situations complexes – par exemple en notifiant une double, voire une triple, prise en charge.
Autre tâche des équipes-relais : l’accompagnement individuel des personnes. Depuis le début de l’année, celle de Bretagne est intervenue auprès d’une trentaine de cas à la suite des demandes de familles ou d’associations de familles, de médecins hospitaliers ou encore d’établissements et services qui ne savent pas comment faire face à la situation. Dans un premier temps, l’équipe-relais rencontre les personnes pour évaluer la demande : « Il s’agit de faire la lumière sur leurs attentes et de voir si elles nous autorisent à échanger avec d’autres – médecins, MDPH, services… », indique Jean Briens. Si la réponse est positive, des partenaires sont sollicités pour trouver une solution appropriée. « Chaque cas va enclencher un processus singulier, comme l’interpellation d’un centre-ressources national si nous n’avons pas l’expertise au plan régional, la prise de contact avec l’établissement qui accompagne la personne pour mieux cerner la situation, la sollicitation de la MDPH pour une demande de notification… », poursuit-il.
Bousculés par cette nouvelle organisation, établissements et services pourraient, à terme, être amenés à revoir leurs modalités de fonctionnement, en particulier en accélérant leur mise en réseau – par exemple, « en faisant travailler ensemble des professionnels de différentes structures sur un même projet », souligne Jean Briens. Plus largement, le « dispositif intégré » devrait favoriser les liens entre les secteurs sanitaire et médico-social. C’est déjà le cas avec l’équipe-relais des Pays de la Loire qui est portée à la fois par la Mutualité française Anjou-Mayenne, qui gère plusieurs établissements, et le CHU d’Angers.
Au-delà, cette organisation intégrée fait figure de laboratoire dans le champ du handicap. « Nous expérimentons aujourd’hui, grandeur nature, ce dispositif pour le handicap rare mais, à terme, on peut envisager sa généralisation à d’autres types de handicap complexe », observe Mireille Prestini. Deux ou trois ans ne seront toutefois pas de trop pour juger de la pertinence de la démarche. Permettra-t-elle de faire travailler ensemble et sur la durée des acteurs qui ont des points de vue différents ? Les équipes-relais sauront-elles trouver leur place et ne pas devenir, selon les termes de Bob Aguirre, « un étage supplémentaire dans un mille-feuilles augmenté » ? Bien qu’il y ait potentiellement 12 modèles différents d’équipes-relais, aucune évaluation n’a été prévue, regrette Jean Briens : « Cela aurait pourtant été intéressant d’observer la façon dont chacune se met en place pour comparer leur efficacité. »
D’autres redoutent que l’accent mis sur l’organisation – dont personne ne remet en question la légitimité – ne fasse disparaître la question du nombre de places disponibles. « L’enjeu organisationnel s’inscrit clairement dans un contexte de raréfaction des ressources : il faut garder à l’esprit que c’est en partie faute de pouvoir proposer davantage de réponses adaptées en établissements et services qu’on propose mieux en termes d’organisation », remarque Aliette Gambrelle. Pour Claire Davalo, directrice du centre national de ressources pour les handicaps rares Robert-Laplane à Paris, il faut également rester vigilant à la qualité de l’accompagnement : « Beaucoup de temps et de moyens ont été consacrés à la coordination et à l’organisation territoriale, ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne l’expertise clinique, et cela risque de poser problème à terme », pointe-t-elle. Quant à Serge Bernard, directeur du centre national de ressources pour enfants et adultes sourds aveugles et sourds malvoyants, il s’inquiète d’un surinvestissement des équipes-relais : « Du fait de leur nouveauté, on peut comprendre qu’elles fassent l’objet d’une attention particulière. Attention, toutefois, de ne pas oublier les établissements et les associations de familles et d’usagers qui sont des acteurs tout aussi importants. »
Selon l’arrêté du 2 août 2000, le handicap rare « correspond à une configuration rare de déficiences ou de troubles associés, incluant fréquemment une déficience intellectuelle, et dont le taux de prévalence ne peut être supérieur à un cas pour 10 000 habitants. Sa prise en charge nécessite la mise en œuvre de protocoles particuliers qui ne sont pas la simple addition des techniques et moyens employés pour compenser chacune des déficiences considérées ». Les personnes concernées présentent une configuration de déficience relevant d’une des catégories suivantes :
→ l’association d’une déficience auditive grave et d’une déficience visuelle grave ;
→ l’association d’une déficience visuelle grave et d’une ou plusieurs autres déficiences ;
→ l’association d’une déficience auditive grave et d’une ou plusieurs autres déficiences ;
→ une dysphasie grave associée ou non à une autre déficience ;
→ l’association d’une ou plusieurs déficiences graves et d’une affection chronique, grave ou évolutive.
Composés d’équipes pluridisciplinaires spécialisées, les quatre centres-ressources nationaux handicaps rares, chacun dédié à une catégorie (déficients visuels et auditifs, aveugles multi-handicapés, avec surdité, troubles associés et troubles complexes du langage, avec épilepsie sévère), interviennent partout en France pour construire des prises en charge adaptées et délivrer des formations. Au sein de ces services qui fonctionnent depuis 1998(1), l’arrivée des équipes-relais, bien qu’elles soient attendues avec intérêt, et même souhaitées, suscitent une légère inquiétude : « Leur montée en charge progressive nous bouscule un peu, mais cette nouvelle dynamique nous pousse à clarifier nos missions et à harmoniser nos positionnements », relève Claire Davalo, directrice du centre national de ressources Robert-Laplane à Paris. Les mois qui viennent vont être consacrés à ajuster l’articulation des interventions des unes et des autres. « Du fait du principe de subsidiarité, les centres-ressources devraient être moins systématiquement sollicités car les équipes-relais pourront réaliser une première analyse des besoins et, seulement si c’est nécessaire, leur orienter les cas les plus complexes », prévoit Bob Aguirre, pilote de l’équipe-relais de Poitou-Charentes. En contrepartie, au moins dans un premier temps, les centres-ressources vont « avoir un important travail de formation auprès des équipes-relais pour le repérage des situations de handicap rare », souligne Claire Davalo, qui se félicite néanmoins de l’apport des équipes-relais en termes de connaissance des territoires. Pour Serge Bernard, directeur du centre national de ressources pour enfants et adultes sourds aveugles et sourds malvoyants, « l’essentiel est de tendre vers un diagnostic partagé : au-delà des aspects fonctionnels, il est fondamental que les centres-ressources et les équipes-relais se retrouvent sur des principes d’actions et des valeurs communes ».
(1) Voir ASH n° 2895 du 30-01-15, p. 16 – Voir également nos décryptages, ASH n° 2824 du 13-09-13, p. 26 et n° 2859 du 9-05-14, p. 20.
(2) Qui vont, à partir du 1er janvier 2016, devenir « méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie ».
(3) Avec le GNCHR sous le titre « Défis et enjeux de la coopération des acteurs au sein du dispositif intégré handicaps rares » –
(4) « Zéro sans solution » – Voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 11.
(5) Neuf interrégions ont été identifiées. Pour l’instant, seules les sept interrégions métropolitaines sont concernées par la création des équipes-relais. Deux équipes supplémentaires verront le jour en 2016 dans les interrégions d’outre-mer.
(6) Les ARS de l’interrégion Ouest (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Centre et Poitou-Charentes) ont fait le choix de créer une équipe-relais par région.
(7) Dont l’Association des paralysés de France, Huntington France, Prader-Willi France…
(1) Pour trois d’entre eux, le dernier ayant été créé en 2013.