A ce jour, 23 départements se sont engagés à mettre en œuvre la feuille de route « une réponse accompagnée pour tous », pilotée par Marie-Sophie Desaulle, dans le prolongement du rapport « Zéro sans solution » de Denis Piveteau(1) et de la conférence nationale du handicap(2). C’est ce qu’a annoncé la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville, le 10 novembre, en donnant le coup d’envoi officiel de ce projet à l’occasion d’une journée de travail qui a réuni les acteurs impliqués dans la démarche. L’objectif de la feuille de route est d’« instaurer une procédure concertée pour proposer des solutions de proximité sur mesure », afin d’éviter que les personnes handicapées subissent des ruptures de parcours, restent sans solution d’accueil et de prise en charge adaptée faute de place disponible en établissement ou service médico-social (ESMS) ou soient contraintes de s’exiler en Belgique(3).
Pour mémoire, c’est à la suite de l’affaire « Amélie Loquet »(4) que le rapport « Piveteau » a préconisé de remplacer la décision « unique » de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) par une décision d’orientation « qui dit le souhaitable » et un plan d’accompagnement global (PAG) « qui dit le possible, en le rendant effectivement opposable ». La feuille de route « une réponse accompagnée pour tous », qui traduit cette proposition en dispositif opérationnel, comporte quatre axes d’action, chacun placé sous la responsabilité d’un pilote institutionnel.
Le premier axe, piloté par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), consiste dans la mise en place d’un dispositif d’orientation permanent, dont le fondement législatif est inscrit dans l’article 21 bis du projet de loi « santé », qui devrait achever son parcours parlementaire d’ici à la fin de l’année. Ce dispositif consiste, pour la MDPH, a élaborer une orientation au regard des besoins et des aspirations de la personne handicapée tels qu’ils sont exprimés dans son projet de vie, et non au regard de l’offre disponible en établissement, comme cela se produit parfois actuellement, a expliqué Marie-Sophie Desaulle aux ASH. Lorsque cette orientation ne peut se concrétiser (par exemple, en raison de la complexité de la réponse à apporter), un plan d’accompagnement global doit être élaboré avec l’accord préalable de la personne concernée. Pour mettre fin à la « politique de la chaise vide », ce dispositif « instaure le principe du tour de table, de la concertation autour de la MDPH positionnée comme “assembleur” des solutions de proximité », a indiqué Ségolène Neuville. Sur le papier, l’article 21 bis prévoit en effet de réunir au sein d’un groupe opérationnel de synthèse les professionnels et les institutions ou services susceptibles d’intervenir dans la mise en œuvre du PAG. Sur le terrain, cela s’apparente à un droit de convocation par la MDPH des acteurs qui participent déjà à la prise en charge de la personne handicapée et de tous ceux qui pourraient y contribuer (secteur médico-social et sanitaire, notamment), a indiqué Marie-Sophie Desaulle, en rappelant que l’article 21 bis prévoit que les ESMS auront l’obligation de motiver tout refus d’admission.
Pour Ségolène Neuville, le dispositif va permettre de « proposer des réponses “sur mesure” nécessitant des dérogations administratives ou financières prises par les autorités compétentes » (agence régionale de santé [ARS], conseil départemental, assurance maladie…). A ce titre, la secrétaire d’Etat a tout d’abord annoncé la création de plates-formes de services appuyées à des établissements ou services médico-sociaux, afin « de proposer des solutions d’accompagnement comme en libéral ». L’idée est de conventionner des professionnels libéraux, y compris ceux dont les prestations ne sont pas remboursées par l’assurance maladie (psychologue, psychomotricien, par exemple), pour faciliter la prise en charge à domicile de la personne handicapée et limiter les frais financiers pour les familles, en particulier celles qui ont des enfants autistes. Les premières plates-formes devraient voir le jour au premier semestre 2016, a-t-elle indiqué. Cette « socialisation » de la dépense sera financée via l’enveloppe de 15 millions d’euros récemment annoncée afin d’éviter les départs contraints en Belgique(5).
Par ailleurs, comme il ne sera pas possible de créer un établissement par types de handicaps dans chaque département, la mise en place de solutions sur mesure se fera par le biais d’extension de places dans des établissements existants, a expliqué Ségolène Neuville, en soulignant que les extensions de petite capacité ne sont pas soumises à la procédure d’appel à projet, ce qui a l’avantage de permettre une adaptation plus rapide de l’offre aux besoins.
La feuille de route « une réponse accompagnée pour tous » va également permettre l’émergence d’un nouveau type de dispositif : l’hébergement de transition, destiné aux personnes handicapées qui nécessitent « à un moment donné » une mise à distance de leur environnement habituel et une évaluation de leurs besoins en soins somatiques, y compris dans le domaine de la santé mentale, et en accompagnement médico-social.
La mise en œuvre de la feuille de route va faire l’objet d’un déploiement progressif, a indiqué Marie-Sophie Desaulle aux ASH. Les 23 départements qui participent à la première vague de déploiement(6) se sont engagés dans la démarche de façon volontaire en répondant à un appel à candidatures lancé en juillet dernier. Il ne s’agit pas d’une expérimentation, dont on attendrait l’évaluation avant d’en décider la généralisation, mais d’un dispositif dans lequel tous les départements devront s’inscrire d’ici à la fin 2017, a-t-elle averti, en précisant que la deuxième vague devrait intervenir à la fin 2016 après un second appel à candidatures. Afin de s’assurer de la coopération de l’ensemble des acteurs départementaux, la participation au projet doit être décidée par la commission exécutive de la MDPH. Il reviendra à chaque maison départementale de définir ses priorités en fonction de la situation locale (type de handicap, tranche d’âge…). A terme, « une réponse accompagnée pour tous » a vocation à remplacer le dispositif de gestion des situations critiques mis en place après l’affaire « Amélie Loquet »(7).
Se réjouissant de l’implication des délégués du défenseur des droits dans l’axe de la feuille de route consacré à l’accompagnement par les pairs (piloté par le secrétariat général du comité interministériel du handicap), Ségolène Neuville a souligné la nécessité de tirer profit de l’expertise d’usage des personnes handicapées et de leurs proches. Selon la première lettre des acteurs du projet(8), les actions menées à ce titre consisteront notamment à former des personnes handicapées afin qu’elles puissent elles-mêmes intervenir dans la formation des professionnels et assurer des missions de médiation ou de conciliation, par exemple en cas de désaccord sur le PAG.
Un autre axe de la feuille de route réside dans la construction d’une « réponse territorialisée » sous le pilotage du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales. Dans ce cadre, « les ARS sont invitées à travailler dans le cadre d’un partenariat fort, notamment avec les conseils départementaux et les services de l’Education nationale, à la complémentarité et à la mise en cohérence de leurs stratégies », indique la lettre des acteurs du projet. Enfin, le dernier axe est celui de l’accompagnement au changement, piloté par la direction générale de la cohésion sociale. Dans ce domaine, un des objectifs est de permettre aux MDPH de se recentrer sur leur mission d’évaluation des besoins des personnes handicapées et de définition d’une réponse adaptée via « la simplification des tâches administratives à faible valeur ajoutée »(9).
Pour mettre en œuvre leurs nouvelles responsabilités, les MDPH bénéficieront du soutien de la CNSA. Un « appui individualisé et personnalisé »sera ainsi assuré en lien avec un « prestataire choisi dans le cadre d’un marché public », a fait savoir la caisse sur son site Internet (
Le fonds d’amorçage de 15 millions d’euros pour éviter les départs en Belgique sera également mobilisé. La généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, contribuera aussi au financement de la démarche.
(3) Une situation récemment dénoncée par l’Unapei – Voir ASH n° 2930 du 23-10-15, p. 18.
(4) Amélie Loquet est une jeune femme souffrant du syndrome de Prader-Willi et d’un autisme sévère qu’aucun établissement médico-social n’avait accepté d’accueillir, faute de place disponible ou en raison de l’impossibilité de prendre en charge sa pathologie, ce malgré des décisions d’orientation de la CDAPH. Le 7 octobre 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant en référé, a ordonné à l’agence régionale de santé d’Ile-de-France de lui trouver une solution d’accueil – Voir ASH n° 2828 du 11-10-13, p. 38.
(6) Les 23 départements « pionniers » sont l’Aisne, les Alpes-de-Haute-Provence, l’Aude, la Corrèze, la Côte-d’Or, la Drôme, la Guyane, l’Ille-et-Vilaine, les Landes, la Loire, la Loire-Atlantique, le Morbihan, le Haut-Rhin, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales, la Saône-et-Loire, la Sarthe, la Seine-Maritime, la Seine-et-Marne, la Vendée, la Vienne, les Vosges, l’Yonne.
(8) Lettre n° 1 « Zéro sans solution » – Septembre 2015 – Disp. sur
(9) Rappelons que plusieurs mesures de simplification ont été présentées au mois de juin dernier par le gouvernement – Voir ASH n° 2913 du 5-06-15, p. 8