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Le défenseur des droits se penche sur le placement des enfants handicapés à l’ASE

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Près de 70 000 enfants handicapés sont pris en charge par la protection de l’enfance, estime Jacques Toubon. Oubliés des statistiques, ils pâtissent du manque de formation des travailleurs sociaux, des carences de l’offre médico-sociale, d’orientations inadaptées ou encore de diagnostics tardifs du handicap.

La prise en charge des enfants handicapés par la protection de l’enfance est un « sujet peu connu, peu étudié, peu traité », souligne le défenseur des droits dans son rapport thématique sur les droits de l’enfant rendu public à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant du 20 novembre(1). Ce rapport « inédit, premier du genre en France », intervient après que plusieurs associations du secteur du handicap ont dénoncé des placements abusifs d’enfants handicapés à l’aide sociale à l’enfance (ASE)(2). Saisie de « multiples réclamations individuelles » émanant de parents, d’associations ou de professionnels, l’institution illustre ses constats par des cas concrets(3). Dénonçant la « fragilisation extrême de ces enfants » qui les expose d’autant plus à des dénis de leurs droits (dans les domaines de la santé, de la scolarité…), Jacques Toubon identifie des « pistes concrètes d’amélioration des dispositifs » et invite les acteurs « à s’emparer des problématiques et des enjeux ainsi répérés ».

Absence de données

« No data, no problem. » C’est par cette expression que le défenseur des droits résume son premier constat : ni quantifiés ni identifiés, les enfants handicapés pris en charge par la protection de l’enfance sont « invisibles, oubliés à la fois des politiques d’accompagnement du handicap et de protection de l’enfance ». Selon les estimations de l’institution, près de 70 000 enfants handicapés seraient concernés par une mesure d’aide sociale à l’enfance. Le rapport relève également un taux de prévalence du handicap très largement supérieur chez les enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance par rapport aux enfants de la population générale (17 % contre 2 %, respectivement). Le handicap psychique et les troubles importants du comportement seraient surreprésentés à l’ASE tandis que « les handicaps sensoriels, physiques, moteurs seraient beaucoup moins présents », évalue le défenseur. Face au « manque de données fiabilisées et globales, aussi bien quantitatives que qualitatives », il regrette que le système de remontées de données géré par l’Observatoire national de l’enfance en danger « peine […] à se mettre effectivement en place sur l’ensemble du territoire national ». Et recommande notamment aux départements de solliciter une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés afin que les remontées de données incluent le handicap des enfants faisant l’objet d’une information préoccupante (IP).

Manque de coordination et de formation

Pointant « des difficultés importantes de coordination des actions de prévention précoce », le rapport recommande la rédaction d’une charte départementale du partage de l’information nominative dans le champ de la protection de l’enfance et sa signature par l’ensemble des professionnels intervenant auprès de l’enfant dans le cadre de la protection de l’enfance et dans celui de l’accompagnement du handicap. Il identifie par ailleurs un manque de formation adaptée de l’ensemble des acteurs (travailleurs sociaux, enseignants, professionnels de santé, magistrats…) et préconise des formations transversales communes afin de développer une connaissance et une culture partagées. Autres recommandations : renforcer les liens entre la médecine scolaire et la protection maternelle et infantile (PMI), soutenir les dispositifs de soutien à la parentalité ou encore généraliser le projet pour l’enfant dans l’ensemble des départements afin d’unifier et de clarifier les prises en charge multiples (notamment lorsque est établi un projet personnalisé de scolarisation ou un contrat de séjour).

Carences institutionnelles

« L’entrée en protection de l’enfance resterait-elle justifiée si les bouleversements introduits par le handicap dans la vie des familles étaient réellement pris en compte et pris en charge par un accompagnement adapté ? », s’interroge le défenseur des droits. Pour lui, dans « nombre de situations », l’intervention de l’ASE résulterait « non de carences parentales », mais de carences institutionnelles. Diverses situations, génératrices d’un danger ou d’un risque de danger pour l’enfant handicapé, sont en effet susceptibles de le faire entrer dans le dispositif de protection de l’enfance. A l’école, par exemple, il peut s’agir de la non-application d’une décision de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) (auxiliaire de vie scolaire) ou du harcèlement scolaire subi par l’enfant handicapé. Autant de situations qui ont « des conséquences très déstabilisantes pour les familles », souligne le défenseur des droits en recommandant de sensibiliser les acteurs de l’Education nationale au handicap et de généraliser les guides pratiques contenant des informations sur les partenaires, les structures de diagnostic… Lors de l’évaluation des informations préoccupantes, les départements devraient quant à eux s’interroger sur ce qui relève d’une carence parentale ou d’une défaillance d’ordre institutionnel, plaide le rapport en préconisant la mise en place d’une cellule départementale de recueil des informations préoccupantes « unique et pluridisciplinaire ». Il recommande également qu’un référentiel national pour l’évaluation des informations préoccupantes comprenne une partie spécifique au handicap. Les acteurs de l’évaluation du danger doivent être sensibilisés aux spécificités du handicap et le recours à des experts du handicap doit être encouragé, estime également Jacques Toubon.

Orientations tardives ou inadaptées

D’autres situations de danger découlent des orientations tardives ou inadaptées effectuées par la MDPH, signale le rapport. Ainsi, « de nombreux enfants en situation de handicap se trouvent aujourd’hui, en l’absence de réponses adaptées à leurs besoins de compensation en termes d’accompagnement en établissement ou service médico-social, contraints de rester à domicile à la charge de leur famille, parfois au risque de mettre en cause l’intégrité et la sécurité de leur entourage, et se voient ainsi privés de certains de leurs droits fondamentaux » (droit à des soins adaptés et droit à l’instruction, notamment). Parfois, c’est l’inadaptation de l’offre sanitaire et médico-sociale qui conduit la famille ou les services de l’ASE à saisir le juge des enfants en vue d’un placement direct par le magistrat qui s’impose à la structure, révèle le rapport. Tout en appelant à « une application effective dans les meilleurs délais » du dispositif « une réponse accompagnée pour tous » (voir ce numéro, page 8), le défenseur des droits recommande en particulier de mettre en place un système de recensement des besoins des enfants handicapés et d’information sur l’offre institutionnelle en temps réel. Pour lui, il faut également accompagner la création de places en établissements spécialisés d’une diversification des solutions d’accompagnement pour répondre aux besoins spécifiques en fonction du handicap. Il faut aussi mettre en place un mécanisme de suivi des décisions d’orientation des MDPH, plaide-t-il. Pointant des délais d’attente « trop longs » pour obtenir une place dans un établissement ou un service médico-social (de deux à quatre ans) et une gestion des listes d’attente par les responsables des structures « très largement opaque », il appelle à définir des critères objectifs de gestion de ces listes d’attente et à mettre en place un suivi externe des conditions d’admission.

« Dans près de 66 % des cas, les enfants ayant fait l’objet d’une saisine de la commission des situations critiques sont des enfants qui font l’objet d’un suivi en protection de l’enfance », souligne par ailleurs le rapport. Les départements ayant signalé le manque d’opposabilité des décisions, y compris celles de la commission des situations critiques, le défenseur des droits préconise la mise en place de commissions pluridisciplinaires afin d’évaluer et de répondre « le plus en amont possible » aux situations complexes et de favoriser la continuité du parcours de l’enfant. A ce titre, il appelle à un « travail de dialogue et de compréhension mutuels » entre les professionnels des secteurs de la protection de l’enfance et du handicap.

Absence de diagnostic

Lorsque le handicap n’a pas encore été diagnostiqué au moment de l’évaluation de l’IP, il est « important » que les acteurs puissent en identifier les symptômes, souligne encore l’institution, en particulier dans le cas des troubles envahissants du développement. Malgré les recommandations HAS-ANESM (Haute Autorité de santé-Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux), « le champ de l’autisme demeure caractérisé par un débat entre approches psychanalytiques et approches strictement comportementalistes » et les signes de l’autisme ne sont pas toujours connus des professionnels, déplore le défenseur des droits. Cette situation risque d’entraîner une absence de prise en charge précoce et adaptée de l’enfant. Conséquence : « les troubles associés, les oppositions, les violences répétées, les difficultés pour les familles à nourrir leurs enfants, les laver ou encore les habiller correctement, peuvent conduire à des situations qui seront interprétées comme des situations de danger sans prise en compte de la pathologie attachée aux signes et symptômes alarmants ». A ce titre, en plus de ses préconisations en matière de formation des professionnels, Jacques Toubon recommande la production d’une « grille claire, accessible et conforme » aux recommandations HAS-ANESM pour permettre le repérage des signes de l’autisme par les acteurs de la petite enfance (PMI, travailleurs sociaux, Education nationale…). Les experts judiciaires doivent, quant à eux, être en conformité avec ces recommandations. Et les questions d’opposabilité et d’invocabilité de celles-ci par les professionnels doivent être clarifiées.

Notes

(1) Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles – Disp. sur www.defenseurdesdroits.fr.

(2) Voir ASH n° 2922 du 28-08-15, p. 12.

(3) Le rapport s’appuie sur « plus de 40 auditions et entretiens », sur « plus de 20 contributions, dont celles du réseau européen des défenseurs des enfants », ainsi que sur une « enquête auprès de l’ensemble des conseils départementaux » à laquelle 43 d’entre eux ont répondu.

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