Le box d’entretien est situé à l’écart de l’agitation de l’accueil, où les assurés défilent à l’appel du numéro qu’ils ont retiré à l’entrée. Ce matin-là, pour atteindre le bureau vitré où se trouve l’assistante de service social, il faut slalomer entre les poussettes, se frayer un passage dans la file d’attente. L’agence de l’assurance maladie du centre-ville d’Argenteuil est l’une des plus fréquentées du département du Val-d’Oise. L’une des dernières, aussi, les centres fermant les uns après les autres. C’est là que, deux fois par semaine, Florence Barré, assistante de service social (AS) à la caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France (Cramif)(1), reçoit sur rendez-vous les assurés qu’elle accompagne.
Le dernier entretien de la matinée lui réserve une bonne surprise : l’assurée qu’elle reçoit vient enfin d’obtenir un poste d’agent d’accueil, plus compatible avec son état de santé que les ménages qu’elle effectuait jusqu’alors. Après les félicitations, l’assistante sociale s’emploie à rassurer la femme : « Bien sûr, le contact avec le public, c’est très différent. Mais vous en êtes tout à fait capable. Est-ce que vous vous êtes renseignée auprès du service du personnel ? Il y a peut-être des formations. » Passée par une procédure de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), la quinquagénaire appréhende son retour à l’emploi. « Une grande partie de notre travail, c’est d’aider les assurés à reprendre confiance en eux, commente Florence Barré. Rencontrer un problème de santé, c’est un bouleversement personnel, social, familial, financier… Tout l’équilibre est affecté. En intervenant au plus tôt dans l’arrêt de travail, nous permettons aux personnes de ne pas perdre pied. »
En poste à l’unité d’Argenteuil, Florence Barré est l’une des 35 assistantes sociales du service social de la Cramif dans le Val-d’Oise. Au total, le service social régional compte 521 collaborateurs, dont 325 AS dans toute l’Ile-de-France. « C’est à Paris et en Seine-Saint-Denis que les équipes sont les plus nombreuses, explique Sophie Hamayon, la responsable départementale, mais les besoins sont aussi très importants dans le Val-d’Oise. » Le département constitue, en effet, un territoire très contrasté : « Le plus jeune d’Ile-de-France, mais avec une part d’habitants de plus de 75 ans qui va exploser d’ici à 2020 ; des agglomérations très denses comme Argenteuil, Cergy ou Sarcelles, et des zones très peu peuplées, assez éloignées des voies de communication ; quelques concentrations d’habitants assujettis à l’impôt sur la fortune, mais un taux de pauvreté global qui avoisine celui du 93… », décrit Sophie Hamayon. En résumé, « le Val-d’Oise compte d’importants secteurs précarisés, aussi bien urbains que ruraux ». Pour couvrir l’ensemble du département, les professionnelles sont réparties sur trois unités – Cergy, Argenteuil et Goussainville – découpées en zones d’intervention partagée (ZIP). Polyvalentes, elles assurent sur leur secteur l’ensemble des missions dédiées au service social régional : l’accès aux droits et aux soins des personnes en situation de précarité ; la prévention et le traitement de la perte d’autonomie des personnes malades, handicapées ou âgées ; la prévention de la désinsertion professionnelle des assurés malades ou handicapés.
Quel que soit le domaine, les actions mises en œuvre doivent respecter un cadre bien précis : celui du contrat pluriannuel de gestion (CPG) liant la caisse régionale à la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). « Depuis l’ordonnance dite “Juppé” de 1996, l’Etat conclut avec les caisses nationales de chaque branche – maladie, vieillesse, famille, recouvrement – une convention d’objectifs et de gestion (COG), qui détermine les objectifs de gestion, les moyens de fonctionnement et les actions à mettre en œuvre, retrace Sophie Hamayon. Cette COG est ensuite déclinée en CPG ; les objectifs du service social sont donc détaillés dans le CPG maladie de la Cramif. » Ce CPG s’articule également avec des programmes d’actions nationaux définissant des grandes priorités pour tous les services sociaux régionaux, ainsi qu’avec toute une série de conventions signées pour structurer les nombreux partenariats institutionnels.
Conséquence pour les professionnels ? La nécessité de veiller constamment au respect des objectifs nationaux et territoriaux, ainsi qu’à la traçabilité et au « scoring » des actions engagées. « Toutefois, chaque département conserve la possibilité d’organiser ses propres actions, en fonction des besoins locaux », précise Sophie Hamayon. Avec environ 70 % d’actions « socles » et 30 % d’actions territoriales, « les assistantes sociales parviennent ainsi à articuler un cadre contraignant avec les latitudes qui constituent le cœur de métier et l’âme d’un service social », soutient-elle.
Face aux situations rencontrées, il est de toute façon impossible de s’en tenir froidement au cadre imposé. « Qu’elles soient en arrêt de travail de longue durée, en rupture de droits, à peine sorties de l’hôpital ou encore âgées avec des problèmes de santé, les personnes que nous recevons se trouvent toutes à un moment charnière de leur vie, qui occasionne de grands changements, des craintes et, souvent, de la souffrance, résume Christine Piroja, AS à la sécurité sociale depuis l’obtention de son diplôme d’Etat en 1985. Elles ont besoin d’informations, d’aide pour s’y retrouver dans la législation ; mais aussi de chaleur, d’écoute, d’être rassurées. » Les professionnels l’admettent à mots couverts : concilier le minutage des entretiens, le strict cadrage des actions collectives ou les exigences de « reporting » avec les principes fondamentaux du travail social n’est pas toujours facile. « Mais on conserve les moyens de faire de vraies évaluations des situations, et de conduire de vrais accompagnements sur la durée », affirme Florence Barré, en poste à Argenteuil depuis le début de sa carrière, en 2004. La richesse des missions et la variété des profils des personnes accompagnées achevant d’attacher les assistants sociaux de la Cramif à leur métier.
Ce matin, tandis que Florence Barré regagne son bureau pour compléter le dossier informatisé des assurés présents à la permanence, sa collègue Ilham Laciqui constitue une demande d’aide financière : « Il s’agit d’une aide pour une dame atteinte d’un cancer et qui a acheté une perruque à 700 €. C’est le prix pour un accessoire de qualité et des produits d’entretien adéquats, mais avec ses faibles ressources, elle s’est mise en difficulté. » Entre le fonds d’aide de la caisse primaire, le fonds d’action sociale de la Ligue contre le cancer et le fonds de secours de l’organisme de prévoyance de l’assurée, Ilham Laciqui espère obtenir le remboursement de la totalité de la somme. « Le plus triste est que, maintenant qu’elle a sa perruque, la dame n’arrive pas à la mettre, raconte-t-elle. J’en ai beaucoup discuté avec elle et lui ai signalé l’existence dans son hôpital d’un groupe de parole. » Le dossier sera examiné par la commission sociale de la caisse, qui se réunit tous les quinze jours. « En général, les demandes sont acceptées, surtout si la perte de revenus est liée à la maladie, observe Christine Piroja. Mais quand ça sort un peu des clous, la réponse est différée. » Comme pour cette demande de financement pour l’accueil d’un enfant autiste dans une structure expérimentale, examinée récemment. « L’établissement n’étant pas encore conventionné avec la CPAM, la commission a préféré reporter sa décision, le temps d’enquêter un peu. »
En début d’après-midi, la responsable de l’unité, Nathalie Coucaud – à la Cramif depuis quinze ans, après une dizaine d’années passées à la caisse d’allocations familiales des Yvelines – se dirige vers le centre-ville d’Argenteuil. Aujourd’hui, elle coanime avec une psychologue le café des aidants dont elle a impulsé la création, en partenariat avec l’association gérontologique locale, l’hôpital, l’Association des aidants, la ville… « Un jeudi par mois, ce café permet d’offrir un espace d’information et d’échange aux aidants familiaux », résume Nathalie Coucaud en s’attablant au Columbus Café, en face de la gare. Conformément aux principes énoncés par l’Association française des aidants, le café soutient ses participants aussi bien dans l’accompagnement de la personne aidée que dans le maintien d’une vie sociale. Les thèmes abordés sont donc variés : les vacances, l’inversion des rôles, le respect dans l’accompagnement, le maintien d’une bonne communication… Un travail social de groupe qui répond à un vrai besoin : « Nous réfléchissons à l’opportunité d’ouvrir un deuxième café l’an prochain », signale Nathalie Coucaud.
Au même moment, Ilham Laciqui se gare devant le portail d’un pavillon de Bezons, une commune populaire de sa ZIP. « Entre les permanences, les visites à domicile, les informations collectives, le soutien technique par téléphone, les séances d’analyse des pratiques au siège parisien… Il y a beaucoup de déplacements, jamais de routine ; c’est exactement ce que je recherchais ! », confie-t-elle. Jeune diplômée, elle est entrée à la Cramif dès la fin de ses études, séduite par le témoignage d’une professionnelle croisée au cours d’un stage. « Je voulais tout, sauf rester derrière un bureau », résume-t-elle. A sa prise de poste, la nouvelle recrue a suivi, comme tous ses collègues, le parcours d’accueil à la sécurité sociale (PASS) : un module de formation de quarante heures permettant de se familiariser avec les valeurs, le fonctionnement et les enjeux de l’institution.
Cet après-midi, Ilham Laciqui étale son dossier sur la toile cirée de la salle à manger d’une octogénaire. La professionnelle est venue rafraîchir le plan d’aide établi un an plus tôt pour la vieille dame, après une hospitalisation. « Nous assurons également le service social pour la caisse d’assurance vieillesse, explique-t-elle. Nous effectuons donc les évaluations pour les personnes de plus de 60 ans qui ne relèvent pas de l’allocation personnalisée d’autonomie. » Depuis l’évaluation précédente, la retraitée a chuté de nouveau et a passé plusieurs semaines à l’hôpital. « Si je retombe, mes filles me disent que ce sera la maison de retraite, mais à la clinique on m’a affirmé qu’elles ne pouvaient pas me forcer, qu’est-ce que vous en pensez ? », s’inquiète l’assurée. « Non, bien sûr, tant que vous n’êtes pas sous tutelle, la tranquillise Ilham Laciqui. Sauf s’il y a une notion de danger. » Contacts avec la famille, vie sociale, accessibilité et adaptation du logement, hygiène personnelle, gestion administrative et financière, mobilité… En une heure et demie d’une conversation foisonnante, l’assistante sociale balaie toute la situation, et préconise le renouvellement à l’identique du plan d’action personnalisé : huit heures de tâches ménagères par mois, le portage des repas, et une heure trente de sorties accompagnées. « Vous voulez que je rajoute des séances de kinésithérapie ? », s’enquiert-elle avant de boucler son dossier.
De retour au bureau, elle croise Nathalie Coucaud, tout juste rentrée du café des aidants et déjà affairée à préparer sa prochaine information collective : une réunion sur la prévention de la désinsertion professionnelle, destinée aux assurés en arrêt de travail de plus de trois mois. « Dès qu’une personne est en arrêt plus de 90 jours, nous l’invitons à une réunion et lui adressons une offre de services », explique-t-elle. Retards de versement des indemnités journalières, non-recours au régime de prévoyance, perspective de l’inaptitude… Par leur accompagnement, les professionnels « aident la personne à faire le deuil de son état antérieur, à se projeter dans un avenir différent, mais préviennent aussi souvent des pertes de droits », détaille Nathalie Coucaud.
Pour la responsable d’unité, la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP, dans le jargon du service) constitue l’un des plus importants volets d’activité. Depuis quatre ans, Nathalie Coucaud chapeaute la cellule départementale de coordination PDP, qui réunit de nombreux acteurs : le service administratif de la CPAM, le service médical régional, le service social et celui de prévention des risques professionnels de la Cramif, les services de santé au travail, l’Association paritaire d’action sociale du secteur du bâtiment et des travaux publics (APAS-BTP), le service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (Sameth), les points-relais Fongecif, etc. « Nous nous réunissons une fois par mois pour travailler ensemble sur les situations signalées par les AS ou le réseau, explique la responsable. Notre objectif : que la personne soit employable à l’issue de son arrêt de travail, quitte à préparer une reconversion quand on ne peut éviter le licenciement pour inaptitude. » La cellule traite environ 200 situations par an. Mais les échanges entre les assistants sociaux et le réseau sont plus fréquents : « La personne ne peut pas avancer si elle n’est pas accompagnée sur tous les plans, affirme Anne-Catherine Desmet, conseillère à la Maison de l’information sur la formation et l’emploi (MIFE), une association implantée à Cergy et membre de la cellule PDP. Elle doit pouvoir déposer sa problématique sociale à un endroit, et travailler son projet professionnel à un autre. » Une étude d’impact – en cours – devrait permettre de connaître précisément le devenir professionnel du public aidé par la cellule en 2014, à six, douze et dix-huit mois de l’intervention.
Pour mener à bien leurs missions de prévention des ruptures et de lutte contre le non-recours aux droits, les professionnels du service social entretiennent soigneusement leur réseau de partenaires : missions locales, centres d’hébergement et de réinsertion sociale, foyers maternels, foyers de jeunes travailleurs, centres d’examen de santé, centres de rééducation ou de reconversion professionnelle… Autant de contacts qui leur permettent, conformément aux préconisations de la convention d’objectifs et de gestion 2014-2017, de « s’appuyer sur une étroite coordination avec les autres acteurs de terrain en prise directe avec les populations les plus fragiles ». Ce soir-là, Fatou Barry et Chérifa Keraine ont donc installé leur stand dans le hall du foyer de travailleurs migrants Adoma de Sannois, un bâtiment de 300 logements situé au pied d’une cité HLM. Tous les deux mois, à l’heure où les résidents rentrent du travail, un forum santé réunit des représentants de la caisse d’assurance vieillesse, du conseil général, de l’hôpital… Pour Mathilde Leblanc, responsable chez Adoma du développement social pour le Val-d’Oise, la présence des partenaires sur place est capitale : « Nous avons affaire à un public qui se déplace peu, décrit-elle. Et de toute façon, entre la politique de dématérialisation des échanges et la fermeture des points de contact, si les institutions ne viennent pas à la rencontre des usagers, ceux-ci ne font tout simplement pas valoir leurs droits. » Même écho du côté de Ghyslaine Mériel, directrice de la maison des femmes d’Argenteuil, où les assistantes sociales de la Cramif interviennent pour des cycles de trois séances d’information en groupes restreints. « Quand les femmes victimes de violences conjugales fuient leur domicile, elles abandonnent souvent tous leurs papiers, déplore-t-elle. Très souvent, leur compagnon avait la mainmise sur leur vie administrative. Elles ne savent donc plus du tout où elles en sont, n’ont plus aucune couverture sociale et aucun moyen de faire valoir leurs droits. Avec l’aide des AS, juste à partir de leur numéro d’assuré social, elles peuvent entamer un vrai parcours de reconstruction. »
Au total, en 2014, les assistantes du service social régional ont accompagné individuellement 55 225 assurés dans toute l’Ile-de-France, et touché 23 404 personnes au cours d’informations collectives, se rapprochant sensiblement des objectifs fixés par leur CPG. A ce titre, le service social régional apparaît bien comme un maillon essentiel de la stratégie nationale de santé élaborée par les pouvoirs publics, dont l’objectif affirmé est de « réduire les inégalités sociales et géographiques de santé ».
(1) La caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France est la seule à avoir conservé cette dénomination. Dans toutes les autres régions, depuis le 1er juillet 2010 et la mise en place des agences régionales de santé, les CRAM sont devenues des Carsat (caisses régionales d’assurance retraite et de la santé au travail).