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Travailler avec les familles en maison d’enfants à caractère social

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Comment collaborer avec les parents dans le cadre de la contrainte judiciaire du placement de leur enfant ? C’est possible en mettant en place un ensemble de dispositifs et en pensant le lien entre eux dans le cadre d’une démarche globale et soutenue par l’institution, défendent Isabelle Mathieu, ergologue et directrice du Centre scolaire éducatif de « La Plantaz », une maison d’enfants à caractère social(1), et Sydney Gaultier, psychologue clinicien.

« Les maisons d’enfants à caractère social (MECS) construisent leurs relations avec les familles à partir des principes de la loi de 2007 qui visent à les associer à la prise en charge de leurs enfants. Toutefois, ces établissements doivent composer avec le fait qu’ils représentent pour une majorité de parents une contrainte judiciaire, celle du placement. Au titre de la protection de l’enfance, l’institution désigne à la fois un lieu de protection mais aussi un lieu de séparation familiale. Il en découle fréquemment une posture ambivalente des parents. Il leur est difficile de se positionner, les interventions qu’ils s’autorisent sont souvent « justicières » à l’égard du traitement que l’institution accorde à leur enfant. De même, l’adhésion au projet personnalisé porté par les professionnels peut n’être que superficielle. Le lien identificatoire entre parents et enfants est en souffrance. Les parents retournent à l’institution la disqualification qu’ils perçoivent à leur égard : les difficultés de leur enfant sont les leurs. Il est dès lors difficile pour la famille de s’impliquer à hauteur des professionnels dans la prise en charge de leur enfant.

En réponse, il nous a fallu repenser nos dispositifs autour de l’usager en donnant une place aux familles leur permettant de porter leur enfant à la mesure de leurs possibilités. Tout en soutenant, depuis l’institution, à partir de dispositifs, l’élaboration et le maintien de l’investissement parental en fonction des besoins de l’enfant.

L’institution, aux différents “étages” de son organisation professionnelle (éducateurs, psychologues, etc.), identifie les besoins psychiques de l’enfant tout en construisant, à partir des désirs et des aptitudes de ce dernier, son projet personnalisé. La relation complexe à l’adolescence entre besoins (souvent infantiles), désirs (souvent contradictoires) et compétences (souvent hétérogènes) peut désarçonner les parents. C’est à ce niveau de malentendu, et de surcroît en situation de placement, que nous intervenons dans le jeu familial.

Relations ambivalentes

Nous sommes partis de ce constat récurrent que les parents se posent en protecteurs de leur enfant vis-à-vis de l’institution. Pour les parents, bien loin de les protéger, l’institution exposerait les enfants à des phénomènes d’entraînement groupaux (transgression, violence commise ou subie, addictions, etc.), mais aussi à la violence des adultes (morale et/ou physique) et, enfin, à l’exclusion et à la vulnérabilité s’ils résistent à l’entraînement du groupe. De façon plus implicite, le positif de l’institution, ce qui “fonctionne”, reste potentiellement accusateur des dysfonctionnements familiaux. Ainsi, les parents peuvent redouter que l’institution s’occupe mieux de l’enfant qu’eux-mêmes, que celui-ci préfère l’institution à sa famille, qu’elle modifie les places, etc.

En situation interculturelle, la crainte acculturative qu’incarne le modèle de socialisation institutionnelle génère encore davantage de conflits de loyauté. Il faut prendre en compte toutes ces dimensions d’investissement par lesquelles les parents perçoivent l’institution. De même, l’enfant en situation de placement et de séparation familiale s’inscrit fréquemment dans la répétition d’une histoire familiale faite de “déprivation”(2), de ruptures, de placements, etc. Comment traiter la construction intergénérationnelle de tels parcours ?

Afin que l’institution ne soit pas une modalité de rupture entre l’enfant et sa famille, nous avons initié depuis trois ans une action-formative autour des liens familiaux-institutionnels avec un enseignant-chercheur de l’université de Savoie-Mont-Blanc. Un ensemble de dispositifs ont été revisités, initiés et testés : conférences avec les parents, entretiens familiaux, consultations familiales, synthèses éducatives, etc. Le travail avec les familles à partir de dispositifs institutionnels, pour certains novateurs, nous a permis de saisir la dynamique du lien qui peut se créer avec les parents et le travail que cela engage auprès des équipes.

Une première dimension des dispositifs, essentielle à leur efficience, est de rassurer les parents quant à la position institutionnelle entre eux et leurs enfants. L’institution doit montrer qu’elle peut comprendre sans juger, s’occuper des enfants sans se substituer aux parents et accomplir sa mission de protection en incluant la famille. Les dispositifs sont pensés au service du lien. Pour ce faire, ils requièrent une attention continue et une coordination forte, afin de faire coïncider les évolutions de l’enfant avec l’investissement des familles. Les changements, non médiatisés par l’institution et non rapportés, de près ou de loin à l’investissement des parents, risquent de situer l’enfant et son évolution en position d’extériorité face à sa famille.

Donnons l’exemple, très simple, d’une mère avec son adolescente ayant bénéficié d’une consultation familiale au sein de l’institution avec l’intervention d’un psychologue extérieur. La rencontre a été houleuse, mais l’après-coup de la séance a été source de dialogue entre mère et fille. Cette dernière écrira même à l’intervenant que “des fois ; il y a des choses que l’on ne veut pas entendre… mais pourtant, il le faut”. L’engagement pris par cette mère était de tenir une position plus contenante avec sa fille. Quelques semaines plus tard, cette dernière exprimera les évolutions de sa fille, les mettant en lien avec sa propre modification d’attitude. La consultation a médiatisé la relation mère-fille, tout en ne figurant pas comme “cause” du changement, puisque celui-ci s’explique par les changements effectifs entre mère et fille !

Nous arrivons progressivement à travailler avec des familles jugées inaccessibles. Celles-ci se déplacent et participent à ce que nous leur proposons. Toutefois, la venue d’une famille “difficile” se prépare plusieurs semaines ou mois à l’avance. C’est un travail de coordination et une présence continue des équipes auprès de la famille, par des échanges, souvent téléphoniques, qui permettent que les résistances s’amenuisent. Nous avons constaté que lorsque cette continuité n’est pas assurée, les parents ne se rendent plus disponibles et vivent à nouveau l’institution comme menaçante. Elle “change” leur enfant sans eux. Les rendez-vous, le projet personnalisé, la cohérence de celui-ci et des orientations scolaires ou professionnelles en pâtissent.

« Déclivage institutionnel »

Maintenir le processus engagé et ne pas perdre les bénéfices de ce qui émerge des dispositifs nécessitent de travailler à partir de nos acquis. Au niveau de la direction, cela représente un travail constant de portage auprès des personnels, en les accompagnant pour qu’ils s’approprient les dispositifs, les utilisent, afin de faire le lien avec les familles et les enfants. Dans notre organisation, il importe de construire des collectifs forts réunis autour de références communes. En ce sens, les dispositifs participent d’un processus de déclivage institutionnel en direction des professionnels et des familles. Ce mode d’action trouve sa justification dans la formation théorique intégrative de l’équipe de direction en ergologie, clinique du travail, approche systémique et psychanalytique. Ce sont l’assemblage de ces dispositifs et le mouvement institutionnel qu’ils alimentent qui permettent une prise en charge différente.

L’originalité réside dans l’ensemble de la démarche. Les consultations et entretiens familiaux sont essentiels, mais non suffisants. Ils ouvrent à un changement qui doit être saisi pour l’ensemble de la prise en charge. A nous de cumuler les bénéfices et de contrecarrer l’entropie institutionnelle : le sentiment d’avoir fait les choses en vain, pour rien, à perte, qui provient de l’épuisement des dispositifs lorsqu’ils ne sont pas alimentés et soutenus de façon circulaire les uns par les autres.

En ce sens, une vigilance particulière est à apporter à la communication et à la lisibilité de la prise en charge. Parler des enfants différemment aux parents : accepter la temporalité du changement, sortir de la dramatisation d’une scolarité en échec, de relations familiales conflictuelles, de conduites à risque, etc. Parler des enfants différemment dans les instances institutionnelles : réunions d’équipes, de concertation, d’analyse des pratiques, etc. Sortir l’enfant et ses parents de positions apparemment sans issue : les dispositifs deviennent des supports positifs pour offrir aux parents la possibilité de percevoir leur enfant de façon valorisante. Le projet culturel, les actions avec les artistes, le projet santé, l’atelier citoyen, le journal de la MECS rédigé par les jeunes, les activités scolaires, etc., sont autant de supports pour la construction concertée, par les parents, les enfants et les professionnels, d’un projet personnalisé.

Approche transversale

Cette façon de piloter les dispositifs institutionnels, quelquefois inconfortable, permet d’assurer la pérennité de leurs effets. De surcroît, nous pouvons inscrire cette démarche dans le cadre des préconisations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) et des recommandations de bonnes pratiques professionnelles. C’est dans cette logique de renforcement que nous pensons les liens entre les différents dispositifs. Ces derniers alimentent des hypothèses de travail qui guident l’action : les personnels s’approprient les outils institutionnels et, surtout, les orientations de façon participative. Quant aux parents, ils trouvent dans l’institution un tiers étayant, une fois celle-ci décalée de sa position de rivalité avec la famille. Nous pouvons émettre l’hypothèse que les dispositifs institutionnels que nous construisons de manière transversale et mettons en œuvre de façon circulaire bénéficient aux usagers, à leurs familles, ainsi qu’aux professionnels qui les accompagnent. »

Notes

(1) Gérée par l’association Belle-Etoile : 73250 Saint-Pierre – d’Albigny (Savoie).

(2) La psychologie clinique parle de « déprivation » pour exprimer le « fait d’être privé d’une chose à laquelle on avait accès auparavant ».

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