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« Il faut resserrer les objectifs de la politique de la ville »

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La politique de la ville est née officiellement en 1988, mais ses racines remontent au milieu des années 1970. Durant ces quarante ans, comment cette politique, qui, à l’origine, n’était pas conçue pour durer, s’est-elle structurée ? C’est cette histoire politique, au sens noble du terme, que raconte, dans un ouvrage coécrit avec Henri Rey, le sociologue Adil Jazouli.
A partir de quand peut-on parler d’une « politique de la ville » ?

A compter de la création du ministère de la Ville, en 1988. Au milieu des années 1970, il existait déjà les opérations « Habitat et vie sociale », qui avaient pour but d’humaniser les grands ensembles. Par la suite, ont émergé le développement social des quartiers et les premières conventions entre l’Etat, les régions et les collectivités locales en matière de réhabilitation et d’animation des quartiers. Ces initiatives constituent la genèse de la politique de la ville. Après l’alternance de 1986, certains ont voulu la supprimer, estimant qu’il s’agissait d’une politique de gauche, mais des élus de tous bords sont montés au créneau pour la défendre. Et ce n’est qu’en 1988 que le gouvernement Rocard a créé une délégation interministérielle à la ville, installant véritablement la politique de la ville.

Quelles ont été, entre 1981 et 1988, les incarnations institutionnelles de cette politique ?

Il y a eu surtout la commission nationale de développement des quartiers, présidée par Hubert Dubedout, ancien maire de Grenoble et auteur, en 1983, du rapport fondateur « Ensemble, refaire la ville ». Elle a élaboré les premières conventions de développement social des quartiers. Dans son rapport, Hubert Dubedout préconisait d’intervenir de manière exceptionnelle sur des sites en difficulté avant que le droit commun prenne le relais. L’appareillage administratif et financier de la politique de la ville était donc très léger. Certaines administrations se sont emparées très vite de cette problématique. Le ministère de l’Education nationale a ainsi créé les ZEP [zones d’éducation prioritaires] dès 1983 dans les zones urbaines sensibles. Le problème est que les grands ensembles ont souvent été imposés aux collectivités par l’Etat pour résoudre la crise du logement. Les municipalités ont donc eu du mal à prendre le relais, ne concevant pas ces quartiers comme faisant véritablement partie de la ville.

Après 1988, comment s’est structurée la politique de la ville ?

C’est aux assises de la banlieue, à Bron, en décembre 1990, que François Mitterrand a annoncé la création d’un ministère de la Ville, confié à Michel Delebarre, ministre d’Etat. Depuis, il y a toujours eu un ministère de la Ville ou un secrétariat d’Etat à la ville. Eric Raoult a ainsi été plutôt un bon ministre, de 1995 à 1997. Claude Bartolone, de 1998 à 2002, a lui aussi fait du bon travail. Jean-Louis Borloo, de 2002 à 2007, a présidé à la création de l’ANRU [Agence nationale pour la rénovation urbaine], accélérant les programmes de rénovation urbaine. Son coup de génie a été de créer un seul guichet rassemblant tous les moyens et traitant tous les dossiers. Presque 50 milliards d’euros ont été consacrés à la rénovation urbaine en quinze ans. De nombreux quartiers ont fondamentalement changé. Le problème est que, pendant qu’on les rénovait, leurs habitants se sont appauvris.

Avec l’accent mis sur la rénovation urbaine, n’a-t-on pas relégué au second plan le travail social et associatif ?

Les moyens mis dans la rénovation urbaine sont, en effet, sans commune mesure avec ceux qui sont affectés à l’accompagnement social et aux associations. C’est assez logique car ces opérations coûtent extrêmement cher. Néanmoins, il est vrai que les moyens d’intervention humains n’ont pas augmenté dans les mêmes proportions. On peut le reprocher à Jean-Louis Borloo, mais pour obtenir les moyens nécessaires aux opérations de rénovation urbaine, il lui a bien fallu négocier des contreparties. Les budgets associatifs ont donc connu une baisse au début des années 2000. Mais après les émeutes de 2005, 100 millions de financements ont été rendus aux associations et, aujourd’hui, le financement des associations dans les quartiers me semble assez satisfaisant. Malheureusement, le tissu associatif s’est délité avec le temps.

Comment analysez-vous la politique de la ville impulsée depuis 2012 ?

Elle s’articule principalement autour de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, portée par François Lamy, ministre délégué à la Ville jusqu’à l’an dernier. Ce texte a redessiné une géographie prioritaire devenue illisible. Il y a eu aussi la relance des contrats de ville et la création des conseils citoyens. Toutefois, cette loi ne se situe pas en rupture par rapport à ce qui se faisait avant. La politique de la ville s’est toujours inscrite dans une continuité au travers des quatre grandes lois qui l’ont structurée : loi d’orientation pour la ville de 1991 ; pacte de relance pour la ville de 1996 ; loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine de 2003 ; loi « Lamy » de 2014. Tous ces textes ont le même objectif : intervenir sur des sites prioritaires en matière urbaine, sociale et culturelle, en partenariat avec les collectivités locales.

Certains estiment que la politique de la ville a échoué. Partagez-vous ce bilan ?

J’observe pour ma part que des améliorations ont été apportées dans de nombreux quartiers en matière d’éducation, de culture, de transports… On trouve aujourd’hui des médiathèques magnifiques dans une dizaine de quartiers populaires, ainsi que d’autres équipements de qualité comme des installations sportives, des cinémas, des théâtres… Il reste beaucoup à faire, mais on ne peut pas reprocher à la politique de la ville la situation sociale des habitants des quartiers. Elle fait ce qu’on lui demande de faire, et elle le fait plutôt bien, malgré les difficultés et les alternances politiques. Mais elle n’a pas de prise sur la délinquance et le chômage, qui relèvent des ministères de l’Intérieur et du Travail ainsi que du monde de l’entreprise. S’il n’y avait pas eu la politique de la ville depuis trente ans, la situation des quartiers serait beaucoup plus dégradée aujourd’hui. Le drame est que dans les quartiers populaires, ceux qui réussissent s’en vont. On ne voit donc que les échecs.

Vous vous demandez si la politique de la ville ne serait pas devenue « un atelier, mal équipé, de réparation sociale et urbaine »…

Beaucoup de gens sur le terrain ont en effet l’impression de faire de la réparation et du bricolage. On leur demande de pacifier des situations et de régler les problèmes au coup par coup sans que les problèmes ne s’arrêtent jamais… Cette politique dispose d’un certain nombre de moyens, mais ils ne sont malheureusement pas encore à la hauteur de ce qu’il faudrait. Sachant que ce n’est pas qu’un problème d’argent, mais aussi d’ingénierie et de personnes. Actuellement, nous avons du mal à recruter des travailleurs sociaux, des chefs de projet et des agents de développement. Certains postes sont ouverts, mais ne sont pas pourvus. Et quand nous embauchons, ce sont des gens avec des formations universitaires de bon niveau, mais il leur faudra cinq à dix ans pour acquérir l’expérience nécessaire.

Vous affirmez qu’il faut renoncer à atteindre l’objectif de mixité sociale dans les quartiers. Quels sont vos arguments ?

Imaginer que des ménages de la classe moyenne viendraient habiter dans les quartiers populaires est une illusion. La mixité sociale ne se fera qu’à la marge. L’objectif de mixité sociale relève donc pour moi de l’incantation politique. En revanche, je crois à la mixité fonctionnelle. On peut installer dans ces quartiers des équipements publics de qualité permettant de faire en sorte qu’ils ne soient pas que des zones d’habitat social. Lorsque vous construisez une belle médiathèque dans un quartier populaire, les autres habitants de la ville la fréquente aussi. Même chose pour les moyens de transport. Aux Minguettes, près de Lyon, il y a vingt ans il fallait environ 1 h 20 en bus pour rallier le centre. Aujourd’hui, avec le tram, on n’en est plus qu’à 20 minutes. Cela change la donne.

Quelle serait une politique de la ville renouvelée ?

Cette politique a quarante ans d’existence, il est temps de s’interroger sur ce qui doit être poursuivi ou pas. Il faut resserrer ses objectifs, en s’appuyant sur des diagnostics beaucoup plus précis sur chaque site. Et, surtout, il faut regarder en face les gens pour qui on est censé travailler. Aujourd’hui, il y a 40 à 45 % de chômage dans ces quartiers. On ne peut plus travailler avec ces populations très pauvres comme on le faisait il y a trente ans lorsqu’elles étaient moins en difficulté. La situation n’est plus la même, les aspirations et les besoins des gens non plus. Ainsi, même dans ces quartiers, la population vieillit, et il est nécessaire de prendre ce fait en compte en matière de services sociaux, de santé, de transports…

Repères

Le sociologue Adil Jazouli est responsable de la prospective et de la stratégie au ministère de la Ville. Il fut le fondateur et directeur de « Banlieuscopies »(1). Avec Henri Rey, professeur à Sciences Po-Paris, il publie Pour une histoire politique de la politique de la ville (Ed. de l’Aube, 2015).

Notes

(1) Programme d’observation et d’évaluation des politiques publiques dans les banlieues, arrêté à la fin 1995.

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