Il se dit « agréablement surpris » d’avoir été distingué par les lecteurs des ASH. Il faut dire que celui qui « ne fonctionne pas à l’applaudimètre » n’a pas l’habitude de manier la langue de bois dans ses interventions. D’un abord direct, Jean-Yves Barreyre ne cherche pas à séduire. Les lecteurs ont toutefois reconnu en lui l’un des plus fins experts des politiques sociales et médico-sociales, qui laboure depuis une vingtaine d’années les terres de l’extrême vulnérabilité. Ce n’est sans doute pas un hasard, puisque celui qui est né en 1954 au Maroc dans une famille ouvrière « et relativement inculte » a lui-même, dans sa jeunesse, éprouvé la vulnérabilité et la pauvreté. Ce qui l’a aussi probablement amené, une fois en France, à choisir de devenir éducateur de rue avant de s’inscrire en DEA d’anthropologie sociale et culturelle, puis de se lancer dans une thèse de sociologie à la Sorbonne au cours de laquelle il observera une petite « bande de loubards ».
Après avoir enseigné la sociologie à l’Ecole supérieure de travail social, il est sollicité, en 1994, pour diriger le CREAI d’Ile-de-France qu’il transformera en centre d’études et de recherche. Lequel prendra une dimension nationale en rejoignant le Cedias-Musée social, dont Jean-Yves Barreyre assumera la direction en 2001. Pas question toutefois pour cet intellectuel de se couper du terrain. Celui qui s’inspire de l’école de Chicago veut produire des connaissances à partir de recherches collaboratives associant chercheurs, travailleurs sociaux et populations. « Sauf que la recherche-action était considérée à l’époque comme le Canada Dry de la recherche académique, se souvient Jean-Yves Barreyre. Il a fallu conquérir notre place dans les appels à projets de recherche. Un combat difficile. »
L’activité va être intense. L’équipe va participer à la préparation et à l’accompagnement de toutes les réformes législatives qui ont suivi la loi 2002-2(2). Mais si ces réformes, que Jean-Yves Barreyre qualifie de « révolution douce », ont bouleversé les principes de la politique sanitaire et sociale en renvoyant à la compréhension partagée des situations de vulnérabilité, aux notions de « parcours » et de stratégie globale d’intervention, elles se heurtent toujours à la culture de l’établissement et aux cloisonnements. Comment, dès lors, faire passer l’esprit des lois dans les politiques sociales et les pratiques ? Pour ce pragmatique, il faut aller voir du côté de ceux qui ne trouvent pas de place dans les cases du système de prise en charge. D’où les nombreuses recherches collaboratives qu’il entreprend avec son équipe auprès des « oubliés » de la République : jeunes « incasables », personnes avec troubles psychiques, ménages dont un membre est atteint de la maladie Alzheimer, personnes avec autisme…, des publics, dont la façon particulière d’être au monde, est, dit-il, « une leçon de philosophie ». Cette plongée dans les « configurations sociales de vulnérabilité »(3) le conforte dans l’idée qu’il est possible de construire, pour chaque situation, une stratégie globale d’intervention fondée sur le décloisonnement des savoirs, des pratiques et des modes d’organisation. Le croisement des perspectives et l’approche territoriale sont en effet le fil conducteur des préconisations qu’il formule depuis des années, que ce soit aux conseils scientifiques de la CNSA (dont il est vice-président), de l’ANESM ou dans les nombreuses conférences et masters où il intervient. « Le scénario est toujours le même : on commence par un sourire en coin en me traitant de doux rêveur. Et cinq ans après, l’ensemble des acteurs reprennent ces préconisations et en font des programmes prioritaires », ironise-t-il. Signe que la ténacité et la cohérence dans les idées finissent par payer. S’il reconnaît, fataliste, que les politiques sociales résultent bien souvent de rapports de forces qui dépassent l’action sociale, « on arrive à grignoter des choses ».
(1) Centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité d’Ile-de-France et Centre d’études, de documentation, d’information et d’action sociales-Musée social.
(2) Par le biais aussi de l’Ancreai dont il est, depuis 2013, secrétaire général.
(3) Objet de son dernier ouvrage Eloge de l’insuffisance (éd. érès) – Voir ASH n° 2925 du 18-09-15, p. 30.