« Travailleurs sociaux en perte de sens, enserrés dans des logiques segmentées et comptables », « personnes “ballottées” entre des dispositifs et des professionnels qui ne savent plus prendre en compte leur situation globale », « reconnaissance par les employeurs […] d’un malaise du travail social usant pour les personnes concernées et les professionnels »… Autant de constats qui ont conduit le gouvernement à ouvrir, il y a un peu plus de 2 ans, des « états généraux du travail social » (EGTS) qui ont enfin débouché sur un plan d’action en faveur du travail social et du développement social, établi notamment sur la base du rapport « Bourguignon » et des cinq groupes de travail thématiques missionnés dans ce cadre(1). Porté par la ministre des Affaires sociales et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, ce plan d’action, présenté en conseil des ministres le 21 octobre, a été construit avec l’Assemblée des départements de France (ADF) et l’Association des régions de France (ARF). Il s’articule autour de quatre axes : faire participer les personnes et mieux les accompagner ; promouvoir le développement social pour simplifier les politiques publiques et les organisations ; mieux reconnaître le travail social et moderniser l’appareil de formation ; rénover la gouvernance du travail social.
Pour Marisol Touraine et Ségolène Neuville – laquelle répond, dans notre rubrique « Décryptage », aux questions des ASH (voir ce numéro, page 20)–, le plan d’action « organise l’ancrage des politiques et des pratiques autour de la participation, de l’écoute et de l’accompagnement des personnes » et, dans ce cadre, « propose une mise en cohérence des politiques et des pratiques sociales dans une perspective de développement social ». Par ailleurs, il permet une meilleure reconnaissance des fonctionnaires de la filière sociale via une revalorisation indiciaire étalée entre 2016 et 2018 et un reclassement des catégories B en catégorie A à compter de 2018.
Désormais, assure le gouvernement dans le plan d’action, « les conditions et les volontés sont réunies pour donner à notre pays des politiques sociales et un travail social à la hauteur des défis de notre société ». Mais, s’il satisfait le secteur dans ses principes, le plan engendre toutefois quelques inquiétudes quant aux modalités concrètes de mise en œuvre de ses mesures, qui restent floues(2). D’autant que beaucoup reste à faire, plusieurs d’entre elles, et non les moins importantes, étant soumises à la concertation ou à la négociation.
La ministre des Affaires sociales et sa secrétaire d’Etat ont choisi François Soulage pour assurer le suivi et l’évaluation du plan d’action, dont la mise en œuvre sera étalée sur une période de 5 ans. Le président du collectif Alerte sera assisté de l’inspection générale des affaires sociales. En pratique, ont expliqué Marisol Touraine et Ségolène Neuville, l’évaluation du plan devra être réalisée sur la base d’indicateurs de résultats et selon des modalités qui seront définies de façon conjointe et partagée. Indicateurs qui pourront être intégrés au rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse que le gouvernement doit dorénavant remettre au Parlement chaque année(3).
Longtemps revendiquées, la reconnaissance et la valorisation des métiers du travail social sont au cœur du plan d’action. Le gouvernement a ainsi prévu de revaloriser les métiers de la filière sociale de la fonction publique et d’inscrire les diplômes en travail social dans le processus européen « LMD » (licence-master-doctorat), dit « de Bologne ».
Conformément au récent accord sur la « modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations » des fonctionnaires(4), les métiers de la filière sociale de la fonction publique seront valorisés. Tout d’abord, indique le plan d’action, « les agents des catégories B et A de la filière bénéficieront, dès le 1er janvier 2016, de mesures de revalorisation indiciaire consistant pour partie en un rééquilibrage entre traitement indiciaire et primes dans la rémunération globale des agents au bénéfice du traitement indiciaire pris en compte pour la retraite, et pour une autre partie, au 1er janvier 2017 et au 1er janvier 2018, en une revalorisation indiciaire nette ».
En outre, sur le plan statutaire, à compter de 2018, les diplômes du travail social de niveau III – diplômes d’Etat d’assistant de service social, d’éducateur spécialisé, d’éducateur technique spécialisé, d’éducateur de jeunes enfants et de conseiller en économie sociale et familiale – seront élevés au niveau II (licence) et le niveau des missions exercées par les travailleurs sociaux sera mieux reconnu. Le reclassement en catégorie A des fonctionnaires de la filière sociale aujourd’hui classés en catégorie B fera l’objet d’une concertation dans le cadre de groupes de travail conduits par le ministère de la Fonction publique. Ce reclassement sera subordonné à la réingénierie préalable des diplômes permettant une équivalence au niveau licence des diplômes actuels de niveau III ainsi qu’à une redéfinition des missions à partir d’un travail sur les référentiels « métier » et les fiches de poste concernées, précise le plan d’action. « Les travailleurs sociaux pourront ainsi accéder à des emplois fonctionnels de directeur ou de directeur général adjoint des services dans les communes et établissements publics de coopération intercommunale de moins de 150 000 habitants », est-il précisé.
S’agissant du secteur privé, souligne le gouvernement, « si elle était engagée, la négociation sur les classifications dans les conventions collectives concernées permettrait, dans le même esprit, de valoriser ces fonctions d’expertise ».
La revalorisation de la filière sociale de la fonction publique est par ailleurs liée à l’universitarisation des diplômes de travail social de niveau III à I qui, aujourd’hui, ne sont pas reliés au système universitaire LMD, « ce qui gêne la fluidité des parcours, la progression des professionnels et la mobilité européenne des étudiants », admet le gouvernement. Aujourd’hui, seuls quelques établissements de formation en travail social ont conclu des partenariats avec les universités permettant à leurs étudiants d’avoir accès à un système de double cursus, expliquent Marisol Touraine et Ségolène Neuville. Une situation qui crée « des inégalités importantes entre les élèves », reconnaissent-elles, soulignant que « les obstacles sont [ici] souvent statutaires (double statut élève et étudiant) et pratiques (nature des passerelles…) ». Pour pallier ces difficultés, le plan prévoit de développer les coopérations avec les universités pour les diplômes d’Etat mais aussi les formations de l’enseignement supérieur (BTS et DUT surtout) dans le champ professionnel du travail social. Comment ? D’une part, en prenant « par arrêté des dispenses entre diplômes pour que les passerelles existent sur l’ensemble du territoire (dans les limites liées à l’absence de programmes nationaux) » et, d’autre part, en prévoyant dans un accord-cadre Etat-ARF-Conférence des présidents d’universités une coopération écoles-universités fixant les conditions requises pour faciliter ces passerelles. Echéance prévue : « avril 2017 au plus tard » , selon le plan d’action.
« A plus long terme » , pour que les diplômes de niveau III soient des passerelles avec l’université et le niveau licence, il va falloir « élaborer des programmes [d’enseignement], qui seront validés par arrêtés de façon à ce qu’il n’y ait pas d’automaticité, ou des conventions au cas par cas entre les universités et les écoles », a expliqué le secrétariat d’Etat aux ASH. Quoi qu’il en soit, son objectif est de « faire en sorte qu’en 2021 les premiers étudiants en travail social soient diplômés sur cette base ».
Sans remettre en cause l’alternance intégrative, Marisol Touraine et Ségolène Neuville considèrent qu’elle doit « incontestablement être modernisée et enrichie de modalités plus innovantes de professionnalisation ». Ses nouvelles modalités devront être redéfinies dans le cadre des programmes d’enseignement qui seront élaborés pour assurer des passerelles entre les diplômes de niveau III et les diplômes universitaires de niveau II (voir page 68). S’inspirant du rapport du groupe de travail « formation initiale et continue » qu’elles avaient missionné dans le cadre des EGTS, la ministre et la secrétaire d’Etat proposent par exemple de « diversifier les stages en élargissant la notion de “site qualifiant”, notamment par la validation de sites qualifiants interinstitutionnels ou pluri-institutionnels afin de diffuser une culture de la coordination et d’adapter les pratiques professionnelles aux évolutions des politiques sociales ». Elles retiennent aussi une autre piste, qualifiée de « particulièrement intéressante » par le plan : « développer les modalités de professionnalisation complémentaires au stage “classique” sous la forme de projets de groupes pouvant être interprofessionnels ». Des pistes qui devraient être expérimentées dès 2015.
Plus globalement, « la réingénierie des diplômes devra être l’occasion de réinterroger […] le sens, le rythme, le séquençage et les modalités des stages », souligne le gouvernement.
Pour les personnes non diplômées, le gouvernement entend développer les contrats de professionnalisation et d’apprentissage, en particulier dans la branche de l’aide à domicile (BAD), et en faciliter l’accès. Les freins au développement de ces contrats en alternance pour les métiers de l’aide à domicile « sont presque historiques », explique le plan. Par exemple, dans la mesure où les employeurs de la BAD ne sont pas assujettis à la taxe d’apprentissage, ils ne peuvent pas prétendre au financement de la formation d’apprentis. Plus généralement, souligne le document, en apprentissage, le lieu du stage n’est pas diversifié alors que les stages « de droit commun » dans le champ du travail social s’effectuent aujourd’hui obligatoirement dans des lieux diversifiés. Pour le gouvernement, il faut donc revoir les maquettes de formation de l’ensemble des diplômes du travail social afin de les adapter à la formation en alternance sous statut salarié. Une réflexion qui s’effectuera dans le cadre des travaux sur la réingénierie des diplômes. En outre, les branches professionnelles seront invitées à établir des objectifs chiffrés de développement des contrats en alternance. Enfin, dans le cadre des schémas régionaux de développement de la formation professionnelle adoptés par les conseils régionaux, l’offre d’apprentissage devra être adaptée, « en prévoyant par exemple des centres de formation d’apprentis hors les murs, là où il n’en existe pas encore ».
Pour le gouvernement, l’appareil de formation va devoir évoluer au regard des enjeux du travail social et de la décentralisation des formations, désormais à la charge des régions. Pour cela, le plan d’action prévoit notamment la possibilité pour les écoles en travail social de devenir certificatrices et la création d’un corpus commun de connaissances, complété de modules de spécialisation.
Le secrétariat d’Etat chargé de la lutte contre l’exclusion souhaite accompagner les « écoles qui sont au niveau à produire elles-mêmes du quasi-diplôme d’Etat » . Pour ce faire, l’Etat et l’ARF devront établir un cahier des charges, sanctionné par un arrêté, portant sur la qualité de l’offre de formation et fixant les exigences de qualité attendues de la part des établissements de formation. Un processus de labellisation des écoles pourra alors être lancé « à compter du printemps 2018 sur la base d’un cahier des charges de labellisation disponible à la fin de l’année 2016 », indique le plan. Dans ce cadre, le rôle de l’Etat serait limité à la validation des programmes et au contrôle de la qualité des formations et des épreuves. En tout cas, assure le secrétariat d’Etat, « pour ne pas pénaliser les étudiants qui se trouvent sur des territoires où les écoles ne veulent pas évoluer », l’Etat continuera à délivrer les diplômes « tant que tout le [nouveau] dispositif ne sera pas en place ». Au final, précise le plan d’action, les établissements de formation qui, en 2020, ne répondront pas aux critères du cahier des charges ne seront plus agréés pour la délivrance des diplômes d’Etat.
« Afin de favoriser les mobilités ainsi que l’acquisition de connaissances partagées », le gouvernement estime que les professionnels du travail social doivent partager un corpus commun de connaissances, sans toutefois en préciser la quotité. Rappelons que le rapport « Bourguignon » préconisait, pour les diplômes de niveau III, d’« identifier un socle commun identitaire dimensionné autour de 30 % de la durée des enseignements ».Quant au contenu, au format et aux modalités de ce socle commun, « tout est affaire de curseur », soulignait la députée (PS) du Pas-de-Calais, précisant que « les orientations données par la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale au travers des trois registres de compétences [transversales, éthique et positionnement professionnel, techniques en intervention sociale] constituent une intéressante base de réflexion ». Au final, Brigitte Bourguignon suggérait « que l’acquisition des compétences du socle commun se fasse dans le cadre d’un enseignement commun (tronc commun) à toutes les filières de même niveau ».
Marisol Touraine et Ségolène Neuville saisiront donc la CPC, au début de l’année prochaine, afin qu’elle définisse pour chaque niveau de formation un « point d’équilibre » entre ce corpus commun et des modules de spécialisation (aide sociale à l’enfance, logement, handicap…). Ses conclusions sont attendues pour septembre 2017. Le plan d’action souligne en outre que, « afin de faciliter les mobilités, ces modules de spécialisation pourront être ouverts aux professionnels en cours d’emploi ». Et que « des passerelles seront recherchées avec les formations paramédicales et de l’animation ».
Jusqu’à présent, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) élaborait, tous les 3 ans, des orientations en matière de formations sociales après concertation avec l’ADF et l’ARF. A l’avenir, les ministères du Travail et des Affaires sociales convieront tous les 3 ans les partenaires sociaux publics et privés ainsi que l’ARF à une conférence de la formation continue et de la formation en alternance pour en définir les priorités. La première devrait avoir lieu en décembre 2016, indique le plan d’action. Ces orientations seront ensuite soumises au Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle ainsi qu’aux conseils régionaux du même nom, qui, à cette occasion, pourraient créer en leur sein une commission du travail social.
Pour le gouvernement, « la participation des personnes doit être recherchée à toutes les étapes des politiques publiques : depuis leur élaboration, jusqu’à leur mise en œuvre et leur évaluation ». Elle devra ainsi être développée dans les instances dédiées à l’élaboration ou à la mise en œuvre des politiques publiques (Pôle emploi, caisse nationale d’assurance vieillesse…). Face à la réticence de certaines de ces instances, le gouvernement demandera au Conseil supérieur du travail social (CSTS) – qui sera rebaptisé « Conseil interministériel du travail social » (voir page 73) – de proposer au Premier ministre, d’ici à juin 2016, une liste d’instances, d’institutions, de collectivités et d’organismes susceptibles d’accueillir ces personnes. Le pensionnaire de Matignon aura le dernier mot. Les textes réglementaires nécessaires à la mise en œuvre de cette mesure seront ensuite adoptés progressivement, souligne le plan d’action.
L’obligation de faire participer les personnes sera également introduite dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS), par exemple pour l’élaboration des projets de services. Pour ce faire, et en application de l’article 47 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016(5) – actuellement examiné au Parlement –, qui généralise les CPOM pour tous les ESMS accueillant des personnes handicapées, un décret sera publié et fixera les objectifs d’activité et de qualité, dont la participation des usagers. S’agissant des ESMS accueillant des personnes âgées, un arrêté sera pris en application de l’article 40 bis du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, toujours en cours de discussion devant les parlementaires(6). Une instruction précisera en outre la circulaire du 29 septembre 2015 relative aux nouvelles relations entre l’Etat et les associations(7) pour que les CPOM avec le secteur non lucratif intègrent l’obligation de participation des personnes. Afin de faciliter la mise en œuvre de cette mesure, la direction générale de la cohésion sociale mettra à la disposition des agences régionales de santé et des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale un fascicule présentant diverses formules de soutien à la participation, intitulé « boîte à outils de la participation ».
Enfin, la participation des personnes devra être inscrite dans le cahier des charges des écoles et des instituts du travail social d’ici à septembre 2017 de façon à permettre aux personnes accompagnées ou l’ayant été d’intervenir en tant que formateurs occasionnels lors des formations initiales et continues des travailleurs sociaux. Les objectifs, souligne le plan d’action : « créer un dialogue d’égal à égal avec les étudiants, hors de tout enjeu professionnel direct », et favoriser la mise en confiance ou la restauration de la confiance individuelle des personnes.
Le gouvernement souhaite « remettre la personne au cœur de l’organisation du travail social ».Pour y parvenir, il faut, selon lui, y introduire des changements notamment en instituant un premier accueil inconditionnel de proximité et un référent de parcours qui coordonnera les intervenants sociaux en cas de prise en charge globale de la personne.
Le plan d’action prévoit que les schémas d’accessibilité des services au public, portés par le Commissariat général à l’égalité des territoires et qui devraient être achevés à la fin de l’année, devront comporter un volet sur l’organisation du premier accueil inconditionnel de proximité, qui s’appuiera sur des lieux existants (mairie, point conseil budget, centre communal d’action sociale…) et fera intervenir tous les acteurs présents, y compris les bénévoles. Ce premier accueil – qui, selon les vœux du Premier ministre, devra être opérationnel en 2018 – permettra de « disposer le plus tôt possible d’une orientation adaptée : soit une information immédiate, soit une ouverture immédiate de droits ou encore une orientation de deuxième niveau ». D’après le rapport du groupe de travail « coordination interinstitutionnelle entre acteurs », missionné par le gouvernement dans le cadre des EGTS et dont la mesure s’inspire, cet accueil ne doit, en tous les cas, pas être spécialisé, « afin d’assurer à chacun un premier contact lui permettant d’exposer, s’il le souhaite, la globalité de sa situation ». Toutefois, prévenait-il, « il ne s’agit pas de rendre chaque point d’entrée systématiquement “multicompétent” ». « La responsabilité de celui qui a conduit le premier accueil doit en revanche s’étendre au fait de s’assurer que ce qui ne relève pas de sa compétence est bien relayé auprès de l’institution compétente. La politique d’accueil sur le territoire doit donc également s’attacher à bien identifier les relais de second niveau. » En tant que chef de file de l’action sociale, il reviendra au conseil départemental (ou à la métropole, le cas échéant) d’organiser le premier accueil, en lien avec les sous-préfectures, les communes et les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale.
Avec l’accord de l’intéressé, lorsqu’une prise en charge globale sera nécessaire, il appartiendra à un référent de parcours de coordonner les divers dispositifs et acteurs impliqués, indique le plan d’action, qui s’est inspiré du rapport du groupe de travail « coordination interinstitutionnelle entre acteurs ». Selon ce dernier, « la personne en charge du premier accueil n’est pas automatiquement désignée comme référent. Néanmoins, le premier professionnel rencontré doit effectuer le suivi de l’usager tant qu’il n’a pas la garantie que le relais est bien pris. »
Pour le gouvernement, une expérimentation sera, dans un premier temps, lancée pour préciser les conditions d’une telle intervention et les ajustements réglementaires utiles à son développement. Un cahier des charges, rédigé par les départements, les associations et les autres parties prenantes, devra notamment déterminer les modalités de désignation du référent, la durée de son mandat et son périmètre d’intervention. En la matière, le groupe de travail « coordination interinstitutionnelle entre acteurs » estimait, lui, que la mission du référent de parcours est de définir les besoins de la famille ou de la personne, de réaliser un diagnostic et un projet global avec elle. Le référent de parcours ne doit, selon lui, pas travailler seul mais recourir, si nécessaire, à l’expertise d’autres professionnels et, plus largement, travailler en réseau. En outre, il lui paraît utile que les intervenants sociaux auprès de la personne ou de sa famille fassent un retour au référent de parcours sur le suivi.
D’après le plan d’action, la démarche Agille (Améliorer la gouvernance et développer l’initiative locale pour mieux lutter contre l’exclusion)(8) « offre le cadre expérimental adéquat pour la rédaction [du] cahier des charges ». Dans ce cadre, « des évolutions législatives ou réglementaires pourront être proposées, par exemple pour organiser des décloisonnements de politiques publiques, voire des délégations de compétence ». Les premières propositions seront faites à la fin 2016.
Le gouvernement considère par ailleurs qu’il convient de promouvoir le développement social, qui a « vocation à structurer les modes de coordination des politiques [publiques] ainsi que les modalités de participation et d’intervention sociale ». Et qu’il faut donc l’inscrire au cœur des politiques territoriales. Afin que l’accompagnement individuel et collectif soit efficace, il convient aussi, selon lui, de favoriser le travail en réseau des intervenants sociaux et, concomitamment, les formations interinstitutionnelles.
Le plan prévoit que le pacte territorial pour l’insertion deviendra un pacte départemental d’insertion et de développement social, qui constituera « un bon instrument pour accroître progressivement le champ du développement social » (personnes âgées, enfance, hébergement…). « A terme, souligne le document, les départements pourraient regrouper l’ensemble des schémas au sein d’un seul “pacte des solidarités et du développement social”. »
(A noter) Afin d’encourager les démarches innovantes dans le champ de l’intervention sociale, un fonds privé-public d’innovation pour le développement social sera prochainement créé, à la suite d’un appel à projet qui devrait être lancé en novembre 2015.
Pour Marisol Touraine et Ségolène Neuville, « le décloisonnement et l’articulation entre professionnels, c’est-à-dire le travail en réseau, doivent devenir une pratique courante ». Et ce, d’autant plus avec la mise en place du référent de parcours (voir page 71). Elles proposent donc de « passer d’un fonctionnement informel à un fonctionnement en réseau intégré », actuellement expérimenté dans le cadre de la démarche Agille. Sur cette base, la DGCS pourrait publier un guide méthodologique nécessaire à l’intégration du travail en réseau dans les fiches de poste. Parallèlement, précise le plan d’action, une charte d’engagement sera élaborée de façon concertée et cosignée par les employeurs publics et privés en vue de reconnaître le temps de travail en réseau et l’analyse des pratiques comme parties intégrantes des missions des travailleurs sociaux (9).
En cohérence avec la mise en place du référent de parcours et dans l’esprit du travail en réseau, le gouvernement demandera au CSTS de travailler sur la notion de « partage d’information » entre les intervenants sociaux (professionnels et bénévoles), sur la base notamment de ses précédents travaux(10). Des conférences de consensus locales seront donc organisées pour définir les conditions du partage d’information, la restitution des travaux devant ensuite se faire lors d’une conférence de consensus nationale.
(A noter) Pour simplifier le travail des professionnels du secteur, Marisol Touraine et Ségolène Neuville entendent relancer immédiatement le chantier du « dossier social unique » – une première fois abandonné en raison de sa complexité –, « particulièrement utile au référent de parcours ». L’objectif, rappelons-le : permettre de recueillir une seule fois les principales informations requises pour l’ouverture des droits ou le suivi des personnes.
Pour favoriser la connaissance réciproque des acteurs, Marisol Touraine et Ségolène Neuville saisiront le Centre national de la fonction publique territoriale afin qu’il propose des formations interdisciplinaires qui pourraient être ouvertes à tous dès la rentrée 2017. Les domaines où le travail social pluriprofessionnel en réseau semble indispensable (violences faites aux femmes, autisme, protection de l’enfance…) « seront définis pour 3 ans, révisables annuellement, dans le cadre d’un accord-cadre entre l’Etat et les commissions paritaires nationales pour l’emploi, dont les décisions seront mises en œuvre et financées par les organismes paritaires collecteurs agréés pour le secteur privé et les autres financeurs de la formation professionnelle du secteur public (Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier, par exemple) ».
« La gouvernance nationale et territoriale des politiques sociales doit être rénovée pour permettre de renforcer le portage politique du travail social et de créer les conditions d’une appropriation par les divers protagonistes du travail social : les professionnels, les employeurs, les personnes et les diverses administrations », affirme le plan. « Au fur et à mesure que se diffuseront les stratégies de développement social, il sera nécessaire d’organiser une gouvernance locale du travail social afin que ses évolutions restent en phase avec les attentes politiques », souligne-t-il.
Reprenant l’une des suggestions du rapport « Bourguignon », Marisol Touraine et Ségolène Neuville souhaitent moderniser le Conseil supérieur en travail social – dont le mandat expire en décembre prochain –, « afin qu’il reflète mieux la réalité du travail social d’aujourd’hui et permette une participation effective des professionnels du travail social et des personnes qu’ils accompagnent ». Rebaptisée « Conseil interministériel du travail social » (CITS), l’instance sera présidée par une personnalité qualifiée ou un élu – et non plus par le ministre chargé des affaires sociales – et verra sa composition « resserrée » (11). Seule certitude : la commission « éthique et déontologie » sera maintenue, a précisé aux ASH le secrétariat d’Etat chargé de la lutte contre l’exclusion, voyant là une « nécessité » afin de rassurer les professionnels quant aux conditions d’exercice de leur mission. Pour lui, « il appartiendra [au conseil] de consulter et de faire des propositions précises dans le cadre des orientations du plan d’action ».
A l’avenir, le conseil remettra tous les 3 ans un rapport d’évaluation interministérielle du travail social, assorti de recommandations portant notamment sur l’état des branches professionnelles et l’évolution des conventions collectives, l’évolution des métiers et des appareils de formation initiale et continue, l’état de la recherche en travail social ou encore les conditions d’emploi des travailleurs sociaux. En outre, le futur CITS sera saisi par le ministère chargé des affaires sociales d’un programme annuel de travail. A l’occasion de sa première saisine, il lui demandera, entre autres, de proposer une « rédaction adéquate » de la définition du travail social sur la base de sa définition internationale pour l’intégrer au code de l’action sociale et des familles.
Par ailleurs, le conseil devra remettre au ministre chargé des affaires sociales un rapport sur la question de la transmission des valeurs républicaines, notamment la laïcité (contenus de formation, outils de prévention…). Ses travaux, complétés par ceux de la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale, pourront ensuite enrichir les programmes de formation et être diffusés auprès des bénévoles par les réseaux associatifs.
Il faudra également, selon le plan d’action, assurer l’animation territoriale de la réflexion sur le travail social. Pour ce faire, à partir de janvier 2017, « sera créée par instruction, a minima, une commission d’éthique par département, animée par les services déconcentrés de l’Etat, le conseil départemental et les représentants départementaux des salariés du secteur privé », indique-t-il. En outre, sur la base du volontariat, les régions ou les départements seront invités à « mettre en place, en concertation avec les acteurs intéressés, des instances légères et ouvertes préfigurant des observatoires du travail social et permettant une réflexion sur le travail social (veille et prospective sur son évolution, encouragement à la recherche et capitalisation des innovations) ».
Valorisation des métiers. Les catégories A et B de la filière sociale de la fonction publique bénéficieront de revalorisations indiciaires étalées de 2016 à 2018. En outre, les diplômes du travail social de niveau III seront élevés au niveau II à compter de 2018. Une mesure qui sera subordonnée à la réingénierie des diplômes.
Parallèlement, des passerelles seront créées entre les diplômes de travail social de niveau III à I et l’université.
Acquisition des savoirs. Le gouvernement entend créer un corpus commun de connaissances, complété de modules de spécialisation (logement, handicap…). L’enjeu sera de trouver un « point d’équilibre » entre les deux pour chaque niveau de formation. Un travail qui va être confié à la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale.
Organisation du travail. Afin de replacer la personne au cœur de l’organisation du travail social, le plan d’action prévoit d’instituer, d’ici à 2018, un premier accueil inconditionnel de proximité qui doit permettre d’obtenir une information immédiate ou une ouverture immédiate de droits. Si la situation le requiert, une prise en charge globale sera organisée par un référent de parcours, qui coordonnera aussi les différents intervenants sociaux.
Gouvernance. Sur le plan national, le Conseil supérieur du travail social, qui sera rebaptisé « Conseil interministériel du travail social », verra sa composition resserrée. Il devra notamment remettre, tous les 3 ans, un rapport d’évaluation interministérielle du travail social et travailler à une définition du travail social qui sera intégrée au code de l’action sociale et des familles. L’animation territoriale du plan d’action sera, quant à elle, assurée par des commissions départementales d’éthique.
Actuellement, « il existe des accords entre certains établissements de formation en travail social et des universités permettant de développer des activités de recherche en intervention sociale, conduisant à une montée en qualité des enseignements. Cependant, déplorent la ministre des Affaires sociales et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, ces accords ne portent pas sur la formation doctorale et sont donc sans passerelle du diplôme d’Etat vers le doctorat. » Pourtant, la recherche sur le champ du travail social et de l’intervention sociale permet de mieux comprendre les problématiques sociales ou encore l’évolution des politiques publiques, et d’enrichir en conséquence les formations. Marisol Touraine et Ségolène Neuville ont donc décidé, « à partir d’un ou de plusieurs établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel et en coordination, par convention, avec un ou plusieurs établissements de formation en travail social déjà investis dans la recherche, […] d’implanter une unité de recherche dédiée à l’intervention sociale (chercheurs français ou le cas échéant étrangers, et thésards) dans la perspective de susciter la création d’un réseau de recherche et d’associer les diverses disciplines concernées par l’intervention sociale ». Concrètement, le gouvernement souhaite créer, d’ici à septembre 2017, « une première école supérieure en intervention sociale ». « A moyen terme, souligne-t-il, l’objectif pourrait être la constitution d’une discipline universitaire en travail social. »
(1) Voir respectivement ASH n° 2923 du 4-09-15, p. 5 et n° 2899 du 27-02-15, p. 5.
(3) Sur le premier rapport du gouvernement, rendu public le 27 octobre dernier, voir ASH n° 2931 du 30-10-15, p. 7.
(6) Après deux lectures à l’Assemblée nationale et au Sénat, le texte doit prochainement passer en commission mixte paritaire où 7 députés et 7 sénateurs tâcheront de s’entendre sur un texte commun.
(8) Voir notamment ASH n° 2884 du 21-11-14, p. 13.
(9) A cette fin, le plan d’action présente en annexe une trame de charte des employeurs publics et privés non lucratifs.
(11) Actuellement, le CSTS comprend un président, un vice-président et 49 membres bénévoles.