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« Le plan traite de questions restées en suspens depuis très longtemps »

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Cela faisait plus de 30 ans qu’un gouvernement français ne s’était pas penché sur le travail social, insiste Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Elle revient sur les chantiers ouverts par le plan d’action en faveur du travail social et du développement social, présenté le 21 octobre en conseil des ministres(1).
Quelle ambition politique avez-vous voulu donner à ce plan ?

Cette ambition concerne, tout d’abord, les travailleurs sociaux et le travail social, mais pas seulement. Ce plan nous concerne tous, puisque les travailleurs sociaux représentent plus de un million de personnes qui exercent au quotidien au service des gens. Il souhaite répondre à une alerte venue de la population, qui nous dit « il y a trop de structures, un empilement des dispositifs, on est obligé de raconter dix fois notre parcours, et en plus on ne comprend pas tout car on ne parle pas le même langage » que les institutions. D’où le premier objectif de simplifier et d’améliorer l’accès aux droits. Ce qui rejoint la lutte contre le non-recours, qui est l’un de mes objectifs prioritaires. Le plan répond à un autre type d’alerte, cette fois venue depuis des années des professionnels, qui disent ne pas s’y retrouver non plus, parce qu’ils se sentent enfermés dans un quotidien où ils tentent de sortir les personnes de situations difficiles, sans vision globale, sans arriver à donner du sens à leur profession parce qu’ils ont l’impression d’être dans le curatif et non dans le préventif. L’objectif est donc de revoir les modes d’organisation, mais aussi la façon d’appréhender le travail social, en particulier à travers la participation des personnes, ce qui représente une partie de la révolution. Les structures se sont créées, les dispositifs se sont empilés, mais jamais personne ne s’est posé la question de savoir si cela correspond à ce que la population attend de l’action politique et du service public.

Avec ce plan, qui remonte à l’annonce des « états généraux du travail social » par François Hollande, au congrès de l’Uniopss, en janvier 2013, dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, c’est la première fois depuis plus de 30 ans qu’un gouvernement français se penche sur la question du travail social, et il était largement temps.

Le développement social, la place des « usagers », le travail inter-institutionnel figuraient dans la circulaire de Nicole Questiaux, en 1982. Le plan d’action s’inscrit-il dans sa continuité ?

Il est vrai que beaucoup de documents sur la question, de 1982 à aujourd’hui, comportent ces éléments. Le diagnostic avait déjà été posé, mais personne n’avait fait le travail pour aller au-delà. Les « états généraux » ont pris deux ans, mais dans le fond le changement aura pris 33 ans ! Entre-temps, le contexte a changé, avec le pilotage Etat-régions-départements des questions sociales, et les mobilisations au début des assises interrégionales du travail social ont montré que le processus devait mûrir, en particulier sur la réforme de la formation. Il résulte de la démarche non pas un plan de constat, mais un plan d’action, avec des mesures concrètes, chacune étant en elle-même un chantier. Je n’aurais pas été capable de porter un plan qui n’aurait pas d’implication réelle sur la vie des personnes.

Le plan suscite des réactions positives, mais aussi plus hostiles. Que répondez-vous à ceux qui estiment que les professionnels de terrain n’ont pas été assez entendus ?

La démarche a été annoncée par le président de la République en janvier 2013, nous sommes en octobre 2015, cela fait plus de deux ans de travail ! Des assises territoriales se sont déroulées pendant presque un an, des milliers de personnes ont participé à ces assises, et des milliers d’autres ont fourni des contributions sur Internet. Cette démarche a donc été participative. Ensuite, il y a eu cinq rapports rédigés par des experts qui ont fait des dizaines et des dizaines d’auditions, puis un rapport parlementaire qui s’est aussi appuyé sur des dizaines d’auditions. Cela représente un processus long, et nécessaire, de concertation, dont certains disent même qu’il a duré trop longtemps ! Le ministère n’a pas travaillé seul, puisque nous avons élaboré le plan conjointement avec l’Assemblée des départements de France (ADF) et l’Association des régions de France (ARF). Nous avons aussi consulté tous les syndicats.

Mais je ne conteste pas qu’il y ait des désaccords, une peur du changement, car le plan d’action traite de questions restées en suspens depuis très longtemps, faute de consensus, et qu’il vient trancher à l’issue de cette concertation. Tout le monde, par exemple, est d’accord pour dire qu’il faut moderniser la formation et l’harmoniser sur le plan national, permettre des passerelles avec l’université et aboutir à une reconnaissance au grade de licence ou de master en fonction du niveau d’études. Mais pour y arriver, il faut en passer par certains préalables, comme le fait d’écrire des programmes nationaux. Ce qui entraîne des résistances, parce que cela remet en cause des spécificités existant dans les régions.

La participation des personnes, en considérant que celles qui ont à un moment donné été accompagnées par des travailleurs sociaux sont d’une certaine façon des experts et qu’elles peuvent être impliquées dans les formations, non pas comme des grands témoins mais dans une position égale à celle des professionnels, n’est pas un sujet aussi consensuel qu’il y paraît, car les postures professionnelles sont en jeu. De la même façon, prévoir des corpus communs de connaissances pour les diplômes de niveau III entraîne des inquiétudes sur la peur de perdre ce qui compose les identités professionnelles, alors qu’en réalité seulement une partie des connaissances constituera un socle commun, pour favoriser les décloisonnements et les évolutions professionnelles. Autre sujet d’inquiétude : le partage d’informations, question extrêmement sensible. Nous pensons qu’organiser des conférences de consensus locales puis une conférence de consensus nationale est la bonne solution pour permettre aux travailleurs sociaux de se sentir à l’aise avec les questions de partage d’informations et de secret professionnel, pour arriver à des règles claires, simples, sur ce qui peut être partagé ou non.

La question n’a-t-elle pas déjà été tranchée, notamment par les travaux du Conseil supérieur du travail social (CSTS) et les dispositions législatives découlant des deux lois de 2007(2) ?

La question du partage d’informations concerne tous les métiers et l’on voit bien qu’il y a encore des difficultés, des hésitations en dépit des évolutions législatives. Celles-ci pourraient éventuellement être complétées après qu’un consensus sera ressorti des débats entre professionnels, experts, et de l’examen des publications nationales et internationales sur le sujet. La conférence de consensus est une démarche scientifique qui permettra d’appuyer les professionnels dans l’exercice quotidien de leurs missions.

Le plan d’action est issu du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, ce qui peut donner l’impression d’une vision parcellaire du travail social…

C’est une critique totalement infondée et injuste, parce qu’une grande partie de ce plan porte sur la promotion du développement social. C’est tout l’inverse d’une vision parcellaire ! Nous souhaitons que l’action sociale et l’action publique ne soient plus découpées en tranches. Le développement social, c’est précisément défendre l’idée d’agir sur l’environnement des personnes de manière transversale pour améliorer leur quotidien, dans tous les domaines, ce qui va d’ailleurs au-delà de l’action sociale. Cette notion a du mal à se concrétiser en France. C’est pourquoi il est nécessaire de former tout le monde, les élus, les directeurs de services des départements, de s’adapter au travail en réseau. De la même façon, le « référent de parcours » concerne tous les publics. Il pourra être proposé à une personne âgée à domicile, peut-être aussi d’ailleurs en situation de pauvreté, qui a actuellement beaucoup d’interlocuteurs différents, sans personne pour coordonner l’ensemble. Au lieu que celle-ci prenne tous les contacts, un référent fera les démarches à sa place. J’étais récemment à l’assemblée générale du Coderpa [comité départemental des retraités et personnes âgées] dans mon département, les Pyrénées-Orientales. La première chose que ses membres m’ont dit, c’est qu’il manque de lieux où les personnes qui ont un accident de santé, par exemple, et qui n’ont pas encore de droits ouverts à une prestation, peuvent se rendre simplement pour demander un conseil. C’est précisément l’objectif du premier accueil inconditionnel de proximité, qui orientera vers un référent de parcours dans le cas de situations complexes, mais qui sera là aussi pour informer des gens qui ne sont pas forcément habitués à aller voir un travailleur social. Selon qu’une situation relève de la dépendance ou de la santé, les organismes de prise en charge ne sont pas les mêmes, ce qui est incompréhensible pour le public. L’accueil de proximité sera là pour apporter ce type d’informations.

Qui pourra faire ce premier accueil ?

Après la parution, prévue en décembre, du décret d’application de la loi NOTRe [portant nouvelle organisation territoriale de la République] permettant sa mise en œuvre dans le cadre des schémas d’accessibilité des services au public, les conseils départementaux pourront, avec les services de l’Etat et l’ensemble des structures accueillantes d’un territoire – centres communaux d’action sociale, centres d’animation, associations… –, indiquer où se trouvent les premiers accueils inconditionnels de proximité dans le département, et décider des intervenants qui seront en capacité d’assurer cette mission. Certains accueils existent déjà, mais leur organisation sera systématisée, formalisée, rendue publique par le schéma départemental. Le simulateur des droits sera un outil complémentaire d’une grande aide.

La création du « référent de parcours » ne reposera-t-elle pas sur la bonne volonté des départements, tous n’étant d’ailleurs pas engagés dans la démarche Agille(3) ?

Cette fonction devra d’abord être expérimentée, parce qu’elle n’existe pas encore – même si elle pourra être inspirée de certaines pratiques, notamment dévoloppées dans le cadre des MAIA [maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer] – et que l’on devra débusquer quelques écueils avant de s’engager sur la généralisation du dispositif. Cette première étape se fera sur la base du volontariat, et je suis convaincue qu’au moins une vingtaine de territoires vont se lancer dans l’expérimentation, que l’on ne peut pas comparer à Agille, qui portait non pas sur un dispositif, mais sur une manière globale de travailler ensemble. Au bout de quelques mois, nous aurons des éléments tangibles pour préparer des évolutions réglementaires si elles se révèlent nécessaires. Le calendrier est pour moi simple : nous avons tout 2016 pour expérimenter, avant de généraliser le dispositif à la fin de l’année.

Concernant la réingénierie des diplômes, la lettre de mission de la commission professionnelle consultative (CPC) invitait expressément à améliorer « la lisibilité de l’offre de certification », avec une « appellation de diplôme par niveau ». Pourquoi avoir tant attendu pour abandonner cette piste ?

Je pense, d’une part, que ce travail préliminaire était nécessaire et qu’il fallait un travail d’experts pour éclaircir les sujets. D’autre part, même s’il existe effectivement beaucoup de diplômes en travail social, ma position a toujours été très simple et ne rentrait pas du tout dans les détails de la réarchitecture. On constate surtout qu’en l’absence de programme national, contrairement à ce qui existe dans tous les autres secteurs, il y a des différences en fonction des écoles en travail social. Au final, on ne sait pas ce que les étudiants ont réellement appris.

Il y a des référentiels de formation…

Ils ne décrivent pas de façon précise, comme à l’université, quels cours sont dispensés. Ma priorité a donc toujours été qu’il y ait des programmes nationaux en complément des référentiels métiers, afin qu’un étudiant puisse s’attendre aux mêmes enseignements partout sur le territoire et afin de pouvoir répondre aux attentes légitimes des diplômés de pouvoir évoluer professionnellement. Ce travail, qui va commencer en concertation avec l’université, permettra aussi de simplifier le processus de certification, qui actuellement est fait en aval, pour donner plus de poids aux notes en cours de formation.

La réingénierie des formations et le reclassement en catégorie A font craindre une orientation des métiers vers des fonctions managériales…

Le gouvernement a affiché sa volonté, d’une part, de maintenir les métiers et, d’autre part, de recentrer le travail social sur l’accompagnement des personnes. Réduire les revalorisations à des fonctions de coordination ou de chef de projet n’a donc pas de sens, et la perspective que seuls les métiers de coordination pourront accéder à la catégorie A n’est pas une réalité. A cet égard, le travail à venir que nous allons entreprendre avec le ministère de la Fonction publique pour définir le profil des futurs bénéficiaires du reclassement sera déterminant.

Cette évolution peut-elle être compatible avec un recentrage des métiers sur l’accompagnement des personnes ?

Comment penser qu’elle ne serait pas compatible, et que les métiers de l’accompagnement devraient être cantonnés dans la catégorie B ? Ce qui sera reconnu et valorisé, ce sont bien des métiers experts de l’accompagnement. Prenons l’exemple du référent de parcours. Voilà un travailleur social qui va accompagner les personnes tout en étant en coordination avec d’autres professionnels.

Tous les diplômes de niveau III seront-ils reconnus au niveau II ?

Cette question fera partie de la nouvelle lettre de mission de la commission professionnelle consultative, qui devra étudier s’il y a une légitimité à conserver un niveau III.

La CPC avait envisagé de créer un nouveau niveau III, avec un diplôme bac + 2…

C’est un vrai sujet, qu’il faut laisser à la concertation.

N’y aura-t-il pas un décalage entre les revalorisations en catégorie A des travailleurs sociaux de la fonction publique, dès 2018, et la reconnaissance des diplômes aux grades universitaires, dont les nouveaux professionnels ne verront le bénéfice qu’à partir de 2021 ?

Il y a en effet ceux qui sont déjà en poste et ceux qui sortiront des promotions avec les nouveaux diplômes. En 2018, les travailleurs sociaux de la fonction publique accéderont à la catégorie A en fonction des missions qu’ils exerceront, ce que vont s’attacher à définir les négociations à venir. Pour le secteur privé associatif, soit la moitié des quelque 125 000 travailleurs sociaux de niveau III, nous avons demandé aux employeurs de travailler à cette reconnaissance dans les conventions collectives. Evidemment, la décision ne me revient pas, mais il semble logique que, pour aligner les statuts, ce travail devrait être engagé pour 2018. Des mesures transitoires devraient permettre aux personnes relevant de l’ancienne génération de formation, diplômées avant 2021, d’être bien traitées par leurs employeurs. Habituellement, dans ce type de situations, les organisations syndicales prénégocient des mesures transitoires très vite, de façon à rassurer les cohortes intermédiaires.

Compte tenu des compétences des régions en matière d’agrément des établissements de formation, l’Etat restera-t-il garant des formations ?

Par définition oui. Les régions financent les formations, donc le cahier des charges sur la qualité des établissements de formation au travail social sera rédigé avec elles. En revanche, les établissements délivreront des diplômes d’Etat, en aucun cas des diplômes de région ! L’Etat aura la compétence de la définition des programmes et du contrôle de la qualité des formations et des épreuves.

Dans le contexte actuel des revendications de l’ADF sur le financement du RSA, l’implication des départements est-elle assurée ?

Ce plan a été rédigé à la virgule près avec des présidents et directeurs de services de conseils départementaux délégués par l’ADF, ainsi qu’avec des représentants des régions. Les discussions actuelles sur le financement du RSA et son éventuelle recentralisation ne remettent absolument pas en cause le travail fait avec les départements qui, chefs de file de l’action sociale, disent ne pas vouloir être réduits à un rôle de guichet. Qui mieux que les conseils départementaux peut porter le développement social ? Je suis convaincue qu’ils vont s’emparer du plan d’action.

La revalorisation des statuts aura pour eux des incidences financières qu’ils ne sont peut-être pas prêts à assumer…

Je sais que des discussions sur le sujet ont eu lieu à l’ADF. Sur 1,2 million de travailleurs sociaux, la revalorisation va concerner 65 000 personnes au maximum dans la fonction publique, sachant que tous les travailleurs sociaux ne passeront pas en catégorie A, puisque cela dépendra de leurs missions. L’impact est donc réel, mais des simulations ont été faites, montrant que ce n’est pas un obstacle insurmontable.

Comment la composition du CSTS – futur Conseil interministériel du travail social – va-t-elle être redéfinie ?

Avant la fin de l’année, le CSTS aura une nouvelle présidence. Il lui reviendra de consulter et de faire des propositions précises sur la composition de cette instance conformément aux orientations du plan d’action : une instance interministérielle capable de conseiller le gouvernement sur l’ensemble des dimensions du travail social, de proposer des outils vulgarisés pour les professionnels, qui rassure les professionnels quant aux conditions d’exercice de leur mission – d’où la nécessité de maintenir une « commission déontologie » –, et enfin élargie à la société civile pour ne jamais perdre le cap de l’accès à l’autonomie et à l’émancipation des personnes. Les membres du CSTS ont par ailleurs proposé des groupes de travail ad hoc et élargis au moment des saisines.

La question du manque de moyens face aux besoins traverse le travail social. Le plan n’aurait-il pas dû prévoir des financements supplémentaires pour certains postes ou la révision des conventions collectives ?

Ce plan n’est clairement pas un projet de loi de finances ! J’entends qu’il peut y avoir des questions de moyens, mais, outre le fait que beaucoup ont déjà été engagés, on ne résoudra rien du tout si on ne fait qu’en saupoudrer. Un vrai changement structurel était en revanche nécessaire pour adapter l’organisation des interventions aux évolutions de la société. Par ailleurs, il ne serait pas possible de flécher en loi de finances ce qui rassemblera à la fois les financements del’Etat, des collectivités territoriales, des employeurs privés, des régions, des universités…

Comment les orientations du plan vont-elles être diffusées sur le terrain ?

Il nous appartient désormais de décliner ce plan d’action au niveau territorial, comme nous l’avons fait pour le plan de lutte contre la pauvreté, en essayant d’aller plus vite et d’être plus efficace.

Notes

(1) Voir notre dossier, ce numéro, p. 67.

(2) Loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance (voir ASH n° 2502 du 6-04-07, p. 21 et n° 2505 du 27-04-07, p. 17) et loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (voir ASH n° 2506 du 4-05-07, p. 15 et n° 2524 du 28-09-07, p. 5).

(3) Améliorer la gouvernance et développer l’initiative locale pour mieux lutter contre l’exclusion – Voir notamment ASH n° 2884 du 21-11-14, p. 13.

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