Ce matin, à l’institut régional du travail social (IRTS) de Basse-Normandie, à Caen, le cours sur le thème « pathologie psychique et déficience intellectuelle » réunit des étudiants techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), moniteurs-éducateurs (ME) et en brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS). Depuis 2012, l’IRTS – qui compte 800 étudiants, 35 formateurs permanents et 250 formateurs occasionnels – a progressivement mis en place des parcours communs aux niveaux de formation III, IV et V. Les assistants de service social (ASS), les éducateurs spécialisés (ES) et les éducateurs techniques spécialisés (ETS) partagent désormais 30 % de leurs cours.
Depuis longtemps, l’institut organise annuellement deux temps de formation interfilières, l’un pour les métiers du social, l’autre pour ceux de la santé. En 2011, l’équipe profite de la mise en place des accords européens de Bologne, qui imposent l’organisation des formations post baccalauréat sous forme de modules et de semestres, pour réfléchir à la mutualisation de certains contenus.
Au départ, les formateurs n’étaient pas convaincus. « Ils craignaient que les métiers et les spécificités ne disparaissent, explique Jean-Michel Godet, directeur général de l’IRTS. A l’époque, les formateurs avaient une identité professionnelle marquée par leur métier de base. » Depuis, l’institut a réorganisé les enseignements par niveaux de diplôme, et non plus par champs d’activité. « Nous sommes repartis des référentiels de compétences de chaque métier pour identifier les compétences identiques, même si elles étaient nommées différemment, puis nous avons reconstruit un référentiel de compétences communes », détaille Fabienne Frechon, responsable des relations extérieures de l’institut.
Les cours communs ne se concentrent pas seulement sur la première année d’études. Selon les niveaux, ils concernent des matières comme la sociologie, la psychologie, les courants pédagogiques, la déontologie, la méthodologie d’écrits professionnels, le droit des usagers ou encore l’analyse des pratiques. « Les formations ont des nombres d’heures différents selon les diplômes, décrit Fabienne Frechon. Sans la logique des crédits européens, les parcours communs auraient donc été compliqués à instaurer. Cette logique établit qu’une formation est un ensemble de cours, de stages et de travail personnel qui doit égaler 5 040 heures, pour le niveau III. On a utilisé le temps de travail de l’étudiant comme variable d’ajustement pour harmoniser le tout. »
Les parcours communs sont l’occasion de « sortir des débats d’arrière-garde opposant les éducateurs spécialisés aux assistantes sociales, se félicite Jean-Michel Godet. Dans la quête de différence ou la défense de prés carrés, les professionnels peuvent parfois oublier qu’ils sont tous tournés vers l’usager. » « La mutualisation aide des professionnels à se rencontrer et à se reconnaître pour collaborer de façon plus précise », complète Philippe Loiseau, formateur auprès des aides médico-psychologiques (AMP) et détaché dans le centre de formation d’aides-soignants de Picauville, où un parcours commun a été mis en place avec les AMP. « En connaissant le métier du voisin, on pourra mieux accepter nos limites et orienter l’usager », observe, pour sa part, Camille Binet, étudiante ETS. « L’intérêt de cette initiative, c’est qu’elle atténue la sensation de certains métiers d’être en dessous ou au-dessus des autres » , souligne Claire Billy, étudiante ME. Un sentiment largement partagé. « Ceux qui avaient une image péjorative des autres professionnels du social reconnaissent leurs compétences, note Antoine Hamon, responsable de formation pour le niveau IV, et j’ai plutôt l’impression que ça renforce les particularités de chacun. » Se côtoyer et s’écouter devrait aider les étudiants à s’insérer dans des équipes pluriprofessionnelles. « L’idée est de moins compartimenter les prises en charge et de faire fonctionner des équipes vers un objectif commun : le bien-être du résident, du patient ou de l’usager », explique Bénédicte Lemore, directrice du département « formations professionnelles initiales ».
En repensant les formations, les enseignants ont revu la façon dont les compétences sont enseignées et évaluées. « Avant, chaque apprentissage était ciblé sur le public que l’étudiant allait rencontrer : l’animation pour celui en BPJEPS, le domicile pour la TISF et le travail d’équipe en établissement pour le ME. Maintenant, on conçoit les compétences plus largement », décrit Antoine Hamon. Le système d’évaluation a lui aussi été modifié. « On s’est redemandé ce que l’on évaluait, sur quels critères, et à partir de quand une compétence était acquise », précise Nathalie Figard, formatrice en niveau III. En outre, des écrits communs ont été institués pour les épreuves de sélection à l’IRTS.
Cette mutualisation a évidemment eu un impact en termes de logistique. « Cela nécessite de grands locaux, considère Jean-Michel Godet. Nous avons un amphithéâtre de 270 places, mais il nous en manque un second, plus petit. » De même, il faut organiser le calendrier et la gestion des salles en croisant de nombreux paramètres, dont les périodes de stages et les rythmes d’évaluation propres à chaque promotion. Avec des limites : la formation des ME, par exemple, se déroule sur un an, contrairement à celle des TISF. Une promotion de ME sur deux ne connaît donc pas le parcours commun. Et, pour les formateurs extérieurs, l’adaptation à la nouvelle organisation requiert une petite gymnastique. « Tout cela en conservant une cohérence pédagogique », insiste Antoine Hamon.
Au final, cette complexité provient cependant moins de la mise en place des parcours communs que de la coexistence de la logique européenne et du diplôme d’Etat, considère Fabienne Frechon : « D’une part, des volumes horaires différents et des certifications en cours d’année des diplômes d’Etat. D’autre part, la construction en semestres et modules pensée pour l’université, mais pas pour une formation en alternance. » Avec le sentiment de faire, de défaire et de s’ajuster au fil des réformes. De leur côté, les étudiants apprécient peu les cours en grands comités, où ils sont beaucoup plus nombreux. La plupart préfèrent la pédagogie partant de la pratique à celle qui est dispensée en amphithéâtre. Or ce sont justement les économies réalisées grâce à certains cours mutualisés qui permettent de dégager plus de temps pour du travail en petits groupes. Autre frein : les étudiants ne comprennent pas la priorité donnée au regroupement par niveaux de diplôme dans les cours en tronc commun. « Sur le terrain, nous travaillerons beaucoup plus avec des ES qu’avec des TISF avec qui nous suivons le parcours commun, commente Jad Sebot, étudiant ME. Mais si le but est de créer du lien, pourquoi ne pas mutualiser entre niveaux ? »
En dépit de ces difficultés, la direction de l’IRTS et certains formateurs estiment possible d’atteindre 50 % de parcours commun. Mais jusqu’où doit aller la polyvalence pour rester constructive ? « D’autant que, côté administratif et logistique, ce sera peut-être difficile de faire plus, pense Philippe Loiseau. Le premier objectif de connaissance mutuelle des étudiants a été atteint. Maintenant, il faut travailler à une évaluation commune et parvenir à ce que l’équipe de formateurs soit perçue comme une entité globale. » La réflexion sur le calendrier et sur le contenu des mutualisations n’est pas close non plus. Pour une partie de l’équipe, la mise en commun ne doit pas se calquer sur les domaines de compétences, sinon, mécaniquement, les cours communs n’auront lieu qu’en première année. En tout cas, pour Claude Noël, administrateur de l’Unaforis, le socle commun ne doit pas porter sur des compétences périphériques, mais bien sur le cœur de métier : le travail relationnel et l’éthique, par exemple. De même, les parcours de formation devraient aller du général au particulier. Des compétences spécifiques à certains métiers « ne pourront pas seulement être abordées sous forme d’options », ajoute Claude Noël. « Il va falloir tracer des parcours de formation qui amènent les professionnels vers des compétences approfondies. »
A Caen, les stages et la formation continue doivent permettre aux étudiants de se spécialiser. « On forme des généralistes du travail social, dont l’apprentissage ne s’arrête pas à la sortie de l’IRTS », confirme Jean-Michel Godet. D’où l’importance accordée à l’alternance. « Le terrain façonne beaucoup l’identité professionnelle, plaide Antoine Hamon. Le choix des stages devient peut-être encore plus important dans le cadre des parcours communs. » Un sujet d’autant plus d’actualité qu’une instruction interministérielle du 31 mars dernier permet la mise en œuvre d’alternatives aux stages (voir ce numéro, page 48). L’IRTS a, pour sa part, déjà initié une dynamique de rapprochement avec 650 sites qualifiants et dédié un poste à la recherche de stages.