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« Résultats d’une enquête qui n’a pas eu lieu »

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Robert Lafore : Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques. Collabore à cette rubrique depuis janvier 2011.

Les Actualités sociales hebdomadaires sont un fidèle miroir, au travers de leurs 60 années d’existence, des heurs et malheurs de ce qui s’appelait au temps de leur création « l’aide et l’action sociales », et qui s’est mué en « action sociale » à la faveur de la recomposition du code en 2000.

On pourrait, d’ailleurs, se mettre à rêver d’une plongée dans cette publication depuis ses origines, de façon à percevoir les grandes évolutions de l’action sociale et des activités, politiques et interventions diverses que l’on range sous cette dénomination. Qu’aurait pu nous révéler une telle recherche ? Faute d’y avoir pensé à temps, il reste à en imaginer les principaux résultats, en assumant le caractère relativement fantaisiste d’un tel exercice.

Tout d’abord, ce qui n’est guère réjouissant pour des esprits enclins à penser que tout problème peut ou doit recevoir une solution définitive, cette histoire apparaîtrait comme un scénario en forme d’éternel recommencement, dans la veine du film à succès Un jour sans fin, où le héros revit sans cesse la même journée. Depuis les temps de l’assistance jusqu’à l’actuelle action sociale, les difficultés et problèmes sociaux revêtent une permanence et une résistibilité qui les rendent irréductibles. Qu’on les nomme indigence ou impécuniosité, inadaptation, précarité, pauvreté, vulnérabilité ou encore exclusion, les processus de marginalisation constituent une constante de toute société, et naturellement la nôtre leur donne une visibilité forte puisque, loin d’être enfouis dans les régulations de bas niveaux, notamment familiales et communautaires, ils se sont constitués en politiques publiques de grande ampleur. Et les dernières décennies n’ont fait que les accroître : soit du fait des « crises » à répétition ; soit – effet pervers des interventions – qu’en voulant régler les problèmes on les rende plus visibles ; soit, enfin, qu’améliorant les choses d’un côté on ne les dégrade de l’autre.

Notre enquête devrait ensuite enregistrer la complexification exponentielle des constructions institutionnelles : législations et réglementations constitutives du champ assistanciel. Distancé, certes, par le code du travail ou par celui de la sécurité sociale, l’actuel code de l’action sociale et des familles constitue un monument si on le compare au modeste code de la famille et de l’aide sociale refondu en 1956. Il a fallu enregistrer depuis des mutations progressives, souvent de grande ampleur, comme celles pour l’enfance des années 1958-1960, celles des années 1970 qui voient se formaliser la « politique du troisième âge » ou la structuration du champ du handicap en 1975. Et que dire de l’encadrement de plus en plus prégnant des opérateurs, dénommés « institutions sociales et médico-sociales » en 1975, dont les conditions de création, de fonctionnement et de financement font l’objet de réglementations toujours plus étendues et complexes. On devrait aussi noter l’émergence, dans les années 1990, du continent de « l’insertion » qui, partant du socle constitué par le RMI, va développer les politiques de « lutte contre les exclusions », notion carrefour qui étend ses ramifications vers l’hébergement et le logement, l’emploi, les soins, la formation, l’accès aux droits… Politique multisectorielle, construite aux confins de divers champs de l’action publique, l’action sociale s’est ramifiée en sous-secteurs, eux-mêmes découpés en sous-ensembles cloisonnés, cette logique produisant en retour des « dispositifs » transversaux d’autant plus encadrés qu’ils sont par nature fluides et instables.

Mais ce sont aussi les paradigmes de l’aide et de l’action sociales qui se sont transformés. Dans les années 1950-1960, en prolongeant les logiques du « placement » dans des structures de prise en charge déjà présentes dans la vieille assistance publique, le secteur se conçoit alors comme une offre d’établissements spécialisés qui, professionnalisés et technicisés, prennent en charge des « inadaptés » rejetés par les institutions de droit commun. Par touches progressives, c’est une tout autre scène qui s’ouvre avec l’« insertion » et, dorénavant, l’« inclusion ». Plutôt que de prendre en charge l’inadaptation, selon une logique réparatrice et indemnitaire, il convient désormais de ramener les personnes, autant que faire se peut, et en faisant fond sur leurs droits et leurs aspirations, aux institutions de droit commun en matière de logement, d’emploi, d’éducation et de soins. Vaste recomposition qui entend abolir les « placements » et les structures spécialisées pour aménager des « parcours » et autres « accompagnements ». Avec ce que cela suppose de connexions et de décloisonnements, dans un champ constitué jusque-là d’ensembles organisationnels verticaux et juxtaposés.

Une telle logique repose en grande partie sur les capacités innovatrices des acteurs impliqués. Mais, comme notre tradition centralisatrice reste dominante, cela se fait paradoxalement au travers d’une inflation des directives et instructions en provenance des instances centrales et dans le cadre d’une décentralisation politico-administrative largement inaboutie. Les ASH n’ont donc pas de souci à se faire : l’information juridique et organisationnelle a toutes les chances de continuer de croître et d’embellir au rythme de la production croissante de législations et de réglementations. Car le pouvoir est pris dans une contradiction : sa relative impuissance l’incite à surenchérir sur la seule capacité qui lui reste, à savoir produire des règles, certes faibles quant à leur substance, mais hélas bien présentes quant à leurs effets de complexification de l’action collective.

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