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Regards pluriels

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En Bourgogne, des assistantes sociales en formation ont réalisé un stage visant à produire un diagnostic territorial dans le cadre d’une recherche-action collaborative. En ligne de mire : mieux articuler travail social et aménagement urbain, développer des compétences d’intervention collective et stimuler l’intérêt des étudiants pour la recherche en travail social.

Comment l’expertise et les savoir-faire des travailleurs sociaux peuvent-ils contribuer à relier l’intervention urbaine et l’intervention sociale, trop souvent cloisonnées ? C’est à ce questionnement qu’ont été invitées à répondre quatre assistantes de service social en formation à l’Institut régional supérieur du travail éducatif et social (Irtess) de Bourgogne durant leur stage de deuxième année.

Le cadre de cette expérience originale, qui s’est déroulée entre novembre 2013 et mai 2014 ? Une recherche-action collaborative intitulée « Territoire et intervention sociale »(1), portée par l’unité de recherche « Développement professionnel et formation » d’Agrosup-Dijon en coopération avec le laboratoire de recherche en géographie ThéMA de Franche-Comté, le pôle ressource régional recherche formation action sanitaire et sociale (Prefas) et l’Irtess de Bourgogne(2). Autant d’acteurs convaincus de l’intérêt de cette méthode scientifique singulière, qui associe les acteurs de terrain à la réflexion des chercheurs afin d’accroître les connaissances théoriques tout en faisant évoluer les pratiques.

Un stage qui sort des sentiers battus

Objectif commun : travailler à l’élaboration d’un diagnostic territorial dans le cadre du projet de rénovation urbaine du quartier Renan, à Chenôve, une commune de 14 000 habitants située au sud de Dijon. Ce territoire concentre de nombreux problèmes (précarité, pauvreté, incivilités, délinquance, etc.) et fait l’objet de questionnements récurrents tant en termes d’aménagement et de requalification urbaine que d’accompagnement social et de mobilisation des habitants.

Encadrées au quotidien par une assistante sociale du centre communal d’action sociale (le site qualifiant du stage) et par la responsable de la gestion urbaine et sociale de proximité (GUSP) de la ville, les assistantes sociales en formation, immergées durant près de sept mois dans le quartier, ont mené une enquête de terrain afin de comprendre la perception qu’avaient les habitants, les professionnels et les bénévoles de la rénovation urbaine en cours : quels regards portaient-ils sur ce territoire ? Comment percevaient-ils les transformations urbaines ? Que seraient-ils prêts à faire pour améliorer davantage leur quotidien ? « Nous avons tout d’abord rencontré une quarantaine d’acteurs locaux des services municipaux et des secteurs de l’action sociale, médico-sociale, culturelle. Ils nous ont permis d’organiser des permanences dans divers lieux (bibliothèque, maison des aînés…) pour réaliser la deuxième phase de notre enquête auprès des habitants. Mais c’est par le biais du porte-à-porte que nous avons rencontré la plupart des 136 habitants interrogés », explique Camille Pautrat, l’une des étudiantes assistantes sociales qui a participé au projet.

Le matériel récolté, très dense, a mis en évidence la tendance au repli des professionnels dans leurs structures et le poids des représentations sociales dans la stigmatisation du quartier. « Même si l’enquête n’a révélé aucun scoop, elle a été extrêmement précieuse pour comprendre la façon dont les habitants vivent à Chenôve et le regard, souvent très pessimiste, porté par les partenaires – conseil départemental, structures médico-sociales… – sur le quartier », pointe Clélia Lurier, chargée à l’époque de la GUSP de Chenôve.

Pour les quatre stagiaires, l’impact de ce projet multidimensionnel va bien au-delà des résultats de l’enquête, puisqu’il a enrichi leur formation à plus d’un titre. Tout d’abord, en sortant des sentiers battus des pratiques d’action collective expérimentées habituellement dans le cursus d’assistant de service social. « Contrairement au stage ISIC [intervention sociale d’intérêt collectif] classique, nous avons abordé l’action collective à travers deux prismes originaux – le développement social local et la recherche – tout en nous ouvrant à une population qui n’est pas forcément usagère des services sociaux », apprécie Camille Pautrat. « Intégrer des futures professionnelles à cette expérience, c’était aussi mettre à l’épreuve des faits un travail conduit avec le géographe Alexandre Moine sur la méthodologie et les outils à mobiliser en travail social pour mieux appréhender le territoire dans une approche de développement local et d’action collective », précise Nathalie Sorita, formatrice et chercheuse à l’Irtess de Bourgogne(3).

Autre intérêt : la démarche a doté les quatre participantes d’une méthodologie solide. « Grâce à l’appui des chercheurs investis, la recherche-action collaborative nous a apporté une méthode de travail – de l’élaboration de l’échantillonnage au guide d’entretien – à la fois sociologique et systémique, nouvelle pour nous », souligne Camille Pautrat. « L’exigence méthodologique qui soutenait la recherche a ouvert aux stagiaires la porte de partenaires et d’habitants qui serait sans doute restée fermée sans cette rigueur de travail », note pour sa part Clélia Lurier.

Un autre objectif de l’Irtess était de permettre aux futures professionnelles de prendre conscience de l’importance de la recherche en travail social. « Nous avons fait en sorte que les stagiaires s’impliquent dans les différentes étapes et instances de la recherche – comité de pilotage, comité technique de suivi –, explique Nathalie Sorita. Par-delà la réalisation de l’enquête, leur contribution à la réflexion méthodologique, à l’analyse des données et à la restitution des conclusions leur a offert la possibilité d’explorer réellement le volet “recherche”. »

Des certitudes bousculées

L’importance de faire participer les habitants a été une autre découverte pour les stagiaires. « On nous avait informées que les habitants participaient très peu aux réunions publiques d’information concernant les projets d’aménagement urbain. Le fait de nous rendre chez eux, de prendre le temps de les écouter, nous a fait comprendre qu’ils étaient en réalité tout à fait ouverts à la discussion, et même contents d’évoquer la façon dont ils vivaient les changements en cours, précise Camille Pautrat. Cela nous a fait réaliser que la connaissance de leurs besoins est essentielle pour leur proposer des actions qui fonctionnent et auxquelles ils sont prêts à participer. Dans ma future vie professionnelle, j’aurai désormais le réflexe d’aller vers eux. » Pour Nathalie Sorita, il est indéniable que, par le biais de la recherche-action collaborative, « les stagiaires ont pu embrasser tout un pan non encore identifié de l’expertise d’usage des habitants ».

La confrontation à d’autres sphères de travail ainsi que le processus de déconstruction-reconstruction des postures professionnelles induit par la recherche-action collaborative ont aussi permis aux stagiaires d’élaborer une vision plus claire de la spécificité de leur métier. Ce qu’évoque Camille Pautrat : « Nous nous sommes peu à peu aperçues que nous étions d’abord des travailleurs sociaux avant d’être des enquêteurs : quand les habitants nous faisaient part de leurs difficultés, nous faisions tout de suite référence à nos savoir-faire et à notre connaissance du public, ce qui apportait au final un supplément de compréhension et d’analyse. »

A l’issue de cette aventure, la profession d’assistant de service social apparaît à Clélia Lurier sous un autre jour : « J’avais de nombreux préjugés sur les assistantes sociales, que je me figurais traiter des dossiers derrière un bureau. Cette expérience m’a fait découvrir de futures professionnelles très investies, en capacité d’aller sur le terrain, de travailler avec des partenaires multiples et de saisir des enjeux politiques globaux, ce qui a transformé ma vision du métier et m’a fait comprendre l’avantage qu’il y aurait à développer ce type de démarche. »

Mais c’est sans doute la dimension pluridisciplinaire de la recherche qui a le plus bousculé les certitudes des acteurs investis. « Avoir le point de vue de travailleurs sociaux en exercice mais aussi d’urbanistes et de géographes nous a fait toucher du doigt combien les regards posés sur un territoire pouvaient être différents », estime Camille Pautrat. Les échanges entre les stagiaires et un urbaniste ont ainsi révélé les divergences de vues sur la prise en compte des besoins des habitants, même si chacun s’accorde sur l’importance de « mettre de l’humain dans l’urbain ». « En démontrant que les chefs de projet urbain ont tout avantage à prendre en considération les apports des travailleurs sociaux, et inversement, l’expérience a permis la construction d’une acculturation entre les approches urbaine et sociale tout à fait opportune, si l’on veut aller vers une intervention publique plus transversale », conclut Nathalie Sorita.

Notes

(1) Financée par la région Bourgogne au sein du programme de recherche « Territoire et intervention sociale » dans le cadre du plan d’action régional pour l’innovation (PARI).

(2) Partenaires déjà associés dans l’organisation d’un colloque international sur la recherche-action collaborative en mai 2013 à Dijon – Voir ASH n° 2812 du 31-05-13, p. 22.

(3) Auteure, avec Alexandre Lemoine, de l’ouvrage Travail social et territoire : concept, méthode et outils(Ed. Presses de l’EHESP) – Voir ASH n° 2927 du 2-10-15, p. 37.

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