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L’époque des pionniers

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Ancien vice-président du Conseil supérieur du travail social et initiateur, en août 2002, de l’appel « 7.8.9 – Vers des états généraux du social », Jacques Ladsous a décroché son diplôme d’éducateur spécialisé en 1949 à l’Institut de psychopédagogie médico-sociale de Montpellier.

« Cette formation m’a enrichi, mais elle ne m’a pas changé », résume Jacques Ladsous lorsqu’il évoque sa formation d’éducateur spécialisé. « Elle m’a permis d’aller plus loin dans la réflexion et de me nourrir de nombreuses connaissances nouvelles pour assurer mes missions », explique celui qui fut successivement professionnel de terrain, cadre et directeur jusque dans les années 1990. Suivie juste après la guerre, cette formation se révélera un lieu d’apprentissage, mais aussi de dialogue et de découvertes fabuleuses.

Quand le jeune homme de 20 ans postule en 1947 pour entrer à l’Institut de psychopédagogie médico-sociale de Montpellier, il est déjà en fonction au Centre d’observation du Languedoc-Roussillon, un internat créé pour répondre à la toute nouvelle ordonnance de 1945, qui exige alors un temps d’observation préalable à toute mesure d’orientation. Mais son expérience avec les enfants remonte aux années de guerre. Il s’était occupé de jeunes juifs dans le maquis de la Montagne noire, dans le Tarn, pendant les années d’Occupation. « Là-haut, les hommes m’avaient trouvé trop jeune pour porter un fusil. Alors ils m’ont confié ces enfants qui avaient perdu leurs parents, avec pour mission de leur donner envie de recommencer à vivre. »

L’intégration au sein de l’institut, qui passe par un simple entretien, manque de lui échapper en raison de ses activités politiques. « Président de l’Union patriotique des organisations de jeunesse, j’étais trop engagé politiquement au goût du directeur de l’institut. Mais ils m’ont finalement gardé. » Licencié en lettres classiques, le jeune homme découvre l’étendue des connaissances qu’il pourra mobiliser. Les premiers éducateurs sont alors à l’affût des nouvelles idées et connaissances qui pourront les aider à mener à bien une mission éducative en train de se structurer. « C’était à nous qu’il revenait de mettre en pratique tout ce savoir. Nous étions dans la situation de tout inventer, il fallait reconstruire le pays et on nous faisait une confiance extraordinaire. »

L’impact de la pédagogie et de la psychologie

Psychologie, pédagogie, droit, physiologie, philosophie… « Bon, la physiologie, je m’en moquais un peu, connaître les hormones et les glandes ne m’intéressait pas. » La pédagogie et la psychologie, en revanche, apparaissent d’emblée essentielles à Jacques Ladsous. « Nous recevions un enseignement très lié aux découvertes nouvelles, notamment en psychologie. La nécessité de sortir les enfants “débiles”, selon l’expression alors en usage, de leur solitude pour les ramener dans la vie était aussi une découverte. On ne peut pas travailler avec les gens sans les connaître. Découvrir Freud et les différents stades du développement, Henri Wallon[1] et l’influence du milieu sur l’éducation, cela m’a apporté des éléments qui me permettaient de trouver dans la vie les connaissances dont j’avais besoin avec les jeunes. » Son professeur de psychologie, membre du Collège de France, lui fait comprendre que chacun est utile à la production de connaissances. « Il me montrait que j’étais important pour lui, car je lui apportais les données de terrain qu’il ne connaissait pas assez. Il m’a fait connaître l’osmose entre la création du concept et l’expérience du terrain. » Sa professeure de droit passionne, elle aussi, le jeune étudiant lorsqu’elle lui enseigne les méthodes d’enquête. « Elle m’a amené à saisir l’importance de différencier les faits et les sentiments qu’ils inspirent. »

A l’époque, les stages ne constituent pas un élément important du cursus. « Nous n’avions que de petits stages de quinze jours, la plupart dans des classes d’enseignement spécialisé. Ce que j’ai appris là, c’est que, malgré la lourdeur de l’administration par l’Education nationale, les professeurs arrivaient à faire vivre ces classes. Ils inventaient en permanence la pédagogie. » C’est aussi pendant sa formation initiale que Jacques Ladsous découvre les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), mouvement d’éducation populaire qui vient juste d’être fondé. « Ce que j’ai pu observer et apprendre là, je l’ai ensuite utilisé lorsque je suis moi-même devenu formateur. » Quant à ses connaissances en traumatologie psychique, elles lui serviront plus tard, lorsqu’il devra accueillir, dans un établissement qu’il dirigera, des enfants victimes d’un tremblement de terre en Algérie. « Connaître un peu les traumatismes qui peuvent transformer la vie des gens en enfer, c’est très important pour l’éducation. »

Un engagement citoyen dans la profession

De ses 11 camarades de promotion, Jacques Ladsous conserve le souvenir d’un groupe de jeunes aux origines diverses et aux opinions politiques variées : l’une était issue de la communauté de Taizé, fondée en 1940 en Bourgogne ; un autre travaillait à la réforme d’un bagne d’enfants ; une troisième affichait des opinions communistes… « Nous discutions énormément et nous vivions bien nos nuances, certainement mieux que les étudiants d’aujourd’hui. D’abord, parce que le Conseil national de la Résistance nous avait confié une mission qui faisait partie intégrante de notre travail de citoyen. Nous n’étions pas là juste pour avoir un job, mais pour nous engager dans une profession, au sens étymologique du terme. »

En 1949, major de sa promotion – malgré une très mauvaise note en physiologie, mais compensée par un 18 en philosophie –, Jacques Ladsous travaille encore quelques mois au Centre d’observation du Languedoc-Roussillon. « Mais j’étais en désaccord avec les méthodes utilisées et, fort de mon statut de major de promo, j’avais proposé quelques changements que mon directeur n’a pas acceptés. Alors je suis parti. » Il se laisse rapidement tenter par une nouvelle aventure : l’ouverture du centre Alfred-Binet pour enfants présentant des troubles sévères de la personnalité, à Douera (Algérie). « J’ai refusé d’en prendre la direction, car je n’avais alors que 23 ans. Néanmoins, j’ai composé l’équipe de départ et me suis associé à ce projet. » Il y restera quatre ans – même si, observe-t-il aujourd’hui, « c’était un peu trop médical pour moi » –, avant de partir créer une communauté d’enfants dans un ancien aérium(2).

« De tout ce début de parcours, résume l’ancien vice-président du CSTS, je suis ressorti avec la conviction qu’il ne faut jamais partir d’idées toutes faites, ni mélanger ce que l’on pense avec ce que l’on voit. Ces premiers enseignements m’ont considérablement servi, tout au long de ma carrière, et je me suis régulièrement replongé dans mes notes. Mais ils n’ont jamais changé mon optique concernant l’éducation. »

Notes

(1) Henri Wallon (1879-1962) était un philosophe, psychologue, neuropsychiatre, pédagogue et homme politique français. Il a notamment présidé la commission de réforme de l’enseignement qui a produit le plan « Langevin-Wallon » de juin 1947.

(2) Un aérium est un établissement de repos au grand air pour enfants et adolescents.

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