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Imaginer les formations de demain

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Dans un paysage désormais profondément transformé, les centres de formation doivent réinventer leurs pratiques pédagogiques pour s’adapter aux évolutions de l’intervention sociale et à la reconnaissance des « usagers ».

Quarante ans après leur inscription dans la loi de 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, les centres de formation en travail social voient leur univers bouleversé. Après avoir été fortement bousculés par la décentralisation des formations sociales et la réingénierie des diplômes, ils sont, cette fois, confrontés à un changement de paradigme, qui touche au cœur de leur modèle originel. Dans ce contexte tourmenté, le « plan d’action interministériel en faveur du travail social et du développement social » (voir ce numéro, page 67), qui associe plusieurs ministères, l’Assemblée des départements de France et l’Association des régions de France, ouvre, malgré ses zones d’ombre et ses ambiguïtés, un espoir de stabilisation. Pour peu que la volonté et l’unité affichées par les partenaires – assez inhabituelles, il faut le reconnaître – ne s’émoussent pas au fil des chantiers annoncés (et des rapports de forces à venir) ainsi que des échéances électorales.

Première onde de choc, la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle, qui revisite les objectifs et remodèle les obligations des employeurs, oblige les centres de formation à repenser leur offre de formation initiale et continue, achevant d’ailleurs de brouiller les frontières entre les deux. Les formations vont devoir être construites de façon modulaire, afin de pouvoir être utilisées à la carte en fonction des parcours de chacun. « Les centres doivent repenser leurs formations diplômantes – qui sont conçues aujourd’hui comme un cursus complet de deux ou trois ans pour des étudiants en formation initiale auxquels peuvent s’adjoindre des stagiaires de la formation continue – sous forme de briques détachables, afin de les ouvrir aussi aux demandeurs d’emploi et aux salariés qui voudraient utiliser leur compte personnel de formation, estime Patrick Lechaux, chercheur associé au Centre de recherche sur la formation du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). On pourrait ainsi imaginer que des personnes décident, dans le cadre de la formation continue, de suivre tel ou tel module spécifique – sur l’autisme, par exemple – de la formation d’éducateur spécialisé. »

Vers des formations a la carte ?

L’offre de formation continue non diplômante va devoir également s’adapter aux demandes particulières des employeurs dans une logique d’entretien des compétences et d’adaptation de leurs salariés à l’emploi. « Ce qui pourrait encourager le développement de formules mixtes, mélangeant de la formation pure avec de l’intervention et du conseil sur place, et éventuellement de la formation à distance via les outils numériques », explique Patrick Lechaux. « On forme aujourd’hui des cohortes d’étudiants en formation initiale sur le modèle de l’Education nationale. Demain, il faudra pouvoir répondre sur le champ à un employeur qui décide de former ses équipes en douze mois aux troubles du comportement. Ce que l’on sait faire à petite échelle, il faudra savoir le faire à grande échelle », anticipe Olivier Cany, directeur général de l’institut du travail social (ITS) de Tours. Il s’agit donc pour les écoles de revoir leur ingénierie de formation tout en respectant, désormais, des exigences de qualité des enseignements et de qualification des formateurs : outre les critères du décret du 30 juin dernier pour les actions de la formation professionnelle continuer(1), le plan prévoit que les établissements respectent un cahier des charges partagé Etat-régions (qui devrait être disponible à la fin 2016), sous peine de perdre leur agrément pour la délivrance des diplômes d’Etat. Ce qui pose en filigrane la question de l’avenir des écoles monofilières.

N’y a-t-il pas, en outre, un risque que les employeurs, obligés désormais de former leurs salariés, ne délaissent les formations qualifiantes au profit de celles d’adaptation à l’emploi, et que le niveau de qualification du secteur soit tiré vers le bas ? D’autant que l’accord de branche du 7 mai dernier obtenu à l’arraché par l’Unifed (Union des fédérations et syndicats nationaux d’employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social)(2) augmente la marge de manœuvre des employeurs sur la gestion de leurs dépenses de formation. Le plan tente de cadrer les choses en prévoyant qu’une conférence réunisse tous les trois ans les partenaires sociaux publics et privés pour définir les priorités de la formation continue et des formations en alternance. Encore faut-il ne pas s’en tenir à un exercice formel.

Sous la houlette des conseils régionaux

La deuxième secousse vient du renforcement des compétences des conseils régionaux sur les formations sociales. La loi du 5 mars 2014 a achevé leur régionalisation amorcée avec la loi du 13 août 2004. Alors que les régions n’agréaient que les établissements qu’elles finançaient, elles agréent désormais tous les instituts publics et privés dispensant une formation préparant à un diplôme de travail social sur la base du schéma régional des formations sociales et après avis du représentant de l’Etat. Et ces établissements relèvent désormais expressément du service public régional de la formation professionnelle. Les régions ont donc la main sur l’offre de formation initiale et continue sur leurs territoires, ce qui ouvre une grande période d’incertitude, d’autant que le décret qui doit préciser les conditions d’agrément n’est toujours pas paru. Le risque est, en effet, que les régions privilégient la logique « emploi » et mettent l’accent sur les formations de niveaux IV et V, avec des effets de concurrence accrue entre les écoles de travail social et les organismes proposant des formations professionnalisantes comme les GRETA (groupements d’établissements de l’Education nationale pour la formation des adultes) ou l’AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes). Lesquels disposent d’un savoir-faire pour concevoir des formations modulaires !

Mais si la loi du 5 mars 2014 les fait rentrer de plain-pied sur le marché de la formation professionnelle, les écoles de travail social relèvent, pour leurs formations post-bac, du service public de l’enseignement supérieur (loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur). Le plan vient confirmer cet ancrage dans le supérieur en systématisant les passerelles entre les diplômes du travail social et les formations universitaires (avec un accord-cadre national) et en s’engageant sur la reconnaissance de ces diplômes au grade de licence ou de master. Pour y parvenir, il confie la réingénierie des diplômes à la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale, avec une feuille de route qui vise à apaiser les craintes sur les risques de disparition des identités professionnelles(3) : il s’agira de définir, pour chaque niveau de formation, un corpus commun de connaissances (environ 30 % du cursus pour les niveaux III actuels) et des modules de spécialisation. Reste un enjeu de taille : parvenir à ce que les formations sociales répondent aux exigences des cahiers des charges de la licence et du master tout en préservant leur dimension professionnalisante, « ce qui suppose une coconstruction entre les ministères chargés de l’enseignement supérieur et des affaires sociales », précise Diane Bossière, déléguée générale de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale). Pour garantir une concertation équilibrée et éviter les risques d’une « universitarisation » des formations sociales, l’Unaforis va d’ailleurs demander qu’un consultant extérieur accompagne la réflexion de la CPC. Un risque que relativise toutefois Patrick Lechaux car, de leur côté, les universités sont engagées dans un mouvement de professionnalisation.

L’ancrage dans l’enseignement supérieur est également conforté par « la reconnaissance de l’intervention sociale comme un champ de recherche », avec même la possibilité, à moyen terme, de constituer une discipline universitaire en travail social. Mais les modalités sont particulièrement floues. Le plan propose qu’une unité de recherche dédiée à l’intervention sociale soit implantée à partir d’« un ou de plusieurs établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel » du type de l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique), de l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), du CNAM, etc. – le plan ne parle pas d’université – en partenariat avec les établissements de formation en travail social. Une avancée, selon Diane Bossière, qui souligne qu’il a toujours été clair pour l’Unaforis que la recherche ne pouvait être développée qu’avec des établissements académiques. Un avis que ne partage pas Stéphane Rullac, directeur scientifique à l’IRTS Paris Ile-de-France, qui déplore « qu’on oblige les centres de formation à être dépendants d’établissements ayant déjà des prérogatives universitaires plutôt que de leur donner un statut académique pour développer la recherche ».

Hepas, pas hepas ?

Reste l’objet mystérieux constitué par « la première école supérieure en intervention sociale ». Faut-il y voir une préfiguration des « hautes écoles professionnelles pour l’action sociale » (HEPAS) portées par l’Unaforis ? « Il s’agirait plutôt d’une école doctorale, alors que les HEPAS ont une vocation plus large en développant la recherche et en préparant aux formations initiale et continue du niveau V au niveau I », estime Diane Bossière. De fait, le plan ne fait aucunement mention des HEPAS, pour lesquelles l’Unaforis réclamait un cadre national. D’où le risque de voir se développer une grande diversité de modèles d’écoles selon les territoires, ce qui rendra difficile pour certaines d’entre elles de négocier avec les universités. L’avenir est d’autant plus incertain que le paysage régional est loin d’être stabilisé, avec la réorganisation autour des 13 régions et les élections des conseillers régionaux en décembre prochain.

Face aux négociations à venir et à l’ampleur des changements en cours, la coopération des écoles en région est donc plus que jamais nécessaire. « Alors qu’elles étaient historiquement inscrites dans le champ de l’action sociale, elles sont désormais aussi dans ceux de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur, tous ces champs ayant leurs logiques propres », analyse Patrick Lechaux. Ce qui génère une telle complexité qu’aucun centre ne peut plus s’en sortir seul. L’Unaforis avait anticipé cette évolution en incitant les établissements de formation à mutualiser plusieurs de leurs activités au sein de plateformes régionales. Ses nouvelles orientations politiques et stratégiques (2016-2018), adoptées en mai dernier, visent à conforter cet ancrage régional sans toutefois perdre de vue la possibilité de créer des HEPAS dans les régions(4).

L’objectif ? Outiller l’appareil de formation afin qu’il soit en mesure de répondre aux nouveaux enjeux et de s’engager plus avant dans les innovations pédagogiques exigées par les évolutions de l’intervention sociale et la participation des personnes. Le plan interministériel et les cinq rapports des « états généraux du travail social »(5) invitent en particulier à renforcer les compétences transversales entre les formations (au sein du travail social, mais aussi au-delà), à repenser les modalités de l’alternance intégrative, à développer les pratiques de coformation avec les personnes accompagnées, à mieux outiller les cadres ou encore à impulser des travaux de recherche collaborative. Des pistes que nous avons choisi d’explorer dans les pages suivantes, en croisant des reportages en écoles et des interviews de responsables du secteur. De façon, certes, encore timide, le changement est déjà à l’œuvre sur le terrain.

Notes

(1) Voir ASH n° 2919-2920 du 17-07-15, p. 51.

(2) Voir ASH n° 2915 du 19-06-15, p. 11.

(3) Après les contestations entraînées par la proposition de la CPC d’instituer « un diplôme par niveau », dans le cadre de son rapport « Métiers et complémentarités, architecture des diplômes de travail social » – Voir ASH n° 2888 du 19-12-14, p. 5.

(4) Si l’Association des régions de France est réticente à un modèle d’HEPAS, des régions souhaitent en créer une, à l’instar de La Réunion.

(5) « Coordination institutionnelle des acteurs », « Développement social et travail social collectif », « Formation initiale et formation continue », « Métiers et complémentarités », « Place des usagers ». Ils ont été remis le 18 février dernier à Marisol Touraine et à Ségolène Neuville – Voir ASH n° 2899 du 27-02-15, p. 5.

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