Recevoir la newsletter

Au cœur du collectif

Article réservé aux abonnés

Chargé d’enseignement aux universités Paris-2 et Paris-13, attaché à la présidence du Syndicat des employeurs associatifs de l’action sociale et médico-sociale (Syneas), Didier Tronche a été diplômé éducateur spécialisé en 1972 à l’école Epires de Clermont-Ferrand.

« Dans les années 1960, l’éducateur spécialisé c’était un peu le pendant de l’instituteur, une figure forte de la République importée dans le social, pour rattraper tous les exclus du système scolaire, analyse Didier Tronche, éducateur spécialisé diplômé en 1972. Il y avait une conception du métier qui était recherchée dès la sélection à l’entrée. Alors qu’aujourd’hui le militantisme se fabrique plutôt pendant la formation. » Le parcours de ce professionnel, qui a occupé au cours de sa carrière nombre de postes à responsabilités et de fonctions de représentation et a multiplié les formations (psychologie, sciences humaines, psychanalyse, droit, gestion, management…), en atteste clairement. A la fin des années 1960, le jeune homme décide de se présenter à la sélection d’entrée de l’institut régional de formation des personnels socio-éducatifs Epires, à Clermont-Ferrand – fusionnée plus tard au sein de l’Institut du travail social de la région Auvergne (ITSRA). « A l’époque, je faisais des études supérieures d’électronique en vue de devenir ingénieur, se rappelle-t-il. Mais en tant que président de mon foyer d’étudiants, j’organisais des formes de patronages laïcs auprès des scolaires et des enfants déficients intellectuels de l’institut médico-pédagogique de Montluçon. Comme cela me correspondait davantage que la perspective de tester des systèmes électroniques en laboratoire, j’ai décidé d’envoyer balader ces sages études. »

A l’époque, la sélection était très exigente. « Nous étions plusieurs centaines de candidats au départ pour une vingtaine de places à l’arrivée, se souvient celui qui, bien plus tard, deviendra l’un des chefs de file de la branche professionnelle associative sociale et médico-sociale. Et je devais absolument réussir car, comme j’avais fait une croix sur mes études d’électronique, mes parents auraient très mal pris un échec. » Le parcours du combattant se déroulait alors en trois étapes. Une première série d’épreuves écrites, avec un questionnaire d’actualité, une dissertation sur une problématique de société et une synthèse et analyse de textes. S’ensuivaient des oraux et des tests psychologiques, à l’issue desquels quelque 80 à 90 candidats étaient retenus. Enfin, la dernière épreuve était un « stage de vie sociale », qui amenait les candidats à vivre ensemble en internat pendant une semaine, avec des mises en situation. « Nous avons dû gravir le Puy de Dôme, nager, faire de la course à pied, pour évaluer nos capacités sportives, se remémore l’éducateur spécialisé. Puis nous avions des travaux en groupe à présenter ainsi qu’un atelier sur les techniques éducatives. A l’issue de quoi nous étions reçus par la direction et quelques formateurs, afin de faire un point sur le déroulement de la semaine et entendre les résultats. »

Des centaines de candidats pour près de 20 places

Cette sélection s’est révélée propre à rapprocher les futurs « éducs ». « A l’époque, la promotion était un vrai groupe de vie et le groupe, une méthode pédagogique pour les formateurs, rapporte Didier Tronche. On vivait dans une résidence intégrée à l’établissement et on se quittait très peu, sauf pour les stages. » De quoi créer des liens forts. Quarante ans après, tous se sont réunis pour un week-end de retrouvailles – « nous avions même convié des enseignants… ». Côté cours, le programme était chargé : développement de l’enfant, notions de médecine, droit, pédagogie, techniques éducatives, etc. « Cette formation était extrêmement exigeante sur l’écoute, la prise de distance, le développement des qualités d’observation et d’analyse. Pour moi qui venais d’un environnement assez scolaire, cela a réveillé quelque chose du côté de la philosophie et de la sociologie. »

L’étudiant effectue son premier stage auprès d’enfants handicapés mentaux. « J’avais déjà une certaine expérience avec ce public et je ne voulais pas y rester trop longtemps, c’est pourquoi je l’ai placé en première année, quand le stage n’est “que” de trois mois. » Puis il passe un semestre dans un centre d’observation pour jeunes délinquants. « C’était une ancienne maison de correction, avec un fonctionnement quasi militaire. Je me souviens qu’il y avait même un gnouf[1] et l’éducateur était appelé “chef”. » Un contraste saisissant avec l’ambiance libertaire qui règne à l’extérieur. Son stage de troisième année se réalisera dans un établissement accueillant des enfants et adolescents souffrant de troubles sévères du comportement. « Là, j’ai découvert la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle. Tous les éducateurs étaient engagés dans la démarche. L’association rémunérait même des psychanalystes pour suivre les équipes. Je me suis impliqué dans cette direction. Cela m’a énormément ouvert. »

Diplômé en juin 1972, le jeune éducateur occupe son premier poste dès le mois de juillet dans l’association où il vient d’effectuer son stage long, en région parisienne. Il travaille alors en internat, logé au sein de l’établissement. En parallèle, il entame un cursus universitaire en psychologie et en sciences de l’éducation, tout en s’engageant dans une analyse personnelle. A un moment, il prend même un second emploi, à mi-temps, en internat de nuit… « Je n’ai pas tenu longtemps à ce rythme, reconnaît-il. Mais j’avais soif de connaissances et j’avais fait le choix de poursuivre mon analyse hors de mon établissement. Cela représentait des frais et beaucoup de temps. »

Formé aux responsabilités de l’animation d’équipe

Au bout de un an, il accepte un nouveau challenge en prenant la tête d’un projet de reclassement professionnel d’adultes à fort passé psychiatrique. « Il y avait un service complet à créer, en collaboration avec un psychologue-psychanalyste. C’était excitant. J’avais tout juste 23 ans, mais ma formation m’avait réellement préparé aux responsabilités de l’animation d’équipe, à savoir : comment oser s’appuyer sur les autres, répartir les tâches, impliquer chacun au maximum dans les activités. »

Le tout en s’investissant dans la formation des futurs professionnels. « Au fil des années, j’ai vu la formation des éducateurs évoluer au rythme de la société, des évolutions législatives et des pratiques professionnelles. Il y a eu une longue période d’individualisation des modes de prise en charge, avec une accentuation de l’approche psychologique. Puis, dans les années 1990, on a vu le retour des approches sociologiques liées au développement de la politique de la ville. » Didier Tronche regrette toutefois l’abandon de certaines approches collectives qu’il a connues durant sa formation et au cours de sa carrière. « Cela manque et, désormais, les éducateurs sont insuffisamment formés aux publics très difficiles, estime-t-il. Ils sont davantage orientés vers l’accompagnement des jeunes handicapés. Tout cela est lié aux évolutions de société. »

Notes

(1) En argot, le gnouf est une prison ou un poste de police.

60 ans de formations sociales

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur