A l’institut régional du travail social (IRTS) de Franche-Comté, à Besançon, où elle intervient aujourd’hui en tant que formatrice vacataire, Julie Gillet, conseillère en économie sociale et familiale (CESF), croise au milieu des années 1990 des jeunes femmes qui ont vraiment la fibre sociale et ont déjà acquis un langage professionnel. « Elles sont faites pour ça, depuis très jeunes, remarque la professionnelle de 40 ans diplômée en 1996. Moi, je me suis dirigée vers le social complètement par hasard. Certes, ma famille était très investie dans l’associatif, mais personnellement, je savais juste que je voulais faire un BTS pour éviter d’aller à la fac. » A 18 ans, son choix porte sur un BTS économie sociale et familiale. A l’époque, elle n’a jamais rencontré de CESF. « C’était une formation assez nouvelle dans les années 1990. On en avait une vision floue. Je savais simplement que c’était un cursus technique qui allait déboucher sur un emploi. »
Prise sur dossier et lettre de motivation, Julie Gillet commence sa formation en 1994 au lycée polyvalent Hyacinthe-Friant de Poligny, à 60 km de Besançon – comme Agnès Fostel dix ans plus tôt (voir ce numéro, page 34). « On était une promo de 23 très jeunes filles, beaucoup venant d’un bac médico-social et se trouvant là fortuitement. On était très isolées par rapport au reste du lycée. » La jeune femme suit des cours de psychologie, de psychosociologie, de physique, de chimie, de biologie, de couture, de cuisine, de droit. « J’aimais beaucoup la psycho, mais je n’étais pas du tout douée pour les matières scientifiques. Je venais d’un bac économique et social et je ne m’attendais pas à avoir autant de cours de ce genre. » Elle apprécie, en revanche, la formation technique autour du cadre de vie et de l’alimentation. « J’étais toute jeune, et l’aînée. J’habitais dans une résidence étudiante. Les cours sur la comptabilité, la cuisine ou la gestion administrative m’ont vraiment dégourdie. C’est aussi un apprentissage des choses de la vie. »
Le stage de cette première partie de formation ne lui laisse pas un souvenir impérissable. Elle l’effectue au service des crèches du centre communal d’action sociale (CCAS) de Besançon, pour travailler à l’aménagement d’une cuisine dans une nouvelle microcrèche. « On ne faisait pas notre stage avec une CESF, car on serait trop resté sur le volet technique. Nos formateurs nous conseillaient de prendre un peu de distance et d’explorer davantage le volet social. Concrètement, le stage ne m’a rien appris d’utile pour la suite, si ce n’est d’avoir côtoyé un CCAS, qui emploie beaucoup de conseillères. »
A la fin du BTS, Julie Gillet doute : ces deux années ont été très scolaires, le quotidien au lycée est plus strict qu’avant le bac, et la formation très technique. « Surtout, il y a un fossé entre ce qu’on apprend pendant le BTS et la réalité du terrain. A la fin de cette formation courte, je n’avais toujours pas conscience de ce qu’était le métier. » Elle pense arrêter, mais à l’époque, déjà, celles qui mettaient fin à leur formation à ce stade avaient du mal à trouver du travail. Elle s’inscrit donc à l’année de préparation du diplôme d’Etat de CESF, accessible aux titulaires du BTS économie sociale et familiale, à la maison familiale et rurale de Fauverney, près de Dijon. Une formation en alternance. « L’enseignement est devenu complètement différent, on a enfin commencé à aborder le social. Le changement était violent pour certaines, mais c’est exactement ce qui m’a plu. »
L’étudiante se retrouve la plus jeune du centre de formation. Elle apprécie les cours sur les techniques d’entretien, les politiques sociales, le travail collectif et les nombreuses interventions de professionnels. « Avant la troisième année, j’avais du mal à voir comment on allait utiliser nos acquisitions techniques dans ce métier. Ensuite, j’ai pu mesurer combien elles étaient de bons outils pour l’accompagnement quotidien des familles et les interventions collectives. C’est la porte d’entrée de la conseillère. » Le BTS manquait de mise en contexte, analyse la professionnelle avec le recul, les étudiants percevaient les enseignements techniques comme une fin en soi, alors qu’ils étaient des instruments.
Julie Gillet apprécie surtout l’apprentissage en alternance : « La formule est idéale pour apprendre le métier. Si c’était à refaire, j’opterais pour l’alternance dès le BTS. » Sa promotion enchaîne chaque mois une semaine au centre de formation et trois semaines sur le terrain. « J’ai travaillé dans un centre social d’une zone urbaine sensible, au sein d’une équipe pluridisciplinaire, avec des éducateurs spécialisés et des assistantes sociales, qui m’ont très bien accueillie. J’ai beaucoup travaillé l’action collective et compris qu’interagir avec le public me plaisait. » Les cours au centre sont très dynamiques, fondés sur les échanges. « Il y avait beaucoup d’adultes en reconversion professionnelle dans la promotion, et beaucoup de partages. Chacun ramenait son expérience de terrain. En échangeant, on a construit notre posture professionnelle. Le groupe était très soudé. Cette année-là, j’ai acquis beaucoup de maturité. »
La conseillère obtient son diplôme en 1996. Elle rédige un mémoire sur le maintien à domicile des personnes âgées. « Pas facile de trouver du temps pour écrire quand on est en apprentissage, car on attend de vous que vous soyez opérationnels sur le terrain. » A l’époque, pas besoin de valider quatre domaines de compétences, il suffisait d’avoir une moyenne de 10 à l’examen global pour décrocher le diplôme. Julie Gillet passe aisément. « Aujourd’hui, le rapport de stage est devenu un dossier de pratique professionnelle. C’est plus pertinent, car les étudiants doivent analyser une situation. On leur demande d’avoir une posture beaucoup plus professionnelle. »
Sa formation lui a permis de découvrir la relation d’aide et de se sentir à l’aise avec le public. « J’ai compris toutes les actions collectives qu’on pouvait mener. A l’époque, beaucoup concernaient la cuisine et la prise de repas conviviaux. Actuellement, on travaille plus sur l’estime de soi, l’accès à la culture ou la précarité énergétique. » C’est surtout l’apprentissage qui l’a bien préparée au métier. « On est rémunéré, on s’implique beaucoup, on fait partie d’une équipe : c’est une vraie expérience professionnelle. » Julie Gillet a directement obtenu un contrat à durée déterminée dans l’antenne sociale où elle était apprentie, puis un poste de conseillère. « Dans la foulée, j’ai décroché le concours pour entrer au conseil général du Doubs, où je suis maintenant conseillère logement. Un parcours fluide. L’apprentissage m’a permis d’entrer en douceur sur le marché du travail. »