« Comme ces séries américaines à grand succès dont le scénario est issu de l’imagination fertile d’équipes pléthoriques de scénaristes, on s’est longtemps interrogé sur le fait de savoir s’il y aurait une fin à ces “états généraux du travail social” (EGTS) et s’il en avait même été prévu plusieurs, dont les acteurs ne savaient même pas eux-mêmes laquelle était la bonne avant le dernier épisode. Ajoutez à cela que les premiers épisodes dataient de deux saisons déjà et vous comprendrez à la fois l’impatience de certains et le dépit de nombreux autres. In fine, nous ne sommes pas déçus du dénouement.
Il n’est pas question de détailler ici les nombreux éléments contenus dans le plan d’action, cela est fait à foison depuis plusieurs jours par bon nombre d’observateurs (voir aussi les réactions dans ce numéro, page 12), mais de tirer quelques fils de cette pelote, somme toute plus épaisse qu’il n’y paraît.
Le premier enseignement porte sur le processus même d’émergence de ce plan. Sur le timing de ces états généraux, on peut se redire avant de passer à autre chose qu’il n’aura pas été exactement ce que l’on espérait. Si la participation a été active et prolifique, on peut regretter les moments de décélération, voire d’“arrêt sur image”, que l’on a subis à plusieurs reprises. On a, de fait et inutilement, laissé entendre que la montagne pouvait accoucher d’une souris ou que l’on était en train de nous jouer “en attendant Godot” au théâtre gouvernemental. Il n’en est rien finalement. Pourtant, si l’on ajoute à cela une communication souvent discrète, parfois inexistante, on comprend aisément qu’au lieu de soutenir ce qui était en train de se construire, les pouvoirs publics ont à plusieurs reprises laissé la place et donc la part belle aux détracteurs et aux critiques, bien moins nombreux, il faut le rappeler, que ceux qui soutenaient cette démarche. Cela a eu notamment pour conséquence d’affaiblir les travaux en cours sur la réarchitecture des diplômes par la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale(3) en laissant faussement entendre que les travailleurs sociaux eux-mêmes auraient été exclus du processus, d’obliger à une césure entre le travail d’architecture des niveaux V (socle commun poussé à l’extrême avec un nouveau diplôme reprenant les anciens) et le travail des autres niveaux et, ce qui n’est pas le moindre, d’avoir conduit à revoir à la baisse les prétentions pédagogiques initiales : la feuille de route confiée à la CPC était “Soyez ambitieux”, le commentaire à l’atterrissage a été “Vous avez été trop ambitieux”. Il vaut néanmoins tout de même mieux cela que le contraire et avant tout de n’être pas resté au milieu du gué…
Le deuxième enseignement est de ne pas ranger trop tôt dans les tiroirs de la commode obscure de la préparation des états généraux le travail formidable de contribution des milliers de participants dans l’ensemble des régions. Il y a là un terreau important sur lequel le plan d’action devra s’obliger à faire fructifier la mise en œuvre. De même, il ne faut pas oublier qu’ont émergé des questionnements et des problématiques inattendus initialement, qui constituent une bonne surprise et qui ont véritablement orienté la réflexion qui a suivi. C’est donc une démarche ouverte et participative qui a trouvé son sens et dont les réflexions devraient être fertilisées ultérieurement par les conférences de consensus.
Le troisième enseignement porte sur la richesse de ce qui est annoncé dans le plan d’action. Ne nous y trompons pas, si ce plan est effectivement et pleinement mis en œuvre, cela peut produire une métamorphose du travail social, sa transformation complète. Il y a pourtant un danger : celui de ne produire qu’une métabole, au sens rhétorique du terme, c’est-à-dire une simple modification de l’ordre habituel du discours.
Il y a tout de même une lecture en filigrane du plan d’action qui démontre une nouvelle émergence de ce qui avait déserté depuis trop longtemps le travail social et le développement social : l’ambition.
Le quatrième enseignement tient à ce que le gouvernement n’est pas resté dans l’ambivalence, dans l’ambiguïté. Or, comme le disait le cardinal de Retz : “On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens”. On doit donc reconnaître à la fois un certain courage et une forme de prise de risque évidente. En marquant l’importance très (trop ?) forte de la fonction publique, au risque d’avoir eu la tentation d’oublier en cours de route le secteur privé non lucratif, en marquant la volonté d’une universitarisation des formations en travail social clairement placée sous le signe de l’université, en marquant la volonté de faire émerger à long terme un champ, pourquoi pas disciplinaire, du travail social mais en encadrant son instauration dans la sphère universitaire et en établissant une recherche en travail social fortement cadrée, voire encadrée, le gouvernement a pris ses responsabilités et a donc fait preuve de détermination.
Mais, finalement, si les 26 mesures du plan sont innovantes pour la plupart, c’est leur combinaison qui est intéressante. C’est le cinquième enseignement : le plan en lui-même est une véritable nouveauté. Certes, faire participer les personnes et mieux les accompagner est en soi une nécessité souvent déjà affirmée, promouvoir le développement social une autre nécessité seulement balbutiante, mais la rénovation de la gouvernance et la reconnaissance du travail social combinée à la modernisation de l’appareil de formation peut produire un véritable impact, la reconnaissance effective et durable du travail social.
L’ambition affichée doit être saluée. Le sixième enseignement est d’observer qu’elle a été savamment mise en scène et a mis en avant successivement deux Premiers ministres ; on ne pourra donc pas taxer le gouvernement de désintérêt ou de superficialité. Plusieurs actes successifs ont, d’une certaine manière, entretenu le suspens. Mais les deux derniers actes, à savoir la remise au Premier ministre du rapport “Reconnaître et valoriser le travail social” par Brigitte Bourguignon, le 2 septembre, en présence de cinq ministres du gouvernement(4) puis la communication au président de la République en conseil des ministres, le 21 octobre, du “plan d’action interministériel à la suite des états généraux du travail social” représentent assurément une reconnaissance des enjeux rarement atteinte par le travail social en France. Est-ce suffisant pour autant ? Pas sûr. C’était absolument nécessaire mais il y a aujourd’hui un dernier écueil : de la présentation du plan d’action à sa mise en œuvre, il n’y a pas qu’un pas. Il y a plusieurs années de travail qui ne correspondent pas au calendrier politique et électoral auquel nous sommes soumis. La fenêtre de tir est étroite. Cette année 2015 a vu en son début les élections départementales dont les acteurs sont aujourd’hui pleinement remis au centre du jeu de façon spectaculaire ; elle verra à sa fin les élections régionales dont on comprend tous les bouleversements qu’elles pourraient amener en fonction des résultats et influant sur la mise en œuvre future. Cela étant, ce n’est finalement que le destin de toutes grandes réformes. Il n’y a pas là de spécificité particulière et il n’y a pas d’élément idéologique majeur porté par le plan d’action qui nécessiterait d’être combattu par une majorité autre. Le vrai débat porterait sur la place que l’on entend donner au travail social lui-même dans ce pays et sur la réponse à cette question qui n’a rien de trivial : “Finalement, le travail social, souvent méconnu, rarement reconnu, est-il si important que cela ?”. Raisonnement qui a souvent amené, dans une forme de non-réponse, les politiques à favoriser le secteur sanitaire au détriment du secteur social et médico-social. Tant le premier est emblématique et le second clandestin.
Finalement, et puisqu’il ne s’agit pas ici d’une tentative d’exégèse du texte, le septième et dernier enseignement que l’on pourrait tirer est que tout au long d’une année qui a commencé d’une manière si dramatique dans notre pays le 7 janvier au point que certains ont cru en voir les fondements vaciller, il n’y a pas lieu de désespérer.
Dans une société qui pratique une forme d’autisme à l’égard du social – sauf aux moments de crise – et qui est atteinte d’Alzheimer compassionnel régulièrement, l’espoir peut sans arrêt être ravivé. Le plan d’action des états généraux est enfin là, il participe de cet espoir et permet de dire neuf mois après : “Je suis encore Charlie, je suis toujours Charlie”. »
(2) En tant que membre du conseil d’administration du Syneas.
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