Le département, collectivité territoriale régulièrement menacée depuis la fin des années 1990, paraît décidément insubmersible. Nous l’avions déjà souligné dans cette même chronique au début 2015(1). Au terme du dernier exercice, après la promulgation le 7 août 2015 de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et du fait de l’intense lobbying de l’Assemblée des départements de France (ADF) relayé par une assemblée sénatoriale entrée en résistance, le département paraît sortir victorieux du marathon législatif. Le voilà, semble-t-il, sauvé et même conforté, tel un grand miraculé, dans son être et dans ses attributions essentielles. Quelle victoire spectaculaire, et somme toute inattendue, face à un environnement initialement hostile : la vieille collectivité, créée dans l’enthousiasme des commencements révolutionnaires, survit donc une nouvelle fois. Ceux qui avaient pris au sérieux son acte de décès anticipé en sont pour leurs frais. Il faut dire que la solution radicale supposait une révision constitutionnelle, perspective qui a de quoi faire reculer les plus décidés.
Toutefois, au final, il n’y a pas eu total maintien du statu quo. La collectivité départementale connaît quelques adaptations qui recèlent de potentiels effets transformateurs : l’assise territoriale ainsi que les équilibres politiques de la collectivité sont affectés par le redécoupage des cantons et l’élection de binômes « homme-femme » ; la suppression de la clause générale de compétence peut n’avoir, en période de disette financière, qu’une portée symbolique et théorique, mais elle consacre un recentrage inévitable de ses activités sur ses attributions légales.
Mais, surtout, le département apparaît fortement corseté dans ses missions. Il s’agit, d’une part, des divers segments de politiques d’action sociale dont il a hérité au fil du temps et, d’autre part, d’une « solidarité territoriale » en direction des espaces ruraux fragilisés, à quoi s’ajoute la gestion des collèges et des équipements routiers. A trop vouloir défendre la citadelle de la « solidarité », il s’y retrouve désormais enfermé. Et c’est bien cet enfermement qui devrait inquiéter les défenseurs de l’institution.
Tout d’abord, s’agissant du social, une part non négligeable de ses attributions est constituée de prestations de solidarité nationale que la collectivité ne maîtrise pas et dont les coûts s’envolent. Voilà justement que l’ADF, si soucieuse de ne rien laisser échapper jusque-là, s’avise maintenant du fait que l’Etat pourrait en reprendre la gestion… Les autres compétences d’action sociale (enfance, personnes âgées, handicaps), sectorisées et cloisonnées, inscrites dans le financement largement contraint d’établissements et de services, ne laissent pas espérer l’ouverture de marges de manœuvre importantes. Ensuite, s’agissant de la solidarité territoriale, on en perçoit vite les limites, considérant que la collectivité départementale va devoir opérer justement dans des espaces fragilisés où s’accumulent les problèmes sans que cela soit compensé par un dynamisme et des potentialités évidentes de développement. Curieuse conception de la solidarité, qui « solidarise » entre eux des espaces en difficulté.
Enfin, sur le plan structurel, le département se tient à l’interface entre des intercommunalités qui montent en puissance – surtout les nouvelles métropoles, auxquelles d’ailleurs la loi le contraint, à défaut qu’il y consente, à remettre certaines de ses attributions en matière d’action sociale – et les nouvelles régions et l’Etat. Lequel se réorganise aussi en maintenant une architecture de logique régionale, même s’il maintient ses échelons départementaux. De ce maelström aux effets encore largement énigmatiques, on entend sortir par de la coopération entre niveaux et, au sein de chaque niveau, par l’effet d’entraînement que pourrait produire l’émergence de logiques transversales et territorialisées générées par les régions et les métropoles. En tout état de cause, la position du département y est évidemment fragilisée par son double enfermement dans un « social à l’ancienne » et un « rural fragilisé ».
Il se pourrait alors que, comme le rapporte Plutarque en ce qui concerne le roi Pyrrhus, et à tout prendre, il eût mieux valu une défaite assumée qu’une victoire annonciatrice de désenchantements.