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Participation des familles : la démocratisation inachevée

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La participation des parents et des enfants aux mesures les concernant n’est pas encore complètement entrée dans les mœurs. Cette démarche inaboutie risque fort de le rester si le système n’est pas profondément remanié. Telle est l’analyse du sociologue Manuel Boucher et de l’équipe de chercheurs avec qui il a mené l’enquête dans plusieurs départements.

La participation des parents et des enfants serait-elle le Graal de la protection de l’enfance ? A lire l’enquête dirigée par le sociologue Manuel Boucher, responsable du laboratoire d’étude et de recherche sociales (LERS) de l’Institut du développement social (IDS) de Haute-Normandie(1), on est tenté de le croire. Néanmoins, cette recherche réalisée entre 2012 et 2014 pour l’Observatoire national de l’enfance en danger dans huit départements (voir encadré, page 27) n’a rien de manichéen. En effet, si la promotion de l’implication des enfants et de leurs familles a un goût d’inachevé, les pratiques en la matière sont très diversifiées. Ainsi, entre la Seine-Maritime, marquée par une longue tradition de placement, et le Vaucluse, qui s’est intéressé de bonne heure à la question de la place des parents, le grand écart n’est pas que géographique.

« Culture du placement »

Avec 10,1 places pour 1 000 jeunes âgés de 0 à 20 ans, la Seine-Maritime est parmi les quatre départements français les mieux pourvus en établissements d’aide sociale à l’enfance (ASE). Ce taux d’équipement est un héritage de l’histoire. La Seine-Maritime a été dotée de nombreuses structures pour faire face aux demandes d’accueil d’enfants de Paris et de sa région, considérés comme maltraités dans leur milieu d’origine. L’habitude a ainsi été prise de « routiniser la mise à distance de parents largement stigmatisés pour leur incompétence ou leur mauvaise influence », commente Mohamed Belqasmi, attaché de recherche au LERS de l’IDS. Cette « culture du placement » va à l’encontre de la logique de participation des parents que la Seine-Maritime s’efforce de mettre en œuvre depuis six ans. Pour différentes raisons qu’évoquent les responsables départementaux de la protection de l’enfance. Il s’agit de s’inscrire dans la dynamique impulsée par les lois, « qui nous amène à devoir rendre compte et expliquer au citoyen pourquoi on le prive de droits en fixant ailleurs la résidence de son enfant ou en l’empêchant de voir son enfant librement », explique un cadre de l’ASE(2). Il y a aussi un argument éthique. « Aujourd’hui, la plupart des travailleurs sociaux n’imaginent pas travailler avec les parents autrement que sur leur terrain institutionnel […], alors qu’au fond, nous sommes censés aller sur le terrain des familles, parce que c’est bien là que les choses doivent changer. Donc, il y a un problème de sincérité […] sur la logique sous-jacente » à certaines décisions, comme celles qui imposent des droits de visite en présence d’un tiers, dont l’utilisation est parfois jugée « abusive ». Enfin, dans un contexte de restriction budgétaire, limiter le nombre de placements traditionnels, coûteux pour le département, permettrait aux référents éducatifs d’avoir moins de familles à suivre et, donc, plus de temps pour travailler avec chacune d’elles. « Ce n’est pas parce qu’on accumulera encore d’autres dispositions législatives, réglementaires, contraignant les services gardiens de l’ASE et les établissements à s’engager effectivement à recueillir l’adhésion des parents à la prise en charge de leur enfant […] que ça leur donnera plus de moyens pour y parvenir », résume un responsable.

Ces différents arguments militent pour le développement de formes d’accueil et d’une approche de l’intervention renouvelées. Mais, alors que le département a notamment instauré des mesures de placement et de soutien à domicile pour travailler autrement avec les familles, ces nouvelles modalités d’accompagnement ne limitent pas la mise en œuvre des mesures classiques : les structures de placement traditionnel (maison d’enfants à caractère social ou famille d’accueil) ne désemplissent pas. Ainsi y a-t-il, depuis 2002, une augmentation significative du nombre d’enfants et de jeunes faisant l’objet d’un accueil physique – même si cette augmentation est plus imputable à des renouvellements de mesures, donc à un allongement des durées de placement, qu’à des mesures nouvelles. Sachant que ces nombreux accueils – 3 000 sont recensés dans le département – se font à près de 90 % dans un cadre judiciaire, certains agents du département estiment que les juges « seraient sous l’influence des établissements éducatifs avec lesquels ils travaillent quotidiennement ». Les structures d’accueil trouveraient plus « confortable » d’intervenir dans un contexte contraint. « Plutôt que de considérer les parents comme des partenaires […] avec lesquels on peut travailler dans leur environnement, des travailleurs sociaux continuent de [les regarder] comme des adversaires ou concurrents potentiels, qui doivent se conformer aux règles imposées par les institutions », analysent les chercheurs. Quant à l’instauration des droits des usagers à l’intérieur des établissements, elle peut se révéler de pure forme, si les nouvelles procédures ne font pas l’objet d’un débat de fond, regrettent des dirigeants de l’ASE. Jugeant que les pratiques des travailleurs sociaux et des établissements qui les emploient sont « conservatrices », ces responsables en appellent à une « révolution culturelle » pour améliorer le travail avec les familles, notamment dans le cadre des internats.

Pratiques transformées

Le Vaucluse, pour sa part, s’est assez tôt soucié de l’importance de la place des parents et de la nécessité d’éviter les ruptures familiales. L’implication du directeur enfance-famille en poste depuis plus de 15 ans – et qui a été l’un des acteurs de la réforme de 2007 – a joué un grand rôle à cet égard, précise Agathe Petit, de l’institut régional du travail social (IRTS) PACA-Corse, responsable de la recherche dans cette région. Dès le premier schéma départemental 2003-2007, les problématiques du soutien à la fonction parentale et de la diversification des modes de prise en charge ont fait l’objet d’une réflexion. Cette préoccupation s’est notamment traduite, à partir de 2004, par le développement de services d’accueil, de protection et de soutien à domicile (Sapsad), en alternative au placement traditionnel. Il s’agit d’une forme de placement à domicile, avec une intervention importante des équipes éducatives qui engagent un travail étroit avec les familles. Cette modalité d’accompagnement, qui place au centre les questions de la négociation et de la temporalité nécessaires pour bâtir des objectifs adaptés et cheminer avec les parents, permet souvent de raccourcir notablement les durées de placement(3). Dans le même esprit de prévention et de collaboration avec les familles, le département s’emploie par ailleurs à multiplier les accueils de jour, notamment en direction des enfants les plus jeunes. Le Vaucluse fait également partie des départements qui ont engagé un travail autour du « projet pour l’enfant » (PPE). Cet outil, qui a notamment pour objectif d’organiser les relations parents-professionnels, est en cours d’expérimentation sur certains points du territoire.

« Sur les dix dernières années, on assiste à une véritable transformation des pratiques » dans le sens d’une plus grande proximité avec les familles, témoigne un éducateur. « On a l’habitude d’aller au domicile des parents, on va discuter avec eux. Dès qu’il y a une information, on [la leur] envoie. Avant, on ne le faisait pas », ajoute-t-il. « Le changement de fond est avant tout sur le quotidien », précise un directeur d’établissement. Selon lui, il n’y a pas eu de transformation radicale, mais la dimension parentale est mieux prise en compte. Par exemple, l’infirmière sollicite les parents s’il y a un rendez-vous à l’hôpital et les tient informés des soins reçus par leur enfant. Les professionnels rencontrés par les chercheurs sont « unanimes sur le changement de posture qui s’est opéré, compte tenu de la place accrue faite au travail avec les familles et aux modalités d’intervention plus ouvertes sur l’extérieur et le domicile de l’enfant ». Un changement de posture, mais aussi de regard. Le placement à domicile, en particulier, est venu « réinterroger les certitudes que nous avions, notamment les critères qui correspondent à une famille acceptable », souligne un directeur de maison d’enfants à caractère social. Ce regard bienveillant aide les parents à sortir de la disqualification inhérente au placement, ce qui permet de faire resurgir leurs compétences et capacités, points d’appui de l’accompagnement. Cependant, malgré les évolutions vers « des formes d’alliance singulières » entre usagers et travailleurs sociaux, les transformations relevées sont parfois très marginales et, en tout état de cause, loin d’être uniformes, précisent les chercheurs. Autrement dit, « la route vers une généralisation des pratiques dites de coéducation et de coopération entre parents et professionnels semble encore longue ».

Refonder le systéme

Elargissant la focale à l’ensemble des départements enquêtés, les chercheurs estiment que le principal point d’achoppement à la diffusion de démarches participatives n’est pas le fait des travailleurs sociaux. Même si ces derniers sont « historiquement méfiants vis-à-vis des parents des classes populaires » et encore « fortement attachés à une posture rééducative qui limite souvent le travail avec les familles », ils ne sont pas les premiers responsables d’une difficile démocratisation du secteur. Les résistances sont « d’abord liées à des raisons d’ordre systémique ». L’appel à la mise en œuvre effective de la participation des familles implique de « refonder l’ensemble de l’organisation et de la philosophie du champ de la protection de l’enfance à partir d’un fil rouge : la distinction entre maltraitance et carences éducatives ». Faute de quoi, tous les parents sont susceptibles d’être considérés comme défaillants, pathogènes, voire criminogènes – et maintenus à l’écart de la mise en œuvre des mesures éducatives qui les concernent au premier chef.

La refondation préconisée s’appuierait sur une claire différenciation des modes d’intervention selon les situations. Les enfants réellement victimes de comportements parentaux maltraitants « doivent toujours pouvoir être mis à l’abri en bénéficiant de mesures éducatives judiciarisées et de structures qui les protègent hors du domicile de leurs parents ». Il s’agit de privilégier à leur égard des actions de protection et d’éducation, mais aussi de s’organiser pour que les familles participent à la transformation de leur problématique. En ce qui concerne les enfants carencés en raison des difficultés de leurs parents (chômage, alcoolisme, problèmes de santé…), la priorité est de prévenir la maltraitance en disposant d’une palette de mesures administratives suffisamment large. Le système de protection de l’enfance doit intégrer « une déjudiciarisation complète des mesures éducatives de prévention de la maltraitance pour, d’une part, limiter les rapports asymétriques de domination entre les professionnels […] et les familles […] et, d’autre part, favoriser la participation effective de celles-ci à la résolution de leurs difficultés (activation non culpabilisatrice, non moralisatrice) », insistent les chercheurs. Dans cet esprit, les travailleurs sociaux sont appelés à s’appuyer sur les compétences et les ressources des parents, de la famille élargie et de l’environnement. Il leur reviendrait également de coproduire « un maillage préventif » avec les acteurs de proximité (école, centre médico-psychologique, prévention spécialisée…). Soit une démarche de travail social très globale et un soutien à l’« empowerment » des usagers.

Une enquête menée dans huit départements

Les terrains d’enquête retenus ont été choisis en fonction de l’implantation des équipes de chercheurs qui y ont participé et, donc, de leur bonne connaissance des acteurs institutionnels et associatifs présents sur ces territoires : pour les départements de Gironde, Dordogne, Landes et Lot-et-Garonne, l’équipe de Marie-Laure Pouchadon et Mélina Eloi de l’IRTS d’Aquitaine ; pour les départements de l’Eure et de la Seine-Maritime, l’équipe de Mohamed Belqasmi de l’Institut du développement social (IDS) de Haute-Normandie ; pour les départements des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse, l’équipe d’Agathe Petit, de l’IRTS PACA-Corse.

Chacune des équipes a enquêté localement auprès d’intervenants chargés d’impulser et de coordonner les politiques sociales de protection de l’enfance, de travailleurs sociaux, cadres socio-éducatifs et responsables de structures et de services, d’usagers concernés par des mesures de protection de l’enfance (enfants, adolescents, parents) et de formateurs en travail social.

Pour identifier les pratiques, les motivations et les représentations des différents acteurs, la démarche (qualitative) employée repose sur plusieurs méthodes d’enquête : des observations directes et/ou participantes, des séances d’« intervention sociologique » destinées à amener les participants à la recherche à réfléchir sur leur situation, et des entretiens individuels et collectifs semi-directifs.

Notes

(1) Participation des « usagers » et transformation des pratiques professionnelles des acteurs de la protection de l’enfance – Juillet 2014 – Rapport réalisé par le LERS sous la direction de Manuel Boucher – Disponible sur http://goo.gl/sLj1nV.

(2) Les personnes citées dans la recherche ne sont pas nommément désignées, seule une indication de leur fonction est précisée.

(3) Voir notre reportage dans les ASH n° 2590 du 9-01-09, p. 38.

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