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Plan d’action pour le travail social : le chantier ne fait que commencer

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Salué par une bonne partie des acteurs du secteur, le plan d’action interministériel en faveur du travail social et du développement social présenté le 21 octobre suscite néanmoins nombre d’interrogations. Certains syndicats, notamment, s’opposent radicalement à son contenu.

Plus de deux ans après la mise en route des « états généraux du travail social », le gouvernement a finalement choisi de présenter, le 21 octobre, son plan d’action interministériel « en faveur du travail social et du développement social »(1) en conseil des ministres. Un signe politique fort en soi, argue-t-on au ministère des Affaires sociales, même si l’absence d’événement conclusif a suscité quelques déceptions, voire a entraîné une moindre visibilité de l’aboutissement de la démarche. Reste que ce qui s’apparente à une feuille de route du travail social pour les cinq ans à venir a été – malgré ses imprécisions et un calendrier très étalé – applaudi par une grande partie des acteurs du secteur social. Un satisfecit qui s’explique par ses grandes orientations, reflets des débats qui traversent le secteur de longue date, mais aussi par la forte attente d’une reconnaissance politique du travail social depuis 1982, année de la circulaire de Nicole Questiaux. De nombreuses réserves et inquiétudes subsistent néanmoins, ainsi que des oppositions, notamment parmi les syndicats, liées à la crainte d’une disparition des identités professionnelles.

Parmi les organisations ayant immédiatement réagi aux annonces ministérielles, l’Uniopss, dont le président de la commission « lutte contre la pauvreté et l’exclusion » (collectif Alerte), François Soulage, assurera le suivi du plan, se félicite de « l’implication politique du gouvernement » en la matière. Elle se réjouit en particulier que la promotion du développement social devienne « réalité au sein des politiques publiques ». Autres mesures saluées : « la participation des personnes à l’élaboration des projets et à la formation des travailleurs sociaux », ou encore « le mouvement de rénovation des gouvernances, l’organisation d’un premier accueil inconditionnel et la prise en compte du besoin d’aller au contact des publics ».

De son côté, l’Unaforis se félicite du « caractère exceptionnel » du plan d’action – « véritable projet politique de valorisation, d’évolution et de structuration » du travail social, résultant d’une « concertation très approfondie avec tous les acteurs ». « Nous avons été entendus, sur le plan de la réingéniérie des diplômes, qui va jusqu’au bout d’une intégration des formations sociales au processus européen de Lisbonne en permettant aux diplômés d’obtenir un grade universitaire, avec des options qui pourront être accessibles par la formation initiale et par la formation continue, explique Diane Bossière, déléguée générale de l’Unaforis. Nous l’avons aussi été sur le développement de la recherche en lien avec le travail social et sur l’évolution de l’appareil de formation. » Cependant, nuance l’organisation, le plan interministériel « est le résultat de compromis entre de très nombreux acteurs aux positions et intérêts parfois très éloignés » et comporte par conséquent « des ambiguïtés, des silences, et demandera beaucoup de volonté collective pour sa mise en œuvre. »

Même si la formulation est très floue, l’organisation espère ainsi voir dans la volonté de créer « une première école supérieure en intervention sociale » la reprise de la philosophie des Hautes écoles professionnelles en action sociale et de santé (Hepass). Un projet qui reste néanmoins « un mystère », aux yeux de Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), coordonnateur de l’ouvrage « Conférence de consensus : le travail social et la recherche ». Au vu des premiers éléments mis sur la table, « il s’agirait plutôt de constituer un pôle d’excellence à partir du monde universitaire, de créer un équivalent de l’Ecole des hautes études en santé publique », suppose-t-il.

Le rapprochement avec l’université, dans le cadre de la réingénierie des diplômes, va également, selon lui, dans le bon sens, tout comme pour l’Unaforis, qui néanmoins se montre vigilante sur la manière dont les diplômes vont être reliés au système universitaire et « dont l’articulation va être coconstruite », précise Diane Bossière, soulignant que l’association veillera à ce qu’il y ait « des espaces de négociation équilibrés » avec l’Université. Autre sujet en suspens : tous les diplômes sanctionnés après trois ans d’études seront-ils revalorisés au niveau II, comme le laisse entendre le plan, et, dans ce cas, « quid d’un niveau III dans les formations sociales ? », s’interroge-t-elle, évoquant « le risque qu’il y aurait à créer de toutes pièces un nouveau diplôme bac + 2 », proposition qui a déjà été émise par la Commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale.

Vers des métiers de coordination ?

De son côté, l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES) approuve les principes posés par le plan, tout en considérant que celui-ci est « plutôt orienté sur le secteur de la lutte contre la pauvreté, alors que son annexe sur les travailleurs sociaux montre l’importance du secteur des personnes âgées et des personnes handicapées, ou de la protection de l’enfance », indique son président, Jean-Marie Vauchez. Selon lui, l’économie générale du plan montre qu’« il manque encore en France une vision globale et unifiée du travail social ». Si l’association est, par ailleurs, rassurée par les mesures concernant la réingénierie des diplômes – avec l’introduction d’un corpus commun correspondant à 30 % des enseignements pour les diplômes actuellement de niveau III –, elle s’inquiète d’une possible « évolution allant vers des métiers de la coordination ». Sur le terrain, « une minorité d’éducateurs spécialisés exercent ces fonctions », selon les secteurs et la taille des structures, explique Jean-Marie Vauchez. « Les fonctions de cooordination doivent, selon nous, être reléguées à des formations postdiplômes », ajoute-t-il, et l’ONES « revendiquait plutôt un recentrage sur l’accompagnement ». En outre, la revalorisation des diplômes de niveau III au niveau II pose clairement la question de l’avenir du certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale (Caferuis).

Dans la lignée de ses revendications également, l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) se réjouit de la perspective enfin affirmée d’une revalorisation des diplômes, à plusieurs réserves près. « Le fait que la réingénierie des formations va être confiée à la CPC, qui avait produit un rapport auquel nous n’étions pas favorables, nous place dans l’expectative, souligne Sandrine Dumaine, secrétaire nationale de l’association. Outre le contenu du corpus commun de connaissances, qui reste donc à définir, « nous nous inquiétons des risques liés aux modules de spécialisation : ne vont-ils pas réduire l’aspect généraliste des diplômes ? Les employeurs demanderont-ils aux professionnels souhaitant changer de secteur d’intervention de passer par une nouvelle formation ? » Alors que le plan prévoit de revoir les modalités de délivrance des diplômes « pour donner plus d’autonomie, c’est-à-dire plus de poids aux notes attribuées en cours de formation par les établissements de formation en travail social financés par les conseils régionaux, sur la base de cahiers des charges établis en relation avec l’Etat », l’ANAS craint également « une éventuelle régionalisation des formations », de même que l’hypothèse d’« une perte de la neutralité des épreuves, les centres de formation devenant juges et parties ».

L’association, qui avait réaffirmé son attachement au principe de l’accueil inconditionnel dans le cadre de ses propositions sur la polyvalence de secteur, est par ailleurs préoccupée par l’organisation d’un premier accueil de proximité, telle qu’elle a été esquissée dans le plan. Selon ce dernier, cette première réponse à l’usager pourra être fournie au sein d’institutions ou d’associations, par des salariés ou bénévoles, qu’ils soient travailleurs sociaux ou non. Difficile, pour l’ANAS, d’envisager le premier contact du public ayant besoin d’aide avec « une personne non formée aux techniques d’entretien, d’accompagnement, à l’évaluation ». En outre, « si le premier accueil n’est pas assuré par un professionnel, cela multipliera forcément les orientations, en contradiction avec l’objectif affiché par la création de la fonction de référent de parcours », relève Sandrine Dumaine.

Quelle composition pour le CSTS

Compte tenu de l’ampleur du chantier, « le plus important est de voir comment va se dérouler l’étape suivante », pointe, quant à lui, Marcel Jaeger. « Et je ne vois pas comment imaginer un tel processus de transformation à une échéance de cinq ans s’il n’y a pas de lieu de débat pour préparer les décisions, avec tous les acteurs concernés. » Un lieu qui serait idéalement et logiquement, selon lui, le Conseil supérieur du travail social (CSTS), appelé à devenir un « Conseil interministériel du travail social ». D’autant que la présence des personnes accompagnées dans l’instance rénovée « renforcera sa légitimité », insiste Marcel Jaeger.

Ce projet de gouvernance comporte des aspects positifs, dont « la participation des personnes accueillies, pourvu que leur représentation, pour chaque secteur concerné du travail social, leur permette d’avoir vraiment la parole, l’ouverture des groupes de travail du conseil et le rapport d’évaluation interministérielle du travail social qu’il devra remettre tous les trois ans », approuve Brigitte Bouquet, membre et ancienne vice-présidente du CSTS. Mais dans le même temps, s’inquiète-t-elle, le plan annonce une « composition resserrée » de l’instance, sans préciser qui n’y serait plus. « Comment avoir la parole des professionnels du terrain avec moins de membres ? », s’interroge-t-elle. Et d’exprimer son incompréhension : renforcer la représentation des ministères « revient à donner de l’importance à des membres qui ont toujours été absents ! », tempête l’ancienne vice-présidente du CSTS. Elle déplore également de voir seulement mentionnée l’existence d’une « commission déontologie », amputée de son volet « éthique », « qui va bien plus loin que la notion des droits et devoirs des travailleurs sociaux », et de ne pas voir apparaître les possibilités d’autosaisine de l’instance. L’enjeu de cette nouvelle gouvernance sera donc celui « de la composition et du dynamisme » du conseil nouvelle formule, abonde François Roche, coordonnateur de la commission « éthique et déontologie » du CSTS, se félicitant d’ores et déjà « de la volonté d’essaimer avec la création d’un réseau de comités d’éthique locaux ». Si la tendance aux injonctions au partage d’informations ne peut qu’inciter à la prudence, ajoute-t-il, « que la question soit traitée dans des lieux de débats, de délibération, et après une conférence de consensus paraît sain ».

Du côté des syndicats, les avis sont nettement plus partagés. Tandis que la CFDT Santé-sociaux se réjouit d’un projet dont elle partage les orientations et qui considère « le travail social non plus comme une charge, mais comme une richesse pour le développement économique des territoires », Alain Dru, coordonnateur pour le travail social de la CGT, exprime « la déception et la colère » de son organisation. « Au final, les diplômes d’Etat n’existeront plus et seront remplacés par des masters, c’est très finement joué ! », s’exaspère-t-il. Dans un communiqué commun, les organisations qui ont lancé les « états généraux alternatifs du travail social », le 16 octobre à Paris – la CGT, la FSU, Solidaires, la FA-FP, le collectif Avenir éducs et l’UNEF – dénoncent « la casse des métiers sous couvert de mise en conformité avec les exigences du LMD (licence-master-doctorat) ». Elles s’insurgent également contre « la fin du secret professionnel remplacé par un partage de l’information avec tout le monde, dont les bénévoles, comme le veulent les élus depuis des années » et contre « le remplacement du travail social par l’intervention sociale, puisqu’il n’est plus nécessaire d’être professionnel pour faire la première analyse des situations ». Pour ces organisations, la revalorisation des statuts n’est que « le renvoi à 2018 d’un hypothétique passage en catégorie A pour les professionnels du secteur public, sans aucune garantie pour le secteur privé, ni pour les personnels titulaires des diplômes d’Etat actuels ».

Notes

(1) Voir ASH n° 2930 du 23-10-15, p. 5.

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