La date n’a pas été choisie au hasard. Dix ans après la mort à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) de deux adolescents à la suite d’une course-poursuite avec la police – drame qui avait déclenché de longues émeutes urbaines dans de nombreux quartiers populaires –, le Premier ministre a réuni autour de lui, aux Mureaux (Yvelines), pas moins de 17 ministres dans le cadre d’un comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté (CIEC). Le deuxième du genre après celui du 6 mars dernier en réaction aux attentats de janvier, au terme duquel le gouvernement avait arrêté une soixantaine de mesures – volontaristes, mais sans grands moyens financiers – notamment pour le logement, la mixité sociale, la laïcité ou la création d’entreprises dans les banlieues(1). « Neuf mois après, il s’agit de rendre compte de ce qui a été réalisé et d’amplifier la dynamique autour de trois mots d’ordre : casser les logiques de ségrégations et d’apartheid, lutter contre les discriminations et prévenir les phénomènes de repli et de radicalisation », a résumé Manuel Valls avant de présenter de « nouveaux blocs de mesures »… dont beaucoup avaient déjà été dévoilées. Seules véritables nouveautés : la nomination prochaine de dix délégués du gouvernement pour expérimenter durant un an une nouvelle « méthode de travail », dans dix villes possédant des quartiers considérés comme difficiles, quelques annonces en matière de lutte contre la radicalisation et le report au mois de février 2016 de la présentation en conseil des ministres du futur projet de loi « égalité et citoyenneté », qui portera les mesures nécessaires à la politique de mixité sociale voulue par le gouvernement(2).
Selon Matignon, sur les 60 mesures présentées en mars dernier, « 19 ont atteint l’objectif assigné, 32 sont en cours de déploiement » et « 9 seulement sont en cours de lancement ». Parmi celles qui ont atteint l’objectif, on citera le nouveau contrat aidé du secteur marchand – intitulé « starter » – à destination des jeunes décrocheurs, le lancement de l’Agence France entrepreneur, dont l’objectif est de favoriser le développement économique dans les territoires les plus en difficulté (voir ce numéro, page 6), ou encore le dispositif de suivi renforcé de jeunes en voie d’exclusion nommé « Pack 2e chance ». Déjà appliqué dans les zones de sécurité prioritaire de la métropole lyonnaise et dans le département du Rhône, ce dispositif est « en cours de développement » en Ile-de-France.
Parmi les mesures considérées comme « en cours de lancement » figurent, entre autres, celles qui visent à renforcer les dispositifs de maîtrise de la langue française destinés aux immigrés adultes primo-arrivants et la formation linguistique des candidats à la naturalisation. Ou bien encore le conditionnement à l’exercice en éducation prioritaire de l’accès des enseignants à un grade plus élevé.
Enfin, s’agissant des mesures considérées comme « en cours de déploiement », on retrouve notamment celles qui ont été annoncées par le gouvernement pour « faire plus de mixité sociale » dans le logement et qui seront inscrites dans le futur projet de loi : revoir la politique des loyers dans le parc social pour diversifier l’occupation des immeubles, moderniser et piloter la politique d’attribution des logements sociaux ou bien encore mieux répartir le parc social sur les territoires.
Rappelons que, sur ce dernier point, le gouvernement souhaite renforcer l’efficacité de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) à l’égard des communes déficitaires en logements sociaux. Des consignes ont d’ores et déjà été données en la matière aux préfets(3). En clair, celles qui ne respectent pas le quota de logements sociaux imposé par la loi SRU doivent avoir signé, d’ici à la fin 2015, un contrat de mixité sociale avec l’Etat précisant les moyens qu’elles entendent mobiliser pour atteindre leurs objectifs. « A ce jour, les deux tiers des maires concernés se sont engagés dans cette démarche », a indiqué Matignon. Les préfets se substitueront à ceux qui ont refusé de signer un contrat de mixité sociale. Le CIEC aura, à cet égard, été l’occasion pour Manuel Valls de rendre publique une liste de 36 communes récalcitrantes (dont 17 sont situées en Provence-Alpes-Côte d’Azur et 8 en Ile-de-France). Concrètement, dans ces villes, « le préfet préemptera des terrains et des logements, délivrera des permis de construire en lieu et place des maires et mobilisera des logements vacants dans le parc privé ». Une seconde liste sera publiée au premier semestre 2016.
En 2016, une dizaine de sites expérimenteront, dans le cadre du contrat de ville, une « nouvelle méthode de travail local », afin de « mieux cibler les priorités d’intervention, faire émerger et accompagner les démarches innovantes, valoriser toutes les compétences locales et redonner toute leur place aux forces vives (acteurs économiques, associatifs et habitants) ». Concrètement, une task force sera constituée autour du préfet, en lien avec le maire et le président de l’intercommunalité. Elle interviendra sur des projets « spécifiques à l’échelle d’un quartier, identifiés localement comme prioritaires et pour lesquels des résultats seront attendus dans un calendrier accéléré ». Elle mobilisera à cet effet des moyens d’intervention dédiés et, promet le gouvernement, à chaque étape du processus, les habitants du quartier seront associés. Le pilotage opérationnel au quotidien des interventions et des projets de la task force sera confié à un délégué du gouvernement rattaché au préfet. « Chaque délégué aura l’autonomie nécessaire, notamment budgétaire, pour mobiliser les ressources du territoire, administration comme associations, afin de bâtir de manière réactive et créative des solutions sur mesure pour obtenir des résultats tangibles pour les habitants », a assuré Manuel Valls dans son discours de clôture. Les dix délégués seront nommés sur dix villes, mais couvriront au total 17 quartiers.
Cette expérimentation sera suivie au niveau national par une personnalité missionnée par le Premier ministre. Une feuille de route, avec la liste des territoires retenus et les noms des délégués sera remise « avant la fin de l’année » et un premier bilan national sera réalisé « d’ici un an ». Trois sites ont d’ores et déjà été retenus : Trappes (Yvelines), avec le quartier des Merisiers-Plaine de Neauphle, Mulhouse-Illzach (Haut-Rhin), avec le quartier intercommunal Drouot-Jonquilles, et Avignon (Vaucluse), avec le quartier Monclar-Rocade Sud.
Le gouvernement estime que « l’arsenal juridique renouvelé » dont il dispose désormais pour lutter contre le phénomène de radicalisation violente doit être complété par « une action globale de prévention impliquant l’ensemble des institutions investies dans le champ des politiques sociales ». Plusieurs mesures ont été décidées dans cette perspective. Il s’agira notamment d’« améliorer la formation des travailleurs sociaux et des bénévoles à la transmission des valeurs républicaines et à la prévention des dérives radicales », indiquent les services de Matignon sans donner plus de précisions. Le gouvernement compte également systématiser les modules de prévention de la radicalisation dans les formations initiales et continues offertes par les écoles du service public, et construire un partenariat avec le Centre national de la fonction publique territoriale pour étendre ce dispositif aux collectivités territoriales et aux acteurs de la politique de la ville.
Autres promesses : un soutien aux initiatives associatives visant à mieux faire connaître le phénomène (séminaires, rencontres…) et la mise en place d’un « accompagnement renforcé pour les associations qui seraient confrontées à des difficultés liées à la radicalisation de certains de leurs dirigeants, professionnels et/ou adhérents ».
Le CIEC n’a donné lieu à aucune mesure nouvelle dans le domaine de l’emploi. On notera simplement que lacampagne de testing à l’embauche à grande échellepromise par François Rebsamen en mai dernier sera lancée à la fin de l’année pour démasquer d’éventuelles pratiques discriminatoires. « Un échantillon d’entreprises de plus de 1 000 salariés sera testé sur un nombre significatif d’offres d’emploi qu’elles publient. » La synthèse des résultats sera rendue publique à la « mi-2016 » et un dialogue sera engagé par le gouvernement avec chacune des entreprises testées « pour en tirer des enseignements ».