La première raison est la vétusté d’un certain nombre d’établissements pénitentiaires construits il y a plus de 100 ans et qui souvent, à l’origine, n’étaient pas conçus pour cela et n’étaient pas, pour la plupart, aux normes sanitaires actuelles. La deuxième raison est qu’il y a de plus en plus de détenus. En 1975, ils étaient 26 000. Aujourd’hui, ils sont plus de 70 000. Cela n’a pas été anticipé par les pouvoirs publics et on s’est retrouvé avec souvent plusieurs détenus dans des cellules conçues pour une personne seule. Tout cela a rendu nécessaire la construction de nouvelles prisons. D’autant que les institutions européennes ont poussé en ce sens. La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour traitement dégradant. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a également pointé du doigt la situation indigne de certaines prisons.
Sa particularité est d’être pluridisciplinaire, associant des architectes, des économistes, des géographes, des juristes et des sociologues. L’idée m’en est venue au Mans, où j’habite, lorsque j’ai assité au déménagement de l’ancienne maison d’arrêt, qui se trouvait en plein centre-ville, jusqu’à la nouvelle située en périphérie. C’était très impressionnant et cela m’a interrogé. Deux ans de prison dans une maison d’arrêt vétuste sont-ils comparables à deux ans de prison dans un établissement moderne ? La peine est-elle la même ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes intéressés à la fois au point de vue des détenus et des surveillants, et à l’inscription des établissements pénitentiaires dans leur environnement géographique et économique.
Leur implantation sur des terrains peu chers a en effet permis de construire des établissements allant jusqu’à 600 places. C’est plus économique que de construire plusieurs petites structures. Cette tendance est vraie surtout en province. En Ile-de-France et outre-mer, du fait de la rareté des terrains, on travaille plutôt à la remise aux normes des établissements existants. Cette évolution est la conséquence de l’industrialisation de l’enfermement de masse. 70 000 personnes, c’est la population d’une grande ville. On a donc créé des prisons un peu comme, dans les années 1960, on créait des barres d’immeubles pour faire face à la crise du logement. On s’est rendu compte que, 30 ans après, ces immeubles n’étaient pas très adaptés à la vie sociale. La même chose se passe aujourd’hui avec les nouvelles prisons.
Bien sûr. Ils ont été conçus selon les normes sanitaires modernes. On trouve une douche dans chaque cellule alors qu’auparavant il n’y avait que des douches collectives. Il n’y a pas de cafards ni de rats comme dans certaines vieilles maisons d’arrêt. Le revers de la médaille est que ces prisons sont assez impersonnelles et conçues d’abord autour de l’impératif sécuritaire. A la prison de Condé-sur-Sarthe (Orne), qui accueille des détenus dangereux, toutes les grilles s’ouvrent automatiquement à distance et on est suivi en permanence par des caméras. C’est sans doute efficace, mais cela réduit à très peu de choses les contacts humains pour des personnes qui purgent des peines de 20 ou de 30 ans de prison.
Ces anciennes prisons étaient davantage à taille humaine. Il y régnait entre les surveillants un certain esprit de camaraderie qu’ils n’ont pas retrouvé dans les établissements modernes. D’autant qu’il a fallu recruter un grand nombre de nouveaux gardiens, ce qui a engendré une sorte de rupture générationnelle. Les relations entre eux sont devenues plus difficiles, mais aussi avec les détenus. Il y a plus de contrôle, plus de portes à ouvrir, plus de caméras… Le quotidien d’une prison repose sur toutes sortes de petits gestes qui ne collent pas nécessairement à la lettre au règlement. Mais ce qui était possible dans une structure de 100 personnes ne l’est plus dans une de 600. Cela peut engendrer des tensions.
Ils apprécient le fait de vivre dans des locaux aux normes sanitaires avec une douche dans leur cellule. De même, les parloirs ont été grandement améliorés. Ils comportent souvent des accueils pour les enfants et on trouve parfois des unités de vie familiale où les détenus peuvent rencontrer leur famille pendant un jour ou deux. En revanche, ce qui revient souvent dans la bouche des prisonniers, c’est qu’il s’agit de « vraies prisons ». Autrement dit, elles ne servent qu’à détenir des gens et sont centrées uniquement sur l’aspect sécuritaire. De fait, il y a très peu d’évasions, mais la prison doit aussi préparer la réinsertion. Or il n’est pas certain que ces nouveaux établissements aient été conçus dans cet objectif.
Eux aussi se félicitent que leurs conditions de travail se soient améliorées. Ils bénéficient de locaux fonctionnels alors que, bien souvent, dans les anciens établissements, ils n’avaient même pas un bureau. Les prisons modernes comportent en outre un « quartier arrivant » qui permet d’atténuer le choc carcéral pour les nouveaux détenus. En revanche, ce qui leur manque, c’est le lien avec les autres institutions judiciaires et sociales qui pouvait exister dans les établissements de centre-ville. La préparation à la sortie est également plus difficile. On a créé des quartiers de semi-liberté pour les futurs sortants, mais ils sont situés à proximité d’établissements excentrés. Il n’y a pas d’activité économique et peu de transports en commun. Trop souvent, les détenus qui trouvent un travail à l’extérieur ne peuvent s’y rendre faute de moyens de transport. C’est la même chose pour les familles qui n’ont pas toujours de voiture à leur disposition pour se rendre aux visites.
Malheureusement non. Un texte de loi stipule que l’encellulement individuel doit être la règle mais on repousse d’année en année son application car on manque toujours de places, essentiellement dans les maisons d’arrêt qui accueillent des personnes en attente de jugement et les courtes peines. Toutefois, les détenus n’apprécient pas tous la cellule individuelle. Ils préfèrent souvent la partager car, s’ils ne travaillent pas, ils peuvent passer 23 heures sur 24 en cellule. Lorsque l’on est seul dans 9 m2, c’est long.
L’administration pénitentiaire et l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, qui pilote ces programmes, cherchent des voies d’amélioration mais leurs remontées d’informations viennent essentiellement des architectes et des directeurs d’établissement. Très peu d’enquêtes sont réalisées auprès des détenus et du personnel de surveillance sur leurs besoins réels. Bien sûr, il n’est pas possible de refaire totalement ces prisons, mais certaines solutions existent. En particulier, il faudrait que les locaux dédiés à la réinsertion des détenus soient implantés près des centres-villes. La prison idéale n’existe pas, mais cela n’empêche pas de réfléchir à une prison mieux insérée dans la société. Dans les pays du Nord, nous avons vu des prisons qui sont de simples bâtiments dans la ville. En France, cela n’existe pas. Pour que l’on aille vers cela, il faudrait que la société commence à accepter le fait que les prisonniers ne sont pas tous des meurtriers ne pensant qu’à tuer et à violer. Il existe un réel problème d’acceptabilité sociale de la prison. Certes, il faut punir les gens mais s’ils sont exclus durant tout le temps de leur détention et que leur sortie n’est pas préparée, comment s’étonner s’ils récidivent ?
Propos recueillis par Jérôme Vachon
Didier Cholet est maître de conférences en droit privé à l’université du Maine (THEMIS-UM). Il a dirigé l’ouvrage Les nouvelles prisons. Enquête sur le nouvel univers carcéral français (Ed. PUR, 2015).