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Les EHPAD, des lieux-ressources dans les territoires ?

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Les établissements destinés au grand âge commencent à tirer les leçons de trois décennies de médicalisation à marche forcée. Pouvoirs publics et gestionnaires s’accordent sur la nécessité de faire de ces institutions des lieux ouverts inscrits dans un environnement dynamique en s’appuyant entre autres sur les nouvelles technologies. Mais encore faut-il que ce mouvement soit au service de la vie sociale des résidents.

La médicalisation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) a abouti à un paradoxe : plus ces structures s’adaptent à la dégradation de l’état de santé de leur public – dont la moyenne d’âge à l’entrée flirte désormais avec les 87 ans –, moins elles correspondent aux attentes des personnes en âge aujourd’hui de voir arriver la perte d’autonomie. Lesquelles peinent à se projeter dans des structures accueillant des dizaines, voire des centaines de personnes dépendantes. Ce qui a pour effet de retarder le plus longtemps possible leur entrée en institution parfois jusqu’à l’extrême et de renforcer un peu plus encore le plateau technique.

« Les EHPAD ont subi une évolution qu’ils n’ont pas pu ou pas su maîtriser, constate Thierry Dimbour, directeur du centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI) d’Aquitaine, qui organisait en juillet une journée d’étude intitulée « EHPAD et innovations »(1). De la maison de retraite, ce lieu un peu tiers où on maintenait une vie sociale, on est passé à un modèle quasi hospitalier rejeté autant par les familles que par les personnels pour qui la vie est devenue très difficile. » Le CREAI, qui pilote l’Observatoire régional de l’innovation en santé (ORIS) mis en place en 2014 pour repérer les pratiques sanitaires et médico-sociales innovantes en Aquitaine, a rapidement vu se développer des initiatives montrant que les institutions du grand âge cherchaient à reprendre la main sur leur évolution.

Ouvrir les portes

« L’Etat a un rôle plutôt favorable dans ce mouvement, analyse Thierry Dimbour. Constatant que les besoins ne vont pas cesser d’augmenter, il rentre dans une logique de territoire. Désormais, on ne pense plus l’EHPAD comme une structure isolée spécialisée sur une population en fin de vie, mais de plus en plus comme une ressource du territoire au service d’une population plus large. »

Le programme Paerpa (personnes âgées en risque de perte d’autonomie), lancé en septembre 2013, illustre ce virage. Expérimenté auprès de neuf agences régionales de santé (ARS)(2), il vise à optimiser le parcours de santé des personnes de plus de 75 ans dont l’état est susceptible de s’altérer. Il cherche en particulier à maintenir les personnes autant que possible à leur domicile en renforçant la coordination entre les acteurs et en faisant évoluer les modalités d’échanges entre eux. Dans cette approche, les EHPAD sont appelés à mettre leur expertise gériatrique et gérontologique à la disposition du réseau des acteurs locaux.

C’est ainsi que le centre hospitalier de Périgueux a engagé, en juillet 2014, son pôle « EHPAD » de 500 résidents dans une dynamique de centre de ressources. « L’idée est double, explique Daphnée Leroux, coordinatrice du projet. D’une part, créer des interactions entre les différentes unités du pôle et leur territoire afin de développer une dynamique médico-sociale au service du parcours des personnes. D’autre part, mobiliser les personnels sur des actions innovantes qui seront ensuite redistribuées sur les acteurs locaux. » Avec le soutien financier de l’ARS, un centre d’évaluation des fragilités et de prévention de la dépendance a ouvert, en septembre 2014, au sein de l’EHPAD. « Il va permettre de proposer une consultation infirmière à des personnes repérées fragiles sur le territoire, puis d’orienter ses usagers dans le dispositif gérontologique local », explique la coordinatrice. Autre initiative : en novembre prochain, une expérimentation de café des aidants des résidents de l’EHPAD va être lancée afin de soutenir l’engagement des familles auprès de leur proche une fois celui-ci entré en établissement. Après avoir été testé auprès des familles qui visitent les 500 résidents du pôle, le modèle sera partagé avec d’autres institutions du territoire. Au programme également, un travail avec d’autres directeurs d’EHPAD sur les moyens de dynamiser les conseils de la vie sociale (CVS) : il s’agit de mettre au point une formation pour les personnels des établissements et les présidents des CVS. « L’EHPAD devient un lieu ouvert interagissant avec l’environnement », résume Daphnée Leroux.

« Comme dans le champ du handicap, on voit que les politiques sont en train de converger vers un modèle d’institution fondé sur le principe de coresponsabilisation et de désectorisation. A terme, la ressource EHPAD pourrait être plus multiforme en s’inscrivant dans les filières hospitalières ou d’aide à domicile, en fonction des équilibres du territoire », avance Thierry Dimbour.

Expériences de terrain

Certaines initiatives anticipent déjà une évolution des cadres réglementaires. A l’image de l’accueil de convalescence aidant-aidé ouvert par le centre médicalisé de Lolme, à Bergerac, en 2012. « Il vise à résoudre les problèmes qui se posent au domicile lorsque l’aidant naturel d’une personne souffrant d’Alzheimer rencontre lui aussi un problème de santé nécessitant une hospitalisation », explique Brigitte Verdon, sa directrice. A l’issue de son hospitalisation, l’aidant est pris en charge le temps de sa convalescence dans le service de soins de suite du centre, tandis que la personne aidée est accueillie en hébergement temporaire au sein de l’EHPAD. « Cette prise en charge concomitante a pour effet de libérer l’aidant de l’angoisse de ce qu’est devenu son proche, tout en évitant à la personne aidée de connaître une rupture grâce à des temps de regroupement organisés dans la journée », souligne la directrice. A l’issue de la convalescence de l’aidant, un projet global de retour à domicile prenant en compte les besoins nouveaux de l’aidant et de l’aidé est mis en place. Mais si le dispositif évite les effets délétères d’une rupture brutale du lien aidant-aidé, son développement reste modeste (sept couples depuis la fin 2012). La raison ? Un reste à charge pour l’hébergement trop élevé pour certaines familles. « Le conseil départemental n’intervenant pas dans les situations d’urgence, il faudrait que cet accueil de convalescence aidant-aidé soit repéré comme un besoin nouveau pour être pris en charge », explique la directrice.

Même avancée pour l’association Village répit familles (VRF), qui a ouvert en Touraine en 2014 un EHPAD de 26 places d’hébergement temporaire intégré à un séjour de vacances. Le projet de l’association est de permettre à un aidant naturel de prendre des vacances sans couper avec son proche dépendant. La personne accompagnée bénéficie dans l’EHPAD d’un soutien 24 heures sur 24 et de la poursuite de ses soins, tandis que son aidant dispose des services d’une hôtellerie de loisirs (piscine couverte, salle de remise en forme, organisation d’excursions, etc.). Porté par le groupe de protection sociale Pro BTP et l’association AFM-Téléthon, avec le soutien de nombreux acteurs mutualistes et des caisses de retraite, le projet se veut de dimension nationale. Deux autres villages ont été créés en 2014 pour les personnes handicapées et leur famille, et un autre proposant 120 places d’hébergement temporaire et 190 places pour les aidants ouvrira en Savoie au début 2017. « L’idée est de développer une franchise sociale qui fédère un ensemble d’autres opérateurs associatifs autour du concept », explique Jacques Cécillon, directeur de VRF. L’association vise la création d’une plateforme nationale de réservation et d’évaluation médico-sociale, qui évaluerait les besoins et les attentes des candidats au séjour pour le compte des villages franchisés. Mais, là encore, le développement de l’offre dépend de l’évolution de la législation. Une minorité de conseils départementaux ont prévu dans leur règlement d’aide sociale une prise en charge de l’hébergement temporaire et, lorsque c’est le cas, c’est au bénéfice des seules personnes âgées de leur territoire. « Il est très compliqué aujourd’hui de leur demander de soutenir des projets qui accueilleront par définition des personnes extérieures, quand bien même leurs ressortissants âgés pourraient à leur tour se retrouver dans un village de vacances à l’autre bout de la France », commente Jacques Cécillon.

De nouveaux outils

Mais la révolution des usages induite par les nouvelles technologies de l’information et de la communication pourrait faire évoluer les esprits. En quelques années, le développement des objets connectés et des moyens de télésurveillance a fait émerger le principe d’un « EHPAD hors les murs ». Le dispositif M@DO – comme maison de retraite à domicile – est expérimenté depuis 2013 par la Fondation Caisses d’épargne pour la solidarité. Après une phase d’équipement du domicile des usagers, M@DO externalise l’ensemble des prestations d’un établissement : soins et accompagnement, portage des repas, blanchisserie. Le dispositif est complété par une plateforme de téléassistance pour parer aux urgences et par des places d’hébergement temporaire ou d’accueil de jour en cas de besoin.

Le développement des « EHPAD hors les murs » pourrait bénéficier des projets d’e-santé visant le « développement de services numériques pour la santé et l’autonomie » retenu par le gouvernement dans le cadre des investissements d’avenir(3). Dans ce cadre, l’ARS d’Ile-de-France et les conseils départementaux des Yvelines et de l’Essonne testent, depuis 2014, un « guichet dématérialisé de services médico-sociaux pour les personnes en perte d’autonomie », visant la permanence des soins gériatriques au domicile et en établissement. Ce programme prévoit le déploiement d’un bouquet de services au domicile permettant le suivi de 1 500 personnes âgées fragilisées sur 55 communes des Yvelines et de l’Essonne. Des outils de communication, tels qu’un cahier de liaison numérique ou des alertes médicales relayées sur smartphones, assurent le lien entre l’EHPAD, les gériatres, SOS médecin et les services hospitaliers. Enfin, une plateforme d’échange de données médico-sociales centralise les informations remontant du dispositif en favorisant l’articulation des partenaires.

L’expérimentation, prévue pour s’achever en février 2016, donnera lieu à une évaluation médico-économique. Celle-ci devra permettre de mesurer les besoins de coordination et de calculer les économies générées par la réduction du nombre de nuits d’hospitalisation en urgence gériatrique, indique Olivier de la Boulaye, directeur du pôle « santé » de la société Altran, qui assure la maîtrise d’œuvre du dispositif. « Nous sommes sur un modèle très peu coûteux en termes de services additionnels. L’offre technologique au domicile et en EHPAD est d’abord au service d’une nouvelle organisation locale. Une fois celle-ci mise en place, il suffirait d’un ou de deux postes de coordinateurs financés par l’ARS pour réguler les échanges sur un territoire de santé. » D’ores et déjà, l’idée d’une plateforme de données médico-sociales a conduit à créer une structure de développement réunissant des éditeurs de logiciels, des opérateurs du domicile et des établissements. Pilotée par une filiale du groupe Chèque-Déjeuner, celle-ci vise à standardiser les protocoles utilisés entre intervenants sanitaires et sociaux, étape indispensable avant le développement de services transversaux.

« Sanitarisation »

Ces innovations ont néanmoins un revers. Alors que les besoins du grand âge portent aussi sur la qualité de l’accompagnement et le soutien à la vie sociale, c’est le domaine plus immédiatement rentable de la santé des personnes qui capte toute l’attention. « L’Etat l’a très bien compris et incite les industriels à développer des outils qui participent un peu plus encore de la sanitarisation du médico-social, car ils vont viser le suivi du patient, le dossier médical, et non la continuité de la prise en charge », regrette Thierry Dimbour.

On le voit avec la difficile pénétration des outils numériques d’assistance aux activités de la vie quotidienne des personnes âgées ou handicapées. Des capteurs installés dans l’espace de vie peuvent pourtant servir à mesurer le rythme des activités quotidiennes, tels que l’habillage, la fréquence des douches, le remplissage du réfrigérateur, ou encore mesurer les déplacements, prévenir les chutes et contrôler la sécurité du domicile. Un des laboratoires les plus en pointe, celui de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), a créé Dom Assist, un service d’assistance modulable à volonté, utilisable et pilotable depuis une box Internet et associant des outils de communication simplifiés sur tablette tactile. Les tests montrent que ce service est accepté par les personnes âgées. « Comme la solution Dom Assist est très flexible, son adaptation aux EHPAD est tout à fait envisageable », explique Hélène Sauzéon, chercheure à l’INRIA. Ce dispositif aurait, selon elle, l’intérêt d’élargir l’activité sociale du résident. Il lui serait par exemple possible avec sa tablette de choisir son menu, de jouer à des serious games pour la stimulation cognitive et physique, de s’investir via un Internet simplifié dans des activités extérieures, ou encore de communiquer avec sa famille ou avec le personnel. « Sauf que cela reste théorique, regrette Hélène Sauzéon. Aucun projet financé n’est en cours dans les EHPAD, tant à l’initiative des tutelles que des gestionnaires. »

Le programme Paerpa s’accompagne lui-même du déploiement d’un ensemble d’outils issus du secteur l’hospitalier : messagerie sécurisée pour l’échange de données sur le patient, dossier de soin informatisé et applications sur tablette ou smartphone permettant de chatter entre professionnels de santé. Les priorités se portent également sur le développement de la télémédecine dans les EHPAD, une technologie devenue nécessaire avec l’augmentation des pathologies chroniques chez les résidents. Celle-ci autorise des consultations à distance entre soignants de l’établissement et services hospitaliers autour des situations les plus lourdes, en évitant des transferts aux urgences. « Le résultat est une diminution du taux d’hospitalisation et du nombre des transports. Surtout, on améliore la satisfaction des soignants et des médecins généralistes qui se sentent moins isolés et moins démunis devant des pathologies complexes », assure Nathalie Salles, gériatre et vice-présidente de l’association Agir pour la télémédecine.

Déploiement entravé

Mais en dehors des soins, les besoins des personnes âgées fragilisées demeurent une inconnue. Les rares groupes de paroles réunissant retraités jeunes ou vieux, professionnels et chercheurs mettent en évidence le rejet massif du modèle parahospitalier des EHPAD et leur nécessaire évolution vers le maintien du lien social. Quant aux informations qui pourraient éventuellement renseigner sur l’évolution de la demande médico-sociale, elles supposent le déploiement de méthodologies très lourdes pour récupérer des données exploitables, déplore le CREAI Aquitaine. « Pourquoi ? Simplement parce que du côté des gestionnaires d’établissement, ce n’est pas une préoccupation. Et quand c’en est une, on va utiliser des outils empruntés aux champs du sanitaire ou de la gestion », explique Thierry Dimbour. De même, aucune des instances publiques en mesure d’organiser en continu une remontée des besoins – centre local d’information et de coordination, maison pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer, maison départementale des personnes handicapées, services personnes âgées du département – ne dispose d’outils informatiques partagés. « Nous sommes donc toujours dans des politiques au doigt mouillé. Chacun sent qu’il y a un vrai problème d’adaptation de l’offre, mais la rigidité des pratiques professionnelles, la nécessité de trouver des modèles économiques et l’intérêt des industriels conduisent à regarder ailleurs. »

Un « village Alzheimer » dans les Landes

Chacun s’accorde pour dire que la prise en charge des démences et de la phase terminale de la maladie d’Alzheimer n’est pas adéquate dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ordinaire. Outre l’obligation de se prémunir contre les fugues qu’elle impose, ses effets sont délétères sur les autres résidents.

Fort de ce constat, un concept d’institution radicalement nouveau est né en 2009 aux Pays-Bas, à Hogeweyk : le « village Alzheimer ». Plus de bâtiment de type hospitalier. Une architecture reproduit l’organisation d’un village, avec ses maisons, ses rues découvertes dans lesquelles on circule librement, ses places, son mobilier urbain, mais aussi ses commerces (supérette, coiffeur, bar-restaurant) et équipements collectifs (salle de musique, gymnase, administration). Chaque maison est une entité dotée de sa décoration et de ses équipements propres, choisis en fonction de l’histoire de vie et des centres d’intérêt de ses habitants. Le modèle de prise en charge repose sur l’idée que lorsque des malades Alzheimer continuent une vie au plus proche de leurs habitudes, ils éprouvent tant de stimuli reconnaissables qu’ils sont mis au défi de maintenir ce style de vie.

Les résultats sont si étonnants, en termes d’amélioration des capacités cognitives et fonctionnelles, que l’Etat va participer à hauteur de 3 millions d’euros au financement d’un village Alzheimer en France en 2017(1). Porté par le conseil départemental des Landes, celui-ci devrait accueillir 150 résidents lourdement dépendants, encadrés par 150 personnels soignants et d’animation et autant de bénévoles.

« Plutôt que de répondre à la pression à la médicalisation, penser l’organisation du territoire en développant une offre spécifique pour ces grands déments permettra aux EHPAD locaux de rester sur une population capable de vivre en collectivité », assure Fabienne Noé, directrice d’EHPAD et membre de la délégation française envoyée aux Pays-Bas pour étudier le fonctionnement du village.

L’investissement est estimé à 23 millions d’euros, financés par le conseil départemental et la sécurité sociale.

Quant au fonctionnement administratif, il restera celui d’un EHPAD avec la coexistence des trois tarifs d’hébergement, de dépendance et de soin.

« Le coût de la dépendance et de la vie sociale tarifé par le département sera légèrement supérieur au coût moyen landais mais devrait se situer dans une moyenne nationale », a indiqué le conseil départemental des Landes.

Notes

(1) Le 2 juillet à Talence (Gironde) – www.creai-aquitaine.org.

(2) Centre, Ile-de-France, Lorraine, Midi-Pyrénées, Pays de la Loire, Aquitaine, Bourgogne, Limousin et Nord-Pas-de-Calais.

(3) 14 projets pilotes de services numériques dans le domaine de l’e-santé ont été sélectionnés et recevront une aide globale de 23 millions d’euros : les subventions s’échelonnant de 300 000 € à 4 millions d’euros par projet.

(1) Voir ASH n° 2926 du 25-09-15, p. 6.

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