C’est un travail de plus de deux ans qui vient d’aboutir… Les « états généraux du travail social » ont enfin débouché sur un plan d’action interministériel en faveur du travail social et du développement social, établi notamment sur la base du rapport « Bourguignon » et des cinq groupes de travail thématiques missionnés dans ce cadre(1). Plan que Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, et Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, ont construit avec l’Assemblée des départements de France et l’Association des régions de France. Dès le lendemain de la présentation du plan en conseil des ministres, Ségolène Neuville devait en assurer le service après-vente lors d’un déplacement, le 22 octobre, à l’institut régional du travail social de Nancy (Meurthe-et-Moselle).
Comme pour le plan « pauvreté », une personnalité reconnue, appuyée par l’inspection générale des affaires sociales, sera missionnée pour assurer le suivi et l’évaluation du plan d’action pendant cinq ans.
Conformément à l’accord sur la « modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations » des fonctionnaires(2), les métiers de la filière sociale de la fonction publique seront valorisés. Tout d’abord, indique le plan d’action, « les agents des catégories B et A de la filière bénéficieront, dès le 1er janvier 2016, de mesures de revalorisation indiciaire consistant pour partie en un rééquilibrage entre traitement indiciaire et primes dans la rémunération globale des agents au bénéfice du traitement indiciaire pris en compte pour la retraite, et pour une autre partie, au 1erjanvier 2017 et au 1er janvier 2018, en une revalorisation indiciaire nette ». En outre, sur le plan statutaire, à compter de 2018, les diplômes du travail social de niveau III seront élevés au niveau licence (niveau II) et le niveau des missions exercées par les travailleurs sociaux sera mieux reconnu. Le reclassement en catégorie A des fonctionnaires de la filière sociale fera l’objet d’une concertation dans le cadre de groupes de travail conduits par le ministère de la Fonction publique. Il est à noter aussi que ce reclassement sera subordonné à la réingénierie préalable des diplômes permettant une équivalence au niveau licence des diplômes actuels de niveau III.
La revalorisation de la filière sociale de la fonction publique est par ailleurs liée à l’universitarisation des diplômes de travail social de niveau III à I qui, aujourd’hui, ne sont pas reliés au système universitaire LMD, « ce qui gêne la fluidité des parcours, la progression des professionnels et la mobilité européenne des étudiants », admet le gouvernement. Pour que les diplômes de niveau III soient donc des passerelles avec l’université et le niveau licence (niveau II), il va falloir « élaborer des programmes qui seront validés par arrêtés de façon à ce qu’il n’y ait pas d’automaticité ou des conventions au cas par cas entre les universités et les écoles », explique le secrétariat d’Etat aux ASH. Quoi qu’il en soit, son objectif est de « faire en sorte qu’en 2021 les premiers étudiants en travail social soient diplômés sur cette base ».
Parallèlement, le secrétariat d’Etat souhaite accompagner les « écoles qui sont au niveau à produire elles-mêmes du quasi-diplôme d’Etat ». Pour ce faire, l’Etat et les régions devront établir un cahier des charges, sanctionné par un arrêté, portant sur la qualité de l’offre de formation et fixant les exigences de qualité attendues de la part des établissements de formation. Un processus de labellisation des écoles pourra alors être lancé « à compter du printemps 2018 ». Dans ce cadre, le rôle de l’Etat serait limité à la validation des programmes, et au contrôle de la qualité des formations et des épreuves. En tout cas, assure le gouvernement, « pour ne pas pénaliser les étudiants qui se trouvent sur des territoires où les écoles ne veulent pas évoluer », l’Etat continuera à délivrer les diplômes, soulignant que cette dernière modalité « ne disparaîtra pas tant que tout le [nouveau]dispositif ne sera pas en place ».Au final, précise le plan d’action, les établissements de formation qui, en 2020, ne répondront pas aux critères du cahier des charges ne seront plus agréés pour la délivrance des diplômes d’Etat.
En outre, « afin de favoriser les mobilités ainsi que l’acquisition de connaissances partagées », le gouvernement estime que les professionnels du travail social doivent partager un corpus commun de connaissances, sans toutefois en préciser la quotité. C’est pourquoi il saisira au début 2016 la commission professionnelle consultative du travail social afin qu’elle définisse pour chaque niveau de formation un « point d’équilibre » entre ce corpus commun et des modules de spécialisation (aide sociale à l’enfance, logement, handicap…). Ses conclusions sont attendues pour septembre 2017.
Enfin, tous les trois ans, les ministères du Travail et des Affaires sociales convieront les partenaires sociaux publics et privés à une conférence de la formation continue et de la formation en alternance pour en définir les priorités. La première devrait avoir lieu en décembre 2016, indique le plan d’action.
Pour le gouvernement, « la participation des personnes doit être recherchée à toutes les étapes des politiques publiques : depuis leur élaboration, jusqu’à leur mise en œuvre et à leur évaluation ». Elle devra ainsi être développée dans les instances dédiées à l’élaboration ou à la mise en œuvre des politiques publiques (Pôle emploi, caisse nationale d’assurance vieillesse…)(3), mais aussi être inscrite dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens des établissements et services sociaux et médico-sociaux, par exemple pour l’élaboration des projets de services, ainsi que dans le cahier des charges des écoles et instituts du travail social d’ici à septembre 2017.
Afin de « remettre la personne au cœur de l’organisation du travail social », le plan d’action précise que les schémas d’accessibilité des services au public, portés par le Commissariat général à l’égalité des territoires, qui devraient être achevés à la fin de l’année, devront comporter un volet sur l’organisation du premier accueil inconditionnel de proximité, qui s’appuiera sur des lieux existants (mairies, point conseil budget, centre communal d’action social…). Ce premier accueil – qui, selon les vœux du Premier ministre, devra être opérationnel en 2018 – permettra de « disposer le plus tôt possible d’une orientation adaptée : soit une information immédiate, soit une ouverture immédiate de droits ou encore une orientation de deuxième niveau ». Lorsqu’une prise en charge globale sera nécessaire, il appartiendra à un référent de parcours de coordonner les divers dispositifs et acteurs impliqués. Dans un premier temps, une expérimentation sera lancée pour préciser les conditions d’une telle intervention et les ajustements réglementaires utiles à son développement. Un cahier des charges, rédigé par les départements, les associations et les autres parties prenantes, devra déterminer les modalités de désignation du référent, la durée de son mandat, son périmètre d’intervention… En outre, précise le plan d’action, « des évolutions législatives ou réglementaires pourront être proposées, par exemple pour organiser des décloisonnements de politiques publiques, voire des délégations de compétence ».
Le gouvernement considère par ailleurs qu’il convient de promouvoir le développement social, qui a « vocation à structurer les modes de coordination des politiques [publiques] ainsi que les modalités de participation et d’intervention sociale ». Il faut donc l’inscrire au cœur des politiques territoriales, insiste-t-il. Ainsi, le pacte territorial pour l’insertion deviendra un pacte départemental d’insertion et de développement social, qui constituera « un bon instrument pour accroître progressivement le champ du développement social » (personnes âgées, enfance, hébergement…). « A terme, souligne le plan d’action, les départements pourraient regrouper l’ensemble des schémas au sein d’un seul “pacte des solidarités et du développement social”. »
Dans ce cadre, « le décloisonnement et l’articulation entre professionnels, c’est-à-dire le travail en réseau, doivent devenir une pratique courante », estiment Marisol Touraine et Ségolène Neuville. Et ce d’autant plus avec la mise en place du référent de parcours. Le plan d’action propose donc de « passer d’un fonctionnement informel à un fonctionnement en réseau intégré », actuellement expérimenté dans le cadre de la démarche Agille (Améliorer la gouvernance et développer l’initiative locale pour mieux lutter contre l’exclusion)(4). Sur cette base, la direction générale de la cohésion sociale pourrait publier un guide méthodologique nécessaire à l’intégration du travail en réseau dans les fiches de poste. Parallèlement, le plan d’action précise qu’une charte d’engagement sera élaborée de façon concertée et cosignée par les employeurs publics et privés en vue de reconnaître le temps de travail en réseau et l’analyse des pratiques comme parties intégrantes des missions des travailleurs sociaux(5).
Toujours en cohérence avec la mise en place du référent de parcours, le gouvernement demandera au Conseil supérieur du travail social (CSTS) – qui sera rebaptisé Conseil interministériel du travail social (voir ci-dessous) – de travailler sur la notion de « partage d’information » entre les intervenants sociaux (professionnels et bénévoles), sur la base notamment de ses précédents travaux(6). Des conférences de consensus locales seront organisées pour définir les conditions du partage d’information, la restitution des travaux devant ensuite se faire lors d’une conférence de consensus nationale.
Enfin, pour favoriser la connaissance réciproque des acteurs, Marisol Touraine et Ségolène Neuville saisiront le Centre national de la fonction publique territoriale afin qu’il propose des formations interdisciplinaires qui pourraient être ouvertes à tous dès la rentrée 2017. Les domaines où le travail social pluriprofessionnel en réseau semble indispensable (violences faites aux femmes, autisme, protection de l’enfance…) « seront définis pour trois ans, révisables annuellement, dans le cadre d’un accord-cadre entre l’Etat et les commissions paritaires nationales pour l’emploi, dont les décisions seront mises en œuvre et financées par les organismes paritaires collecteurs agréés pour le secteur privé et les autres financeurs de la formation professionnelle du secteur public (Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier, par exemple) ».
La gouvernance nationale et territoriale des politiques sociales doit être rénovée pour permettre de renforcer le portage politique du travail social, affirme le plan. Au niveau national, il est ainsi « nécessaire de moderniser le CSTS [dont le mandat expire en décembre prochain], afin qu’il reflète mieux la réalité du travail social d’aujourd’hui et permette une participation effective des professionnels du travail social et des personnes qu’ils accompagnent ». Rebaptisée Conseil interministériel du travail social (CITS), l’instance sera présidée par une personnalité qualifiée ou un élu – et non plus par le ministre chargé des affaires sociales – et verra sa composition « resserrée »(7). A l’avenir, le conseil remettra tous les trois ans un rapport d’évaluation interministérielle du travail social, assorti de recommandations portant notamment sur l’état des branches et l’évolution des conventions collectives, l’évolution des métiers et des appareils de formation initiale et continue, l’état de la recherche en travail social ou encore les conditions d’emploi des travailleurs sociaux. En outre, le futur CITS sera saisi par le ministère des Affaires sociales d’un programme annuel de travail(8).
Il faudra également, selon le plan, assurer l’animation territoriale de la réflexion sur le travail social. Pour ce faire, à partir de janvier 2017, « seront créées par instruction, a minima, une commission d’éthique par département, animée par les services déconcentrés de l’Etat, le conseil départemental et les représentants départementaux des salariés du secteur privé », indique-t-il. En outre, sur la base du volontariat, les régions ou les départements seront invités à « mettre en place, en concertation avec les acteurs intéressés, des instances légères et ouvertes préfigurant des observatoires du travail social et permettant une réflexion sur le travail social (veille et prospective sur son évolution, encouragement à la recherche et capitalisation des innovations) ».
(3) A cet effet, le Conseil supérieur du travail social sera chargé, d’ici à juin 2016, de proposer au Premier ministre une liste d’instances, d’institutions, de collectivités et organismes susceptibles d’accueillir les personnes.
(5) A cette fin, le plan d’action présente en annexe une trame de charte des employeurs publics et privés non lucratifs.
(7) Actuellement, le CSTS comprend un président, un vice-président et 49 membres bénévoles.
(8) L’objet de sa première saisine : proposer une « rédaction adéquate » pour intégrer la définition internationale du travail social dans le code de l’action sociale et des familles.