Dans un référé adressé au Premier ministre en juillet dernier, et rendu public le 20 octobre accompagné de la réponse de Manuel Valls, la Cour des comptes dresse un constat sévère sur la politique d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile(1). Ses conditions ne sont en effet « pas satisfaisantes, en dépit de la forte croissance ininterrompue des dépenses correspondantes depuis 2009 », et ce pour des raisons multiples, en regard desquelles elle formule des préconisations, en tenant compte des « avancées prévues par la réforme de l’asile » définitivement adoptée par le Parlement l’été dernier(2). D’ailleurs, souligne la Haute Juridiction financière dans un communiqué, « si les conclusions de ses travaux sont antérieures aux mesures prises aux niveaux européen et national à la suite de la crise migratoire de l’été 2015, ces recommandations demeurent d’actualité ».
Parmi les principaux éléments mis en exergue à l’issue de son contrôle, la cour identifie « un enjeu prioritaire : la réduction des délais de la procédure », qui atteint deux ans en moyenne jusqu’à la décision de la Cour nationale du droit d’asile, « sans prendre en compte les demandes de réexamen ». C’est d’ailleurs l’objectif principal de la réforme de l’asile, qui vise « un délai moyen de neuf mois de procédure ».
La Cour des comptes plaide aussi pour « un pilotage interministériel à consolider », notamment pour optimiser les ressources mobilisées, les décisions financées par le programme : 303 « immigration et asile » du budget de l’Etat ayant « des conséquences sur la politique d’hébergement généraliste à destination des personnes sans domicile ou éprouvant des difficultés à se loger », financée par le programme 177 « prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables ». Plus précisément, « en 2013, l’ensemble des dépenses directes de la politique de l’asile s’est élevé à 690 millions d’euros, dont 540 millions d’euros au titre du programme 303 », rapporte la cour, « auxquels il convient d’ajouter les dépenses de santé, eu égard aux droits spécifiques ouverts aux demandeurs d’asile (CMU, CMU-C et AME) et les frais de scolarisation des enfants qu’il est difficile d’évaluer avec précision ». Les magistrats financiers prévoient aussi des tensions budgétaires à partir de 2015 « à cause de l’évolution à attendre des dépenses ».
Le référé recommande aussi une meilleure coordination des services de l’Etat pour suivre ce public. En effet, l’Office français de l’immigration et de l’intégration ne connaît que les places proposées en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), les étrangers hébergés chez des tiers ou dans des structures d’hébergement de droit commun, aujourd’hui saturées, n’étant pas pris en compte. Moins d’un tiers des demandeurs d’asile sont en effet hébergés dans des structures spécifiques, où ils bénéficient d’un accompagnement, contrairement aux autres personnes placées en hébergement d’urgence, y compris souvent à l’hôtel, rappelle d’ailleurs la cour. D’où « une situation d’inégalité entre les demandeurs d’asile selon leur mode d’hébergement », qu’il conviendrait de corriger en améliorant la programmation des créations de places en CADA et en élaborant « un référentiel de prestations et de coûts » pour ce secteur.
Une autre recommandation de la Haute Juridiction financière vise à renforcer les mesures à même de « permettre la mise en œuvre effective et rapide de la procédure de réadmission des demandeurs d’asile, en application du règlement Dublin III », règlement qui prévoit qu’un pays – généralement le pays d’entrée sur le territoire européen – est désigné responsable pour l’instruction et la décision relatives à une demande d’asile.
La cour adopte, enfin, une position ferme en faveur de l’éloignement des déboutés du droit d’asile(3), car « plus de 96 % des personnes déboutées resteraient en France ». Ce phénomène s’explique par le « taux d’exécution très faible » des obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui leur sont notifiées (6,8 % contre 16,8 % pour l’ensemble des étrangers en situation irrégulière), étant précisé que « seule une personne déboutée sur deux reçoit une OQTF ».La seconde raison tient aux « procédures et [aux] recours engagés par les demandeurs d’asile ». Les magistrats financiers réclament donc l’augmentation du taux d’exécution des OQTF.
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(3) Selon la Cour des comptes, 74 % des demandes d’asile ont été rejetées chaque année, en moyenne, entre 2009 et 2013.