C’était une des préconisations du rapport de la mission parlementaire d’information sur les immigrés âgés rendu public en juillet 2013(1) : plus de huit ans après sa création par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale(2), l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine va enfin pouvoir être versée. Indispensable à sa mise en œuvre, le décret fixant le cadre réglementaire du dispositif est en effet paru. Il s’appliquera aux demandes présentées à compter du 1er janvier 2016. Objectif affiché : permettre aux retraités étrangers disposant de faibles ressources et vivant seuls en résidence sociale ou en foyer de travailleurs migrants d’effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d’origine et de se rapprocher de leur famille, sans pour autant perdre leurs prestations.
L’aide s’adresse en particulier aux « chibanis », ces anciens travailleurs immigrés qui, souvent, « se trouvent lésés au moment de leur départ en retraite du fait de leur ancien statut précaire », a résumé la ministre des Affaires sociales le 8 octobre dans un communiqué. « En situation régulière sur le territoire français, ils touchent ainsi de très petites retraites, complétées par le minimum vieillesse (allocation de solidarité aux personnes âgées [ASPA]) ». Or cette allocation ne leur permet pas d’effectuer des séjours de longue durée dans leur pays d’origine puisqu’elle est soumise à une condition de résidence en France de six mois par an. Ainsi, « beaucoup de ces travailleurs migrants renoncent […] à se rendre auprès de leurs proches et sont contraints d’occuper une place en foyer toute l’année alors qu’ils souhaiteraient rester plus longtemps hors de France ». Selon la ministre, environ 35 000 personnes sont concernées par le dispositif.
L’aide est ouverte, pour mémoire, aux étrangers en situation régulière, vivant seuls et :
→ âgés d’au moins 65 ans ou, en cas d’inaptitude au travail, d’au moins 60 ans ;
→ qui justifient d’une résidence régulière et ininterrompue en France pendant les 15 années précédant la demande d’aide. Une condition non opposable aux ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre Etat partie à l’Espace économique européen(3) ou de la Confédération suisse ;
→ qui sont hébergés, au moment de la demande, dans un foyer de travailleurs migrants ou dans un logement à usage locatif dont les bailleurs s’engagent à respecter certaines obligations dans le cadre de conventions conclues avec l’Etat ;
→ qui ont fait valoir les droits aux pensions personnelles de retraite auxquels ils peuvent prétendre au titre des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires, français et étrangers, ainsi que des régimes des organisations internationales ;
→ dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil (voir ci-dessous) ;
→ qui effectuent des séjours de longue durée dans leur pays d’origine.
Le décret apporte un certain nombre de précisions à ces conditions d’éligibilité. Il indique, par exemple, que le demandeur ne peut bénéficier de l’aide à la réinsertion avant la date d’entrée en jouissance – qu’il a fixée lors de sa demande de liquidation auprès des organismes redevables – de l’ensemble des pensions personnelles et de réversion auxquelles il peut prétendre. Dans le cas où il ne remplit pas les conditions d’attribution d’une ou plusieurs de ses pensions à la date pour laquelle il demande le bénéfice de l’aide, il devra apporter la preuve – par tous moyens – qu’il ne remplit pas ces conditions. L’aide sera alors calculée sans tenir compte de ces pensions jusqu’au dernier jour du mois civil précédant celui au cours duquel ces conditions d’attribution sont remplies.
Autre précision : c’est en usant de tout mode de preuve, et notamment par la production de ses avis d’imposition ou de non-imposition sur le revenu fournis par l’administration fiscale, de ses bulletins de salaire et de son passeport, que le demandeur devra établir sa résidence régulière et ininterrompue en France pendant les 15 années précédant la demande d’aide.
Enfin, le décret prévoit que la durée de séjour dans le pays d’origine du bénéficiaire de l’aide doit être supérieure à six mois. Toutefois, le respect de cette condition sera apprécié sur une période de deux ans à compter de l’attribution ou du renouvellement de l’aide. Lors de l’attribution de l’aide, une information spécifique sur cette condition de résidence devra être délivrée au demandeur, lequel devra s’engager sur l’honneur à la respecter.
La loi du 5 mars 2007 prévoit que le montant de l’aide est calculé en fonction des ressources du bénéficiaire et précise qu’elle est versée annuellement. Le décret indique que le plafond de ressources annuelles à ne pas dépasser est fixé, à compter du 1er janvier 2016, à 6 600 € (soit 550 € par mois). Il fixe également le montant annuel de l’aide en fonction des ressources : 11 montants allant de 600 € à 6 600 € sont prévus pour 11 « fourchettes » de ressources différentes. Par exemple, l’aide est égale à 6 600 € si les ressources annuelles du demandeur sont inférieures à 600 €, à 3 600 € si elles sont supérieures ou égales à 3 000 € et inférieures à 3 600 € et à 600 € si elles sont supérieures ou égales à 6 000 € et inférieures à 6 600 €.
Le plafond de ressources, les fourchettes du barème et le montant de l’aide seront revalorisés au 1er octobre de chaque année, conformément à l’évolution prévisionnelle en moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac prévue, pour l’année considérée, dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances(4).
Le décret crée un fonds dénommé « Fonds de gestion de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine », dont l’objet sera, comme son nom l’indique, d’assurer la gestion de l’aide.
C’est ainsi à ce fonds que les personnes souhaitant solliciter le bénéfice de l’aide devront s’adresser (un arrêté est attendu pour fixer un modèle de demande). Elles seront tenues de lui faire connaître le montant de leurs ressources, étant précisé que le fonds « pourra procéder à toute enquête ou recherche nécessaire et demander tout éclaircissement utile ».
Le fonds notifiera au demandeur une décision motivée d’attribution de l’aide ou de rejet de la demande. Cette notification, qui sera faite par tout moyen permettant d’établir une date certaine de réception, devra mentionner les voies et délais de recours ainsi que la juridiction compétente.
En cas d’attribution de l’aide, le fonds en informera concomitamment l’organisme ou le service servant l’ASPA et celui qui verse l’allocation de logement.
Précision importante : le silence gardé pendant plus de quatre mois par le fonds sur la demande d’attribution de l’aide vaudra décision de rejet.
Un recours gracieux pourra être formé contre les décisions du fonds auprès du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. En cas de rejet du recours ou à défaut de réponse dans le délai de un mois, le requérant pourra passer par la voie des recours contentieux devant le tribunal administratif du lieu du siège du fonds.
Le décret fixe la date d’entrée en jouissance de l’aide au premier jour du mois suivant la date de réception de la demande d’aide.
A cette date, l’aide sera calculée « proportionnellement au nombre de mois pendant lesquels le droit est ouvert de cette date jusqu’au 31 décembre suivant et sur la base du barème en vigueur au 1er janvier de l’année en cours ». Le versement interviendra au plus tard dans les deux mois à compter de l’ouverture du droit. Et, lors de son renouvellement, l’aide sera calculée sur la base du barème en vigueur au 1er janvier de l’année et servie pour une période de 12 mois débutant à cette même date.
Le bénéficiaire de l’aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d’origine est tenu de déclarer au fonds tout changement survenu dans sa résidence, ses ressources ou sa situation familiale. De plus, il devra apporter chaque année, au plus tard dans les trois mois précédant la date de fin de versement de l’aide, la preuve qu’il continue de remplir les conditions d’attribution de l’aide qu’il perçoit. Outre la preuve de ses séjours dans son pays d’origine, il devra produire notamment à cet effet :
→ son dernier avis d’imposition ou de non-imposition sur le revenu fourni par l’administration fiscale ;
→ son titre de séjour en cours de validité s’il n’est pas ressortissant d’un Etat membre de l’UE, d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;
→ un certificat d’existence.
Si le bénéficiaire de l’aide ne souhaite plus effectuer de séjours dans son pays d’origine, il devra informer le fonds de gestion de l’aide de cette volonté au moins deux mois avant son renouvellement. Ce dernier notifiera alors à l’intéressé la décision de suppression de son aide et l’éventuel montant de l’indu, l’intéressé devant rembourser au fonds les sommes indûment perçues au prorata du nombre de mois restant à courir pour l’année en cours. Cette notification, qui sera faite par tout moyen permettant d’établir une date certaine de réception, devra mentionner les voies et délais de recours ainsi que la juridiction compétente.
Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations pourra proposer au ministre chargé de la cohésion sociale de « remettre ou réduire la créance en cas de bonne foi ou de précarité de la situation du débiteur, sauf si cette créance résulte d’une manœuvre frauduleuse ou d’une fausse déclaration ».
Toute réclamation dirigée contre une décision de remboursement, le dépôt d’une demande de remise ou de réduction de créance ainsi que les recours administratifs et contentieux, y compris en appel, contre les décisions prises sur ces réclamations et demandes ont un caractère suspensif.
Enfin, en cas de renoncement au bénéfice de l’aide, l’intéressé ne pourra déposer une nouvelle demande d’aide avant l’expiration d’un délai de six mois à compter de la notification de la suppression de l’aide versée précédemment.
(3) C’est-à-dire tous les pays de l’Union européenne, plus l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.
(4) Signalons que le projet de loi de finances pour 2016 modifie les règles de revalorisation des prestations sociales en prévoyant qu’elles évolueront en fonction de l’inflation constatée et non plus de l’inflation prévisionnelle – Voir ce numéro, p. 41.