« Alors que l’actualité aurait dû pousser la France à réinventer une politique d’hospitalité, la peur de l’autre, l’obsession du contrôle, de l’enfermement et des expulsions continuent de guider les décideurs », s’inquiétait la Cimade le 5 octobre, avant l’examen du projet de loi « relatif au droit des étrangers en France » par les sénateurs. De fait, le texte, examiné en procédure accélérée et rebaptisé projet de loi « portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration », est ressorti considérablement durci du vote de la Haute Assemblée, le 13 octobre. Outre une disposition prévoyant que le Parlement définisse le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, les sénateurs ont notamment souhaité que la délivrance d’un visa de long séjour soit subordonnée à la preuve d’une « connaissance suffisante de la langue française, à l’adhésion aux valeurs essentielles de la société française » et à la capacité de l’étranger « à exercer une activité professionnelle ou à assurer son autonomie financière ». Alors que les députés avaient élargi les conditions d’octroi de la carte de séjour pluriannuelle, un amendement est venu les encadrer en considérant la délivrance de ce titre non « pas comme un principe mais comme une exception ». Une autre disposition précise le statut des centres ou lieux d’hébergement, « structures déjà existantes », où les déboutés de la demande d’asile pourront être assignés à résidence dans l’attente de leur départ du territoire. Un amendement est par ailleurs venu remplacer l’aide médicale de l’Etat (AME) par une aide médicale d’urgence, accessible à ceux qui se seraient acquittés d’un droit annuel. La prise en charge serait limitée au traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse et à ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive.
Autant d’orientations qualifiées par la Cimade de « surenchères » des sénateurs pour réduire les droits des étrangers. Un désaccord entre les deux chambres lors de la commission mixte paritaire – dont la date n’a pas encore été fixée – étant très probable, le texte devrait toutefois revenir à l’Assemblée nationale, qui aura le dernier mot. Ce qui n’empêche pas le secteur associatif de s’inquiéter de certaines dispositions portées par le gouvernement depuis la présentation du texte, qu’elles jugent contraires aux libertés et aux principes de l’accompagnement des personnes en situation précaire. Parmi elles, l’article qui permet aux préfectures de demander à des institutions ou à des personnes privées, sans que s’y oppose le secret professionnel autre que le secret médical, de leur transmettre les documents ou informations nécessaires « au contrôle de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ou au contrôle de l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution d’un droit au séjour ou de sa vérification ». A la suite d’un amendement introduit en commission des lois, à l’initiative du rapporteur François-Noël Buffet (Les Républicains), un refus de répondre à cette demande serait puni d’une amende de 7 500 €. Sont notamment visés les administrations chargées du travail et de l’emploi, les organismes de sécurité sociale, les établissements scolaires et d’enseignement supérieur ou encore les établissements de santé.
Cette « brèche » ouverte sur la levée du secret professionnel préoccupe particulièrement l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) et la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), qui alertent sur « le risque de légaliser la délation en France ». Si le texte est définitivement adopté en l’état, « un professeur des écoles devra bientôt témoigner de l’effectivité d’un lien de parenté, une assistante sociale d’un hôpital devra répondre à une demande sur le nombre d’hospitalisations pour justifier ou non du renouvellement d’un titre de séjour, par exemple », précisent-elles, réclamant l’abrogation de ces dispositions.
Celles qui prévoient l’intervention des forces de l’ordre au domicile d’un étranger assigné à résidence en cas d’impossibilité de le conduire, du fait d’une « obstruction volontaire de sa part », auprès des autorités consulaires constituent un autre motif d’inquiétude. Il deviendrait ainsi possible d’interpeller une personne dans un centre d’hébergement, relèvent l’ANAS et la FNARS.