Conséquence de la dégradation importante des résultats du régime de prévoyance des salariés relevant de la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 (CC 66), en raison de la hausse de la « sinistralité » liée aux arrêts de travail, un avenant est venu, le 1er septembre dernier, modifier ce régime par l’augmentation des cotisations et la diminution de certaines garanties(1). Parallèlement, organisations d’employeurs et syndicats se sont emparés du sujet à travers la commission nationale paritaire technique de prévoyance (CNPTP), qui a mandaté le cabinet d’expertise Technologia pour réaliser une enquête sur les conditions de travail et leur impact sur la santé des salariés, qui devrait nourrir l’élaboration paritaire, d’ici à la fin de l’année, d’un plan d’actions sur la prévention des risques professionnels et la santé au travail. Les principaux résultats de ces travaux, menés entre juin 2014 et février 2015, viennent d’être communiqués aux adhérents des deux fédérations d’employeurs du périmètre de la CC 66 – le Syneas (Syndicat des employeurs associatifs de l’action sociale et médico-sociale) et la Fegapei (Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et fragiles) –, ainsi qu’aux représentants du personnel.
L’enquête s’est déroulée en deux temps : l’envoi d’un questionnaire à près de 8 000 salariés (près de 1 940 d’entre eux ont été retournés) et l’organisation d’entretiens collectifs et individuels (139 personnes au total). Sur fond de pratiques professionnelles en constante évolution, en raison du paysage législatif, des mouvements de réorganisation ou de la complexité accrue de l’accompagnement, le « ressenti global » des répondants est très mitigé. Si 70 % se déclarent satisfaits de leur situation professionnelle, 79 % considèrent que leur activité leur impose des contraintes psychiques importantes. Ils sont 26 % à penser qu’au cours des trois dernières années, leur santé s’est dégradée en raison de leur activité. Une majorité (75 %) estiment néanmoins pouvoir trouver un équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée.
Si le constat d’une dégradation des conditions de travail dans le secteur n’est pas nouveau, l’enquête a le mérite de l’évaluer et d’en mesurer les effets. Parmi les répondants, 16,5 % sont en « degré élevé ou très élevé d’exposition à l’épuisement professionnel ». Et les résultats permettent d’identifier un lien entre les arrêts de travail et ce phénomène, lui-même corrélé à plusieurs indicateurs de risque. Le constat est évident pour les personnes ayant connu des arrêts longs : une personne sur trois ayant connu deux arrêts longs au cours des 12 derniers mois est en situation de risque élevé d’épuisement professionnel. Celles qui établissent une relation entre l’arrêt de travail et leur activité (25 %) évoquent avant tout la charge, puis l’ambiance de travail. Les répondants sont 70 % à considérer que leur charge de travail a augmenté ces trois dernières années, en premier lieu en raison de l’évolution de leurs missions. Interrogés sur leurs contraintes professionnelles, les salariés mettent en avant le manque de temps (près de 50 %), d’informations, les situations de sous-effectifs, la lourdeur des protocoles et des procédures, des moyens inadaptés… 60 % des personnes ayant répondu à l’enquête estiment que leur collectif de travail s’est dégradé au cours des trois dernières années. Parmi les facteurs de pénibilité physique, le bruit, les postures, la manutention de charges et la manipulation physique des usagers sont évoqués.
Au final, l’étude met en exergue des « facteurs de ressources à préserver ou à développer » dans le secteur, comme le fort engagement des personnels, le lien avec les bénéficiaires qui donne du sens au travail, l’importance des collectifs de travail ou la présence de l’encadrement comme facteurs de soutien, le travail en réseau ou encore les « temps de prise de recul », notamment par l’analyse des pratiques. La surcharge de travail, l’investissement physique et psychique à l’égard des personnes accompagnées, les contraintes organisationnelles, le peu de retours sur les résultats et la pratique du travail, la faiblesse des salaires, insuffisamment compensée par des mesures favorisant la récupération notamment, ainsi que le manque de reconnaissance, constituent en revanche des facteurs de tension. Les conflits de valeur ou le sentiment de ne pas effectuer un travail de qualité au vu du temps réduit passé auprès des usagers font également partie des discours récurrents parmi les professionnels. Même si, nuancent les auteurs, les réponses peuvent varier en fonction des catégories socioprofessionnelles, des types d’activité et de publics.
Passés ces constats, l’enquête propose plusieurs « pistes d’actions prioritaires » déclinées en de nombreuses propositions, parmi lesquelles la formation de l’encadrement aux questions de qualité de vie au travail, la création de comités de pilotage sur le sujet dans les établissements et services, l’évaluation de la charge de travail du personnel. Ils suggèrent aussi de « clarifier les postes, les fonctions et les rôles des encadrants (directeurs, directeurs adjoints et chefs de service) et des coordinateurs ». Davantage de souplesse dans les plannings ou la clarification « de la question de l’applicabilité des dispositions conventionnelles et extraconventionnelles aux différentes catégories de personnel » devrait aussi, selon eux, permettre d’améliorer la situation. Des pistes qui n’engagent pas les négociations sur la convention collective, même si les résultats de cette enquête devraient bien sûr alimenter les revendications, y compris auprès des financeurs. Et participent, au-delà, à la réflexion en cours sur la reconnaissance du travail social.